7 mai 2020

 

«Tout va tellement vite que les résultats sont diffusés par communiqués de presse»

 

Alexandra Calmy, professeure associée à la Faculté de médecine, est impliquée dans trois essais cliniques visant à tester l’efficacité de traitements existants contre le Covid-19. Les évaluations portent sur l’hydroxychloroquine, l’association lopinavir/ritonavir et le remdésivir. Tour d’horizon

 

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eJournal: Le fabricant américain du remdésivir a annoncé la semaine dernière des résultats d’une étude qu’il pilote et à laquelle vous participez. Que disent-ils?
Alexandra Calmy: Ils montrent qu’avec un traitement de cinq ou dix jours, on obtient le même résultat: dans les deux cas, on constate une amélioration au bout d’une dizaine de jours de l’état de santé de la moitié des patientes et des patients atteint d’une pneumonie sévère liée au Covid-19. C’est une bonne nouvelle car cela laisse entrevoir une réduction du temps d’hospitalisation. Cette étude ne nous renseigne cependant pas sur l’efficacité véritable du médicament car il n’y a pas de groupe contrôle avec lequel comparer les résultats.

Pourquoi?
En pleine pandémie, il est difficile de ne pas proposer de traitement à des patientes et des patients atteints d’une pneumonie sévère. Pour ce groupe de malades critiques, les investigateurs de cet essai (les fabricants du produit, en l’occurrence) ont émis l’hypothèse que le remdésivir avait un effet bénéfique et ils ont comparé différentes durées de traitement.

Une étude parue le 29 avril dans la revue The Lancet a conclu, pour sa part, que le remdésivir n’a aucun effet. Qu’en pensez-vous?
Il s’agit d’une étude chinoise sur à peu près 200 personnes. Ce n’est pas la première fois que l’on voit un tel résultat venant de ce pays. Au début de l’épidémie, une autre étude chinoise était arrivée à la même conclusion au sujet du lopinavir/ritonavir [une association de deux antiviraux qui, à l’instar de l’hydroxychloroquine, est recommandée par les HUG pour le traitement des malades du Covid-19, ndlr]. Le problème, c’est que les individus enrôlés dans ces deux essais se trouvaient en phase très avancée de la maladie et nombre d’entre eux recevaient des immunosuppresseurs de type stéroïdes. Ils ne ressemblent donc pas forcément à nos patient-es. Les résultats ne sont donc peut-être pas comparables. Cela dit, il y a une troisième étude sur le remdésivir qui vient d’annoncer des résultats.

Sont-ils positifs, cette fois-ci?
Oui. Ils ont été obtenus par les NIH (National Institutes of Health aux États-Unis) et montrent une diminution de 31% du temps d’amélioration clinique chez un groupe traité au remdésivir comparé à un autre n’ayant reçu qu’un placebo. Cela dit, il est toujours difficile de se prononcer car les informations sur cette étude, tout comme sur celle à laquelle nous participons, n’ont été diffusées que sous la forme de communiqués de presse.

Pour des essais cliniques, c’est assez curieux comme manière de procéder...
Il faut dire qu’avec le Covid-19, tout va tellement vite que la plupart des papiers sont publiés avant même d’avoir été soumis à la procédure traditionnelle de relecture par les pairs. Et avec le remdésivir, c’est encore plus flagrant puisque les données sont diffusées par communiqués de presse. C’est très perturbant pour les équipes de recherche. Je n’ai pas l’habitude de lire et de comprendre de tels documents qui ne contiennent pas forcément toutes les informations dont nous avons besoin, comme les critères d’inclusion des patientes et des patients. Cela dit, les trois études portant sur l’efficacité du remdésivir sont randomisées. Elles semblent de bonne qualité – contrairement à ce qui s’est passé jusqu’à présent avec l’hydroxychloroquine, qui a généré une multitude de petites études aux résultats contradictoires et sans beaucoup d’intérêt. Mais il va tout de même falloir attendre encore un peu avant d’être fixé sur la véritable efficacité du remdésivir.

Pourquoi avez-vous décidé de participer à cette étude?
C’était la façon la plus rapide de pouvoir proposer ce traitement aux patientes et aux patients genevois, du moins à celles et ceux qui étaient éligibles pour être enrôlés. Le remdésivir, qui ciblait initialement la maladie d’Ébola, est en effet un produit en plein développement. Il n’est pas encore commercialisé ni même approuvé par les autorités sanitaires. À cause de la situation d’urgence, le fabricant a reçu l’autorisation exceptionnelle de procéder à des essais cliniques de phase III sur des personnes atteintes de Covid-19. À Genève, nous avons pu rejoindre l’étude assez rapidement, alors que la vague d’hospitalisation était au plus haut. La plupart des patient-es sont aux États-Unis. Nous en avons enrôlé 26 à ce jour, soit la plus importante contribution en Suisse à cette étude.

Vous testez d’autres médicaments sur des patient-es genevois-es atteint-es de Covid-19. Qu’en est-il?
Nous participons à deux autres études. La première (baptisée CoPEP) est une étude académique, que nous avons entièrement préparée et qui a démarré au mois de mars. Elle vise à évaluer différents traitements préventifs non pas sur les malades du Covid-19 eux-mêmes mais sur des personnes qui ont été en contact rapproché avec eux. L’essai, financé par la Fondation privée des Hôpitaux universitaires de Genève, comprend trois axes. Le premier teste l’efficacité de l’hydroxychloroquine, un médicament antipaludéen bien connu, le deuxième fait de même avec le lopinavir/ritonavir, un traitement anti-VIH, et le troisième ne comprend pas de médicaments mais une surveillance clinique très étroite. L’idée consiste à identifier laquelle de ces trois stratégies arrive le mieux à éviter que les «contacts» ne deviennent positifs à leur tour, ne tombent malades ou ne soient hospitalisés.

Comment réalisez-vous cette surveillance étroite?
Nous travaillons avec une petite start-up de Zurich qui a développé pour nous une application permettant de se connecter via son téléphone portable et de noter tous les jours les éventuels symptômes ressentis. Et nous n’appelons la personne que s’il y a une alerte afin de procéder aux tests et analyses nécessaires.

Quand aurez-vous des résultats?
Il est beaucoup trop tôt. Nous avons commencé il y a deux semaines et n’avons inclus qu’une dizaine de malades. Nous prévoyons d’en enrôler près de 400 en tout.

Est-ce que cette étude ne vient pas un peu tard, étant donné la décrue actuelle de l’épidémie?
Au contraire. Avec l’assouplissement progressif des mesures de confinement, les risques d’un rebond ne doivent pas être écartés. Il est important de disposer d’outils et d’approches thérapeutiques qui permettraient de contenir d’éventuels nouveaux foyers de Covid-19. La stratégie de prophylaxie testée par CoPEP, basée sur les contacts des personnes infectées, s’est montrée très efficace pour contenir d’autres épidémies (VIH, grippe, malaria ou encore maladie d’Ébola).

Ne risquez-vous pas de manquer de participant-es?
C’est possible. Mais nous cherchons d’ores et déjà des collaborations internationales. Cela dit, nous avons fait le plus vite possible. Il s’agit tout de même d’un essai clinique, soumis à de nombreuses régulations. Il a fallu obtenir l’aval de la commission d’éthique, qui a répondu favorablement très rapidement. Nous avons aussi dû demander une autorisation spéciale à swissmedic car le lopinavir/ritonavir, fabriqué en Inde, n’était pas commercialisé en Suisse sous cette forme. D’habitude, il faut entre trois et six mois pour préparer un essai clinique. Là, nous avons mis trois semaines. C’est un vrai tour de force.

Et la troisième étude?
Il s’agit de l’étude Solidarity, mise en place par l’Organisation mondiale de la santé. Elle est menée dans le monde entier. Le volet suisse est financé par le Fonds national pour la recherche scientifique et coordonné par le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Le but est de tester l’hydroxychloroquine, le lopinavir/ritonavir, le lopinavir/ritonavir plus l’interféron et le remdésivir. Nous venons d’obtenir l’accord de la commission d’éthique pour démarrer aux Hôpitaux universitaires de Genève ainsi qu’à l’Hôpital des Trois-Chênes. On espère le faire cette semaine encore. Il n’est pas sûr que nous arrivions à inclure beaucoup de malades mais il est important de participer à l’effort collectif.

 

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