Journal n°120

Cancer du sein et tamoxifène: la résistance faiblit

Des chercheurs genevois ont identifié huit molécules impliquées dans la résistance qui apparaît dans certains cancers du sein au tamoxifène, un traitement visant à éviter les récidives.

L’équipe dirigée par Didier Picard, professeur au Département de biologie cellulaire (Faculté des sciences), a identifié pas moins de huit molécules impliquées dans la résistance de certaines cellules tumorales au tamoxifène, le traitement standard prescrit dans les cas de cancer du sein dits hormono-dépendants. L’article, dont Marcela Bennesch est la première auteure, est paru le 20 juin dans la revue Nucleic Acid Research. 

Quelle est l’importance de votre recherche dans le contexte du cancer du sein?

Didier Picard: J’insiste sur le fait qu’il s’agit d’un travail de recherche fondamentale. Le lien qui existe entre nos résultats et le traitement du cancer du sein est en quelque sorte collatéral. Il n’en reste pas moins que notre étude ouvre une nouvelle piste dans les tentatives visant à améliorer le traitement actuel contre cette maladie, un traitement qui présente certaines limites.

Lesquelles?

Chez 70 % des patientes souffrant d’un cancer du sein (le cancer le plus fréquent chez les femmes en Suisse), les œstrogènes, c’est-à-dire les hormones sexuelles féminines, ont un rôle négatif puisqu’elles sont responsables de la survie et de la prolifération des cellules tumorales. Il existe un traitement prescrit à vie contre cette forme de cancer pour éviter la récidive: le tamoxifène. La plupart du temps, cet anti-œstrogène est très efficace même sur le long terme. Chez un tiers des patientes, toutefois, les cellules cancéreuses développent avec les années une résistance et deviennent réfractaires au médicament, augmentant ainsi le risque d’apparition d’un nouveau cancer.

C’est sur cette résistance que portent vos recherches?

Nous nous intéressons en particulier au récepteur aux œstrogènes de type a (ERa). Il s’agit d’une protéine qui peut être activée directement ou indirectement (via d’autres voies de signalisation) par l’hormone féminine et qui agit directement sur l’ADN des cellules pour réguler l’expression de certains gènes. Ce récepteur a une grande importance. C’est lui qui dope la survie et la prolifération des cellules tumorales sous l’action des œstrogènes et qui est bloqué par le tamoxifène. Nous travaillons justement sur des lignées de cellules cancéreuses résistantes au traitement afin de mieux comprendre les mécanismes moléculaires qui sont mis en œuvre lors de la régulation de cet ERa.

Qu’avez-vous découvert?

Dans une étude précédente, nous avions montré qu’une cascade de signalisations biochimiques, dans laquelle intervient une protéine appelée CARM1, était capable de réactiver ERa malgré l’inhibition par le tamoxifène. Mais elle n’y parvient pas seule. Il lui faut l’aide d’autres protéines. Nous nous sommes donc mis à leur recherche.

En avez-vous trouvé?

Oui. Nous avons d’abord identifié la protéine LSD1 puis nous avons découvert que sept autres protéines, disposées en complexe avec elle, entrent en jeu pour court-circuiter le tamoxifène et permettre aux récepteurs ERa d’activer les gènes nécessaires à la croissance de la cellule. Il faut préciser qu’il s’agit là d’un mécanisme parmi d’autres qui débouche sur l’apparition de résistances. Cela dit, tous les facteurs que nous avons identifiés étaient déjà connus par ailleurs, mais on ignorait qu’ils jouaient un rôle dans ce phénomène précis.

Ces molécules représentent-elles des cibles thérapeutiques potentielles?

Une partie d’entre elles sont des enzymes pour lesquels on connaît déjà des inhibiteurs. Nous les avons donc testés sur des cellules en culture. Résultat: les inhibiteurs de LSD1 ainsi que ceux de deux autres facteurs identifiés au cours de cette étude (Hsp90 et HDAC) freinent la prolifération des cellules cancéreuses et rendent les cellules malignes à nouveau sensibles au tamoxifène.

Ces recherches peuvent-elles déboucher sur un traitement?

La solution pour les traitements qui font face à des phénomènes de résistance viendra de la combinaison de plusieurs molécules agissant sur des cibles différentes. Nos recherches, à l’image de celles de nombreuses autres équipes dans le monde, contribuent à cette stratégie. Il se trouve qu’il existe déjà des formes médicamenteuses des inhibiteurs que nous avons testés et certains d’entre eux sont actuellement employés dans des essais cliniques chez l’humain. En fait, ce n’est que maintenant, grâce à nos travaux, que l’on connaît le mode d’action de ces composés. L’inhibiteur de LSD1, notamment, utilisé contre certaines formes de leucémies et de cancers du poumon ainsi que celui d’Hsp90, devraient être sérieusement envisagés contre le cancer du sein.