8 Juillet 2021 - Melina Tiphticoglou

 

Événements

Au grand bazar de l'évolution

Les Conservatoire et Jardin botaniques consacrent une exposition à l’évolution, théorie qui explique l’extraordinaire biodiversité terrestre. Centré sur les végétaux et illustré par les collections vivantes du jardin, le parcours aborde l’histoire de la vie, les mécanismes et la science de l’évolution ainsi que l’influence humaine.


 

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Un bloc de grimpe modifié, une idée du jardinier chef, illustre les adaptations des plantes de montagne. Photo: CJBG

 

Pour survivre dans des environnements secs, les cactus ont de grosses tiges qui stockent l‘eau et pas de feuilles. Pour ne pas manquer d’attirer les insectes dont la période de pollinisation est courte, les plantes de montagne développent des fleurs aux couleurs très vives. Et c’est ainsi pour chacune des 10 millions d’espèces qui peuplent la Terre. Toutes occupent un territoire, une niche écologique particulière à laquelle elles sont adaptées, en recourant parfois à des mécanismes d’une ingéniosité remarquable. À l’origine de cette très grande diversité: l’évolution, théorie qui explique la transformation du monde du vivant au cours du temps. Mais aujourd’hui, notamment sous l’influence des activités humaines, la biodiversité est menacée, près d’un tiers des espèces sont en danger.

Aux Conservatoire et Jardin botaniques de Genève (CJBG), une exposition raconte l’évolution le long d’un parcours en plein air, divisé en quatre pôles: la grande histoire de la vie, les mécanismes de l’évolution, la science de l’évolution et l’influence humaine. Centrée sur le monde végétal et illustrée par les collections vivantes du Jardin, l’exposition vise à susciter l’émerveillement et à éveiller une certaine responsabilité, parce que «connaître l’évolution permet de comprendre ce qui nous entoure, et ainsi de mieux respecter et protéger l’extraordinaire biodiversité qui peuple notre planète», selon les termes de Yamama Naciri, conservatrice et commissaire de l’exposition, avec Romain Dewaele, médiateur scientifique. Visite guidée.

 

Point de départ: le bord du lac, près du bâtiment La Console qui abrite une partie des activités de recherche. Accompagné-e par le clapotis des vagues et le cri des mouettes, on découvre une frise chronologique géante représentant l’histoire de la vie sur Terre, en 14 étapes, symbolisées par des barges flottant sur le lac et des stations sur le sol. Chacun de nos pas représente 5 millions d’années. Pour Yamama Naciri, «il était important d’ancrer dans le physique ces échelles de temps difficiles à appréhender».

Tout commence, en effet, il y a 4,5 milliards d’années, avec la formation de la Terre, signalée par une barge placée à 575 mètres du rivage que l’on distingue à l’aide de jumelles. Il faut attendre près d’1 milliard d’années pour qu’apparaissent les premières traces de vie, et encore autant pour que des bactéries acquièrent la capacité de faire de la photosynthèse. C’est en capturant une de ces petites cellules photosynthétiques (une cyanobactérie), qu’une plus grosse cellule donne naissance à la lignée des plantes, il y a 1 milliard d’années. Exclusivement aquatique, la vie sort alors petit à petit de l’eau. Les premiers colonisateurs, les lichens et les mousses, trouvent d’abord un monde entièrement minéral sur lequel, grâce à leur expansion, des sols se forment et des substrats se créent.

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Frise chronologique géante représentant l’histoire de la vie sur Terre, symbolisées par des barges flottant sur le lac. Photo: CJBG

L’histoire des végétaux se poursuit maintenant sur Terre et chaque innovation acquise transforme progressivement le monde représenté à l’aide de petites tranches de paysages similaires à ceux de l’époque. L’acquisition des racines et des vaisseaux conducteurs donne de la hauteur aux plantes, celle de la graine permet de passer un moment de l’année en dormance et de résister au froid et à la sécheresse ambiants. Apparues il y a 180-200 millions d’années, les fleurs attirent les pollinisateurs, quant aux fruits, ils favorisent la dispersion des graines par l’intermédiaire des animaux et conduisent à une augmentation des interactions entre espèces.


À l’échelle de cette frise chronologique, Homo sapiens ne représente guère plus de 4 cm, les premières civilisations moins d’1 mm et une vie individuelle la taille d’une bactérie. «Mais l’histoire n’est pas linéaire, précise Romain Dewaele, elle est ponctuée d’extinctions massives suivies de radiations évolutives. Nous avons illustré celle du Permien, survenue il y a 252 millions d’années, l’une des plus grandes extinctions que la Terre ait connues: 95% des espèces marines et 70% des espèces terrestres disparaissent. Cinq événements cataclysmiques de ce type ont eu lieu au cours de l’histoire. Chacun a causé l’extinction de nombreuses espèces, mais a donné en même temps de nouvelles opportunités aux survivantes.»


Le parcours se poursuit le long de l’allée qui mène au tunnel sous voie conduisant au Jardin botanique. Sur le mur adjacent, un arbre phylogénétique de 23 mètres présente la parenté entre tous les êtres vivants qui peuplent notre planète. «Nous sommes tous cousins à des degrés divers, détaille Romain Dewaele. En remontant les branches de l’arbre, on peut retracer l’histoire et découvrir quand certaines espèces sont apparues et de qui elles sont le plus proches évolutivement.» L’objet, relativement complexe à déchiffrer, est prévu comme un support de médiation, notamment lors d’accueil de classes, et restera en place après la fin de l’exposition.

Seulement trois ingrédients
Une fois passé le tunnel sous voie, le bruit de la circulation s’éloigne. On pénètre dans le Jardin botanique pour aborder les mécanismes de l’évolution. Pour Romain Dewaele, ceux-ci peuvent se résumer à trois ingrédients: la variation génétique, la transmission des caractères d’une génération à l’autre et les contraintes provenant tant de l’environnement que des interactions avec les autres organismes. Le public est alors invité à se mettre dans la peau d’un-e programmeur/trice de jeu vidéo et à simuler le développement de la vie sur une planète vide afin d’atteindre la biodiversité observée sur Terre. La promenade se poursuit sur les hauteurs du chemin, où un bloc de grimpe modifié illustre les adaptations des plantes de montagne. Soumises à des conditions extrêmes, celles-ci présentent des formes similaires: elles sont petites, formant tantôt des rosettes, tantôt des coussinets ou encore sont couvertes de poils. C’est le résultat de la sélection naturelle. «On croit souvent qu’il s’agit de la sélection du plus fort, commente Yamama Naciri, mais en réalité, c’est plutôt la sélection du plus apte, voire l’élimination de celui qui l’est le moins. Et le résultat n’est pas toujours un optimum, mais le fruit d’un compromis entre de très nombreux facteurs. À cela s’ajoute le hasard, qui joue également un grand rôle.»

Science de l'évolution
Comment sont établies les lignées phylogénétiques? Sur quels critères? Réponse dans le troisième pôle, consacré à la science de l’évolution. Sur l’esplanade du Jardin d’hiver, un arbre phylogénétique tracé au sol mène à 12 bacs contenant des familles de plantes de nos régions. L’histoire évolutive de chacune d’entre elles est retracée en recourant à plusieurs registres de preuves, tels que des fossiles, la comparaison morphologique ou la biogéographie. «L’utilisation du séquençage ADN a révolutionné la manière de faire ces phylogénies, explique Romain Dewaele. Entre 1998 et 2016, le domaine a connu quatre grandes révisions qui ont clarifié l’histoire évolutive des plantes.» L’installation peut s’admirer depuis les hauteurs d’un gradin, dont la paroi est recouverte de la liste de toutes les espèces décrites par les chercheuses et chercheurs des CJBG depuis 2000, soit environ 180. «Il s’agit d’une de nos missions importantes. Dans notre monde, une espèce qui n’est pas décrite n’existe pas, explique Yamama Naciri. La description lui donne une existence juridique.»

Biodiversité en danger
Le dernier pôle questionne notre influence. «On assiste aujourd’hui à une réduction dramatique du nombre de variétés et de la diversité génétique des végétaux, explique Yamama Naciri. Sur les 6000 espèces de plantes cultivées, 9 comptent pour 66% de la production mondiale. C’est un véritable problème, car une espèce qui n’a pas assez de diversité au sein de ses populations n’est pas capable d’évoluer et est vouée à disparaître si le milieu change. Or on sait que le milieu change et qu’il change très vite.» Quatre problèmes principaux sont désignés, accompagnés de solutions potentielles: la monoculture, la résistance aux pesticides, l’influence humaine sur les écosystèmes et les changements climatiques. Pour souligner l’urgence, la scénographie se modifie, un arbre en travers du bassin, où les grenouilles n’ont pas cessé de chanter, semble annoncer la catastrophe. «Pour l’éviter, nous devons apprendre à reconnaître ce qui nous entoure, car cela suscite l’émerveillement qui est un excellent moteur de prise de conscience. Il faut également changer notre regard sur nous-mêmes: nous ne sommes qu’une espèce parmi d’autres, récipiendaire de cette histoire évolutive. Cela nous donne le devoir de protéger ce qui nous entoure et dont nous faisons intimement partie», conclut Yamama Naciri.

 

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Les dessins de Giorgio Pesce illustrent de manière humoristique les panneaux de l'exposition.

LE GRAND BAZAR DE L'ÉVOLUTION

Exposition de plein air, accessible en tout temps, en français et en anglais
Pour les plus jeunes: le carnet d'exploration sur l’évolution, à compléter en famille, et la brochure Le grand bazar de l’évolution, à consulter dès 15 ans

Jusqu’au 17 octobre 2021 | 8h – 19h30 | Entrée libre
Conservatoire et Jardin botaniques de Genève

Pour en savoir plus

 


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