13 octobre 2022 - Jacques Erard

 

Analyse

Une jeunesse mobilisée en mal de reconnaissance

La mobilisation des jeunes autour du climat a fait mentir les clichés sur une population soi-disant dépolitisée. Étudiante à l’UNIGE, Anne-Laure Emmanuelle Noger a enquêté auprès de certain-es des acteurs/trices de cette mobilisation dans le cadre de son mémoire de maîtrise.

 

 

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Grève du climat à Genève , le 27 septembre 2019. Photo : Martial Trezzini/Keystone


En Suisse, les 18-35 ans participent en moyenne deux fois moins aux votations que les plus de 65 ans1. Ces dernières années, la mobilisation d’une partie de la jeunesse sur la question climatique a pourtant semblé contredire l’image convenue d’une jeunesse dépolitisée, captée par le narcissisme inhérent aux réseaux sociaux. Qu’en est-il vraiment?

Étudiante au Centre interfacultaire en droits de l’enfant (CIDE), Anne-Laure Emmanuelle Noger s’est intéressée à cette question dans le cadre de son mémoire de maîtrise2. Rédigé sous la direction du professeur Karl Hanson, ce travail visait à explorer l’impact des mobilisations autour du climat sur l’engagement associatif des jeunes et, en particulier, des mineur-es, à travers une série d’entretiens avec des personnes ayant participé au mouvement.

(1) Source: Fédération suisse des parlements des jeunes
(2) Anne-Laure Noger, Une exploration de l’impact du mouvement Fridays For Future sur la participation des jeunes au sein des associations de défense du climat en Suisse romande

 

 

Le Journal: Comment les jeunes que vous avez rencontré-es perçoivent-elles/ils le système politique?
Anne-Laure Emmanuelle Noger:  Toutes et tous partagent une même méfiance vis-à-vis du monde politique. Le résultat du vote sur la loi sur le CO2 [rejetée en juin 2021 par 51,6% des votant-es], essentielle pour que la Suisse mette en œuvre les dispositions de l’Accord de Paris sur le climat, est souvent mis en avant pour justifier cette attitude. Ce rejet a été une source de démotivation. Les personnes interrogées ont eu le sentiment que l’avis des jeunes ne faisait pas le poids face à la majorité des seniors qui se sentent moins concerné-es par les questions environnementales.

Les jeunes, qui votent peu souvent en moyenne, ne sont-ils/elles pas en partie responsables de ces déconvenues dans les urnes?
Dans mon travail, je montre que l’abaissement du droit de vote à 16 ans contribuerait certainement à rééquilibrer la proportion des âges des votant-es. Or, à ce jour, seul le canton de Glaris a franchi le pas. L’argument contre cette mesure consistant à dire que les personnes de 16 ans sont trop immatures pour voter ne tient pas la route. Si ces jeunes ne s’intéressent pas à la politique, elles et ils ne voteront pas. En revanche, ce serait un très bon moyen d’encourager celles et ceux qui s’en préoccupent et de leur redonner confiance dans notre système politique.

Les jeunes se tournent-elle/ils vers d’autres modes d’action politique?
La mobilisation a été très forte en 2018 et 2019. Le mouvement Fridays for Future lancé par Greta Thunberg a rencontré un énorme écho, jusqu’à la crise sanitaire qui a donné un coup d’arrêt à la mobilisation. Même si les personnes que j’ai interviewées militent toujours au sein de leurs associations, celles-ci ne se sont pas suffisamment renouvelées depuis une année ou deux. Rétrospectivement, certain-es ont l’impression que la mobilisation a été un effet de mode, ce qui ne fait que renforcer leur découragement. D’autres en ont tiré la conclusion qu’il fallait des modes d’action plus radicaux, qui frappent davantage les esprits.

Quel est le rôle du facteur émotionnel dans ces mobilisations?
Face au sentiment d’impuissance, la première stratégie consiste à vivre dans le déni et à ne pas s’intéresser au problème. La deuxième à s’accrocher à un discours positif, misant sur un changement au sein de la population vis-à-vis des questions environnementales ou sur une percée technologique qui viendrait nous sauver. La troisième stratégie, celle suivie par les personnes que j’ai rencontrées, aboutit à une réelle prise de conscience et à un engagement personnel constructif. Mais il arrive aussi que cet engagement soit mal maîtrisé, avec des risques pour la santé. J’ai parlé avec une militante de mon âge qui peine à prendre de la distance. L’écoanxiété n’est pas un mythe.

Les organisations militantes parviennent-elles à intégrer des mineur-es?
Celles que j’ai étudiées possèdent une organisation assez horizontale et non hiérarchique, ce qui facilite l’intégration des plus jeunes. Ces derniers/ères se voient donc confier les mêmes responsabilités que les plus âgé-es.

Comment les jeunes perçoivent-ils/elles le regard de leurs parents sur leur engagement?
La plupart des parents partagent des opinions similaires ou, en tout cas, les tolèrent. Le mouvement a réussi à avoir un impact médiatique fort, et les jeunes militant-es ont pu avoir le sentiment que les adultes leur étaient reconnaissant-es de passer à l’action. Mais la société véhicule aussi pas mal de clichés sur ces jeunes qui manifestent la semaine et passent leur week-end à Barcelone en voyageant en avion. Ces critiques ne sont pas infondées, mais elles sont instrumentalisées pour délégitimer leur voix dans le débat politique.

 

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