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Le Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités de l’Université de Genève (CMCSS) accueille Dr·e Ruby Faure (France, *1988) pour une résidence au sein de ses collections.

Tuile et bandeau : photo publiée dans le magazine On our Backs, May-June 1990

Les "autres" perversions : lectures queer/trans de l'histoire BDSM au tournant du 19e et du 20e siècle.

Cette publication cherche à penser les intrications entre l'histoire queer/trans1 et l'histoire BDSM dans l'Europe de la fin du 19e et de la première moitié du 20e siècle, en prenant appui sur une analyse épistémologique des discours savants, ainsi que sur une lecture queer/trans de récits autobiographiques et fictionnels.

Le premier axe guidant cette recherche est la proposition de mobiliser les épistémologiques queer et trans pour penser la place des sexualités BDSM dans l'épistémologie de la sexualité déployée par les sexologies européennes émergentes. Je cherche en particulier de comprendre le rôle spécifique des plaisirs kinky2 vis-à-vis de la formation des binarités entre normalité et anormalité sexuelle, ainsi qu'entre homosexualité et hétérosexualité. Si ces deux binarités semblent parfois se recouper, en particulier en raison du caractère expansif de catégories telles que l'inversion sexuelle, le troisième sexe ou les intermédiaires sexuels3, un certain nombre d' « autres » perversions semblent contribuer à complexifier les discussions. Les fétichismes d'objets, de parties du corps ou encore d'odeur, la passion pour la flagellation et la fessée, l'ondinisme, l'infantilisme, mais aussi le sadisme et le masochisme, sont autant de sexualités dites « anormales » mais qui sont pourtant clairement distinctes de « l'homosexualité ». Ces plaisirs particuliers relèvent de ce que Benjamin Kahan propose d'appeler les « perversions mineures » (Kahan 2017), et constituent autant de manière de déborder le dispositif hégémonique de l'hétéronormativité européenne, sans nécessairement impliquer une déviation vis-à-vis de la différence sexuelle, une attraction pour le même sexe, ni encore un désir de se travestir. En quoi donc est-ce que les épistémologies queer et trans, notamment féministes, matérialistes et décoloniales, peuvent-elles nous aider à penser la problématisation spécifique des érotiques BDSM dans les discours savants de la sexologie naissante ? L'histoire des kinks pourrait bien nous permettre de défaire la centralité du choix d'objet (homo ou hétéro) (Sedgwick 2008) dans l'épistémologie occidentale de la sexualité, en mettant en évidence d'autres manières de penser et d'organiser la diversité des plaisirs sexuels.

Le second axe d'investigation pour cette recherche vise à rendre possible une lecture des porosités entre les pratiques BDSM et les subjectivations queer/trans, comme autant de forme de transgressions des normes modernes / coloniales  du genre et de la sexualité (Lugones 2007). A partir d'une lecture des récits de soi de celleux que Magnus Hirschfeld nomme les « métatropiques » (notamment les « femmes sadiques » et les « hommes masochistes »), mais aussi de textes fictionnels et érotiques, je cherche à repérer le rôle productif de ces technologies de plaisir pour refuser, troubler ou déplacer les assignations sexuelles et genrées traditionnelles. En raison des associations patriarcales et hétéronormatives entre domination et masculinité ainsi qu'entre soumission et féminité, certaines pratiques kinky semblent particulièrement propices à entraîner des déplacements corporels et subjectifs dans l'ordre cishétéronormatif blanc (Moore 2009). L'enjeu est celui d'un double élargissement de l'histoire queer/trans. D'une part, en explorant, à la suite du travail de Robin Bauer (2014) et de Jan Szpilka (2019), les possibles lectures queer/trans* des récits de masochisme dit masculin et de sadisme dit féminin, je fais l'hypothèse que l'expérimentation de plaisirs non conformes au sexe assigné est susceptible de générer des effets durables dans l'expérience du genre et de la sexualité. D'autre part, suivant les indications de Pat Califia (1997) et Susan Stryker (2008), je cherche à remettre au centre des épistémologies queer et trans la question des pratiques corporelles et des technologies de plaisir, comme autant de ressources pour traverser les frontières du genre. En refusant les cloisonnements traditionnels de l'histoire de la sexualité, ainsi que les exigences de respectabilité propre aux politiques de l'identité, il sera donc à la fois possible de se rendre attentif·ve à la formation de devenirs queer/trans dans des récits d'humiliation, de compulsion à mordre, de flagellation ou de « succubisme » ; mais aussi de penser la dimension expansive de la catégorie « trans » elle-même à partir des techniques érotiques de transformation des corps.

1 J'utilise le syntagme « queer/trans » pour faire référence aux champs d'études queer et trans contemporains et à leurs imbrications. Lorsque je fais référence au contexte historique du début du 20e siècle, j'utilise plutôt les catégories du passé (travestissement, inversion, hermaphrodisme notamment).

2 J'utilise indifféremment les catégories BDSM et Kink, en conformité avec l'usage dans les BDSM Studies contemporaines.

3 Au tournant du 19e et du 20e siècle, de telles catégories englobent notamment l'homosexualité, la bisexualité, le travestissement ou encore les diverses formes d'hermaphrodisme.

Ruby Faure est docteur·e en philosophie et études de genre. Ses recherches portent sur l'histoire de la sexualité en Europe et s'inscrivent dans la tradition des critiques queer/trans décoloniales et anti-racistes. Iel participe à l'essor contemporains des études queer et trans francophones, à travers l'organisation de séminaires, de publications collectives et de réseaux de solidarité dans l'Université française. Ruby Faure est membre du Laboratoire d'études de genre et de sexualité à l'Université Paris 8 et enseigne les théories queer/trans et l'épistémologie de la sexualité  dans le cadre du master genre et du master de philosophie depuis 6 ans. Iel enseigne également depuis l'an dernier à la Haute Ecole d'Art et de Design de Genève, et propose cette année un Think Zone dans le cadre du Master Work, sur le thème « Modernité/Colonialité/Sexualité ». 

Le « BDSM Studies LAB » est un espace pluridisciplinaire collectif de recherches et de co-création de savoirs autour des études sur le BDSM, à l’initiative de Ruby Faure (LEGS Paris 8) et de Constance Brosse (HEAD Genève). Le programme se compose de trois ateliers collaboratifs, d’une conférence, d’une journée d’étude et de projection de films, et vise à rassembler des chercheur·euse·x et artistes qui travaillent sur les cultures, histoires, pratiques et représentations des sexualités kinky. Ce projet reçoit le soutien matériel et financier du CMCSS (Centre Maurice Chalumeau en Sciences des Sexualités), de la HEAD (Haute Ecole d'Art et de Design), ainsi que de l'association Lestime. Les activités du BDSM Studies LAB sont publiques et ouvertes à toustes, à l'exception des ateliers qui sont sur inscription à l'adresse suivante : faure.ruby(at)gmail.com


PROGRAMME DÉTAILLÉ DES WORKSHOPS

21 novembre - présentation de Ruby Faure :
Les pensées trans au donjon
et discussion collective

28 novembre - présentation de Constance Brosse :
«So, what do you want to talk about anyway», une plongée dans les archives des groupes s/m lesbiens
et discussion collective

5 décembre - session ouverte :
Vous pouvez proposer une présentation d’une recherche en cours, d’une pièce ou tout autre format.

Les inscriptions aux workshops sont ouvertes jusqu’au 30 octobre et limités à 12 places par sessions, il est possible de venir à une seule ou plusieurs sessions. Ces workshops ont été pensé comme des espaces de partage et de construction de savoir.

Lors de votre demande d’inscription, merci de détailler brièvement vos motivations, à quelles sessions vous souhaitez participer et si vous souhaitez proposer une intervention pour le 5 décembre, le tout par mail à :
faure.ruby(at)gmail.com 

Flyer