Journal n°88

La musique et ses émotions

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Le festival «Musiques et Sciences», qui allie volet scientifique et événements publics autour du pouvoir émotionnel de la musique, sera axé cette année sur la composition du geste musical

Comment interagissons-nous sur le plan émotionnel? Comment le cerveau s’y prend-il pour exprimer des émotions et interpréter celles d’autrui? C’est autour de questions de ce type qu’est né, il y a deux ans, le festival «Musiques et Sciences» dont la deuxième édition se déroulera du 2 au 6 avril. La musique offre en effet un terrain d’expérimentation particulièrement riche pour les psychologues et neuroscientifiques travaillant sur les émotions. Explications avec Didier Grandjean, professeur à la FPSE et au Centre interfacultaire en sciences affectives et coorganisateur de la manifestation avec le professeur Marc-André Rappaz, musicien et professeur à la Haute Ecole de musique de Genève.

Quels sont les grands axes du festival?
Didier Grandjean: Il comprend un volet purement scientifique, avec un colloque international, et une série d’événements publics: des présentations dans la matinée, suivies d’ateliers l’après-midi et de concerts en soirée faisant écho aux sujets abordés durant les ateliers. Plusieurs animations pour les familles et le jeune public sont également organisées le samedi. Le tout s’inscrit dans le cadre d’un partenariat entre le pôle de recherche de l’UNIGE sur les émotions et la Haute école de musique de Genève.

Pourquoi cet intérêt particulier pour la musique?
Elle représente pour nous, chercheurs, un cas extrêmement intéressant d’interaction sociale. Celles-ci y sont poussées à un très haut degré de subtilité pour ce qui est de l’expression et de la réception émotionnelles. Les musiciens travaillent dans un cadre très structuré et limité temporellement, celui de la partition, ce qui les oblige à investir le plan de l’interaction émotionnelle avec énormément d’acuité et de réceptivité. Lorsque des instrumentistes interprètent un quatuor, par exemple, on observe une mise à jour constante de la représentation de ce que les partenaires cherchent à exprimer à travers leur façon de jouer. Chaque instrumentiste capte les signaux des autres pour construire une expression conjointe.

Le thème de cette édition est le geste musical. Pourquoi ce choix?
Ecouter de la musique ne consiste pas simplement à décoder des sons, mais aussi à se représenter ce que le musicien cherche à exprimer à travers son geste instrumental et la façon dont il le module. Des recherches menées à ce sujet tendent à montrer que les auditeurs mobilisent des régions motrices de leur cerveau durant l’écoute, alors qu’ils sont en apparence totalement passifs sur le plan moteur.

Quelle est la nature de ces représentations?
C’est une question qui reste ouverte. Nous avons récemment publié une étude montrant qu’il est possible de prédire les émotions rapportées par des auditeurs à l’écoute d’une musique, sur la base de modifications viscérales comme la respiration ou la fréquence cardiaque, en phase avec les aspects rythmiques de la musique. Cela se manifeste de manière subtile. Si l’interprétation musicale force l’expression émotionnelle, les auditeurs tendent à perdre leur réceptivité.

Comment le geste du musicien se traduit-il sur le plan cérébral?
Un musicien doit en effet passer par des années d’entraînement pour acquérir une technique instrumentale ou vocale adéquate. Au début de cet apprentissage, on observe que la gestuelle est très contrôlée, avec un monitoring constant des régions frontales du cerveau. Puis, peu à peu, la réalisation du geste instrumental est transférée à des régions sous-corticales, ce qui permet au musicien de se dégager un espace mental pour l’expressivité et l’interaction. Les virtuoses se caractérisent par un degré de sophistication dans leur maîtrise gestuelle qui les libère totalement dans leur expressivité.

L’apprentissage de la musique entraîne-t-il des modifications à long terme?
Des études ont montré que la pratique musicale modifie l’anatomie du cerveau, en fonction même de l’emplacement du musicien dans l’orchestre. Elle a également un impact massif sur la connectivité neuronale et elle favorise la plasticité cérébrale.

Ces recherches ont-elles des implications thérapeutiques?
Des expériences sont menées avec des personnes atteintes de Parkinson et d’Alzheimer. Celles-ci sont incitées à pratiquer un instrument ou à chanter afin de mobiliser des interactions entre des régions cérébrales qu’elles ont tendance à sous-utiliser. Par ailleurs, la musique impliquant la capacité à se représenter ce que l’autre est en train d’exprimer à travers son interprétation, elle pourrait avoir un effet positif chez des personnes présentant des déficits d’empathie ou, plus généralement, des difficultés à saisir les signaux émotionnels émis par autrui.


| du 2 au 6 avril |

Festival Musiques et Sciences
www.femusci.org