Journal n°77

Sans les étrangers, point de prospérité

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Sans l’apport des étrangers, certains secteurs économiques seraient en sous-effectif de main-d’œuvre, la population déclinante et vieillissante, et les manques à gagner se chiffreraient en milliards. C’est ce qui ressort de trois études récemment réalisées par des chercheurs de l’UNIGE

La crainte de la «surpopulation étrangère» est l’une des constantes de la politique suisse depuis près d’un siècle. Adoptée le 26 mars 1931, la Loi sur le séjour et l’établissement des étrangers visait déjà à limiter l’immigration. Aujourd’hui, certains acteurs politiques souhaiteraient que la Confédération renégocie, dans un sens plus restrictif, l’accord signé avec l’Union européenne sur la libre circulation des personnes. Selon les partisans de cette renégociation, cette mesure ferait perdre des emplois aux Suisses ou les empêcherait de retrouver un travail s’ils sont au chômage. Une étude menée par l’Observatoire universitaire de l’emploi (OUE) à la demande de la Fédération des entreprises romandes du canton de Genève contredit pourtant cette croyance.

Chômage conjoncturel
Premier constat, l’évolution du chômage en Suisse romande depuis le début des années 2000 ne montre pas de phénomène d’éviction des travailleurs suisses. Elle a plutôt suivi une courbe conjoncturelle: baisse continue du nombre de chômeurs depuis 2004, suivie d’une hausse entre 2007 et 2009 coïncidant avec le recul de l’activité économique, puis à nouveau un mouvement à la baisse depuis 2009 à la faveur de la reprise.
Certes, observent les auteurs de l’étude, la part des emplois de type «séjours» (permis B) et «frontaliers» (permis G) a augmenté durant cette période, passant dans le canton de Genève de 22% en 2002 à 30% en 2010. La libre circulation a donc eu un impact sur l’emploi, particulièrement dans les secteurs où le nombre de chômeurs suisses tend à être le plus élevé: les services informatiques, la santé et les activités sociales, l’administration publique ou encore le secteur financier. Toutefois, le nombre de salariés frontaliers ou permis B est dix fois plus élevé que le nombre de chômeurs d’origine suisse dans les branches correspondantes. En clair, on constate une «rareté de la main-d’œuvre suisse disponible au chômage pour se substituer aux emplois occupés par des ressortissants étrangers». Un résultat qui s’explique par la disparité, notamment de formation, entre ces deux catégories d’employés, davantage complémentaires que substituables.

Flux migratoires positifs
Si la libre circulation des personnes ne semble pas avoir eu d’impact flagrant sur le chômage des Suisses, les flux migratoires globaux vers la Suisse se soldent même par un bilan positif, selon un ouvrage collectif dirigé par le professeur Philippe Wanner (Faculté des SES). Sans l’apport des immigrants, souvent plus jeunes et plus mobiles que les résidents d’origine suisse, la population aurait la même taille qu’en 1981 (environ 6 millions, contre 7,8 aujourd’hui) et verrait son niveau de vieillissement exploser.
Toujours selon cet ouvrage, intitulé Migration en Suisse: enjeux économiques et sociaux , les étrangers participent par ailleurs au changement structurel de l’économie suisse. Jusque dans les années 1990, l’immigration se concentrait dans les régions spécialisées dans l’agriculture, la construction ou l’hôtellerie. Elle se focalise aujourd’hui vers les zones urbaines caractérisées par un tissu économique émergent.
Enfin, une étude sur l’impact du secteur international sur Genève et la région lémanique menée par les Universités de Genève et de Lausanne, l’EPFL et l’Institut de hautes études internationales et du développement a récemment montré que la valeur ajoutée directe créée par les entreprises multinationales étrangères s’élève à 8,6 milliards de francs, soit 22% du total genevois. Rassemblant 46'000 emplois, dont une proportion occupée par des Suisses identique à celle des sociétés genevoises, le secteur des multinationales étrangères génère 430 millions d’impôts sur les sociétés de capitaux et coopératives et 928 millions sur le revenu.


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