9 avril 2020

 

«Plusieurs entreprises
nous ont demandé
de tester leurs molécules»

 

Karl-Heinz Krause, professeur au Département de pathologie et immunologie (Faculté de médecine), cherche à mettre au point des modèles de cellules humaines permettant de tester de manière très spécifique et en grand nombre des molécules susceptibles de combattre le nouveau coronavirus. Deuxième interview d’une série consacrée aux recherches sur le coronavirus en temps de confinement

 

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eJournal: Qu’est-ce que votre groupe peut apporter à la lutte contre l’épidémie de Covid-19?
Karl-Heinz Krause
: Nous avons des compétences depuis assez longtemps dans le développement de modèles cellulaires in vitro. Il s’agit de cellules humaines dans lesquelles nous recréons un des mécanismes moléculaires du virus (il n’est pas question ici d’infection par le virus entier). Ces modèles nous permettent ensuite de tester l’efficacité ou la toxicité de diverses substances et d’en déduire des informations pertinentes pour l’être humain. Les outils de test que nous mettons au point sont précis et permettent un criblage à haut débit, c’est-à-dire que l’on peut faire réagir simultanément un grand nombre de molécules différentes. Une fois développés, ces tests sont destinés à être mis à la disposition d’autres groupes de recherches impliqués dans l’identification et la conception de remèdes contre ce nouveau coronavirus (SARS-CoV-2 ou coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère).

Que peut-on tester sur ces modèles cellulaires?
Des médicaments, des anticorps, des produits naturels, etc. Une catégorie de produits très intéressante est celle d’anciens médicaments (antibiotiques, immunosuppresseurs, etc.) qui ont été approuvés depuis longtemps et dont l’innocuité a été largement démontrée. La Faculté de médecine dispose de plusieurs milliers de ces produits justement pour évaluer les possibilités de leur réutilisation (repurposing drugs) en vue de traiter d’autres maladies. Dès que nos modèles seront au point, nous pourrons tester ces échantillons et, avec un peu de chance, dénicher de bons candidats dont les patients et les patientes pourraient bénéficier assez rapidement.

Plusieurs groupes dans le monde testent actuellement une large gamme de produits pour trouver des remèdes au Covid-19. Quel est l’avantage de votre approche?
Nos modèles permettent de tester l’action de molécules thérapeutiques sur des cibles très précises, qui sont biochimiquement bien définies. Nous en avons identifié trois pour chacune desquelles nous sommes en train de développer un modèle spécifique. Ces trois projets ont reçu l’aval du Décanat de la Faculté de médecine, condition indispensable pour pouvoir poursuivre des activités de recherche au Centre médical universitaire (CMU).

En quoi consistent-ils?
Notre première cible est le mécanisme moléculaire qui permet au virus d’entrer dans les cellules humaines. La protéine virale de surface qui lui sert de passe-partout a été identifiée il y a quelques mois déjà. Il se trouve qu’elle existe sous un nombre assez grand de variantes (je parle de variations naturelles car nous n’avons pas encore détecté de mutations qui rendraient le virus potentiellement plus dangereux). C’est une caractéristique assez curieuse pour un coronavirus. Cette famille de virus dispose en effet d’un système de «contrôle de qualité» qui fait que les variations génétiques sont faibles en général. Quoi qu’il en soit, notre modèle doit permettre de tester ces différentes variantes. À cette fin, nous venons de rassembler un millier de séquences ARN qui codent pour cette protéine. C’est notre bio-informaticien qui les a extraites, une à une, d’une base de données en libre accès (GISAID/www.gisaid.org) contenant les séquençages du coronavirus réalisés par les laboratoires du monde entier et dont le contenu double tous les trois ou quatre jours.

Quelle est la deuxième cible?
Le nouveau coronavirus dispose d’une autre arme fascinante. Il s’agit d’une protéine capable de transformer la cellule hôte en véritable zombie. Cette dernière, si elle est infectée, arrête alors toute activité pour se consacrer exclusivement à la synthèse de protéines virales, nécessaires à la réplication du «parasite». Le modèle que nous élaborons est conçu pour trouver des molécules capables d’inhiber cette protéine, qui joue sans doute un rôle important dans la pathologie pulmonaire sévère.

Et la dernière?
Il s’agit d’une cible classique, à savoir la polymérase du virus. Il s’agit de l’enzyme qui assure la réplication du génome du virus à l’intérieur de la cellule hôte. Les tests habituels pour les polymérases sont en général réalisés dans des environnements biochimiquement purs dans lesquels il n’est pas facile de réaliser un criblage à haut débit. Ce qui n’est pas le cas avec nos tests. Pour ce projet, nous ne voulons d’ailleurs pas nous contenter du nouveau coronavirus mais concevoir une plateforme qui permette de tester la polymérase de plusieurs autres virus (Ébola, MERS, SRAS…) en même temps.

Avez-vous des demandes de la part de l’industrie?
Oui, de nombreuses entreprises ont entendu parler de notre travail et nous ont déjà approchés pour faire tester leurs molécules. Tout ce qui relève de la collaboration scientifique, nous le prenons en charge dans notre laboratoire. Mais dès qu’il s’agit d’un service plus spécifique, je transmets la demande à la start-up que nous avons créée il y a quelques années, Neurix. Celle-ci bénéficie d’un transfert des technologies que nous développons dans le laboratoire.

Peut-elle travailler sous le confinement partiel qui règne actuellement?
Oui. Neurix est basée dans un autre bâtiment de la Faculté de médecine (la Tulipe). Nous avons obtenu qu’elle puisse poursuivre ses activités à condition que ses projets concernent le Covid-19 et qu’ils soient à chaque fois approuvés par le Décanat.

Les conditions de travail dans votre laboratoire sont-elles difficiles à cause du confinement?
En réalité, la situation au CMU n’est pas très compliquée. Il n’y a que quatre groupes qui sont actifs dans le bâtiment [dont celui d’Isabella Eckerle, lire l’eJournal n° 2, ndlr]. Tous les autres ont dû arrêter leurs activités. Nous n’avons donc aucun problème pour pratiquer la distanciation sociale.

Avez-vous eu de la peine à conserver vos collaborateurs et collaboratrices?
Tous et toutes n’ont pas pu continuer à travailler pour différentes raisons. Mais le Décanat nous a suggéré de lancer un appel à volontaires auprès des autres scientifiques de la Faculté, privés de toute activité expérimentale depuis des semaines.

L’avez-vous fait?
Oui et nous avons eu un très grand nombre de réponses positives, beaucoup plus que ce dont nous avions besoin. C’était fantastique. J’ai ainsi hérité de quatre chercheurs – brillants soit dit en passant – qui sont venus renforcer notre équipe.

Poursuivez-vous vos activités cliniques?
Oui. Je suis infectiologue et je continue de voir des patientes et des patients, dont bien sûr des malades du Covid-19. Il y en a vraiment beaucoup. Les HUG ont fait un travail admirable de préparation. Je suis convaincu que l’on n’arrivera jamais au point de devoir faire un triage entre les malades qui pourraient bénéficier de soins et celles et ceux qui en seraient privés par manque de moyens. Cela dit, j’ai été confronté à de nombreuses situations difficiles dans ma carrière de médecin, notamment dans des régions pauvres ou en conflit. Mais je n’ai jamais vu un hôpital comme ça. Aux soins intensifs, les lits sont installés les uns après les autres, accueillant à chaque fois un patient ou une patiente intubée. Il ne faut pas sous-estimer la situation.

 

 

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