3 juin 2021 - Melina Tiphticoglou

 

Événements

Plongée dans le monde fractal

La salle d’exposition de l’UNIGE invite le public à découvrir le monde fascinant des fractales, objets tant mathématiques qu’artistiques, avec, entre autres, la construction collective de la première fractale géante en 3D de Suisse.


 

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Le chou romanesco, variété de chou-fleur originaire de Rome en Italie, dont la morphologie est un cas typique de structure fractale de niveau 3. Photo: DR

 

Jusqu’au 31 juillet, la salle d’exposition de l’UNIGE plonge ses visiteurs/euses dans le monde fascinant des fractales, objets mathématiques présentant une structure similaire à toutes les échelles. À cette occasion, la première fractale géante en 3D de Suisse sera construite collectivement. À l’aide de six cartes de visite, chaque participant-e pourra en effet élaborer un cube qui sera incorporé à la structure en cours. Le résultat final devrait dévoiler une éponge de Menger de niveau 3, structure fractale de 2 m3, constituée de 48’000 cartes de visite. Mais qu’est-ce qu’une fractale? Et une éponge de Menger de niveau 3? S’agit-il d’art ou de mathématiques? Réponses avec Elise Raphael, officier scientifique du Pôle national de recherche SwissMAP, l’une des deux conceptrices de l’exposition avec Sandie Moody, responsable du projet Agora Mathscope@Large.

 
LeJournal: Comment définit-on une fractale?
Elise Raphael: Les fractales ne sont pas des objets faciles à décrire. Les spécialistes elles/eux-mêmes ont du mal à en donner une définition mathématique précise. Nous avons choisi de retenir trois caractéristiques. La première, que nous valorisons dans l’exposition, est que chaque partie d’une fractale reproduit en taille réduite la même structure que le tout: quelle que soit l’échelle à laquelle on regarde l’objet on retrouve une partie ou la totalité de  l’image originelle. La deuxième caractéristique est que les images fractales ont souvent une forme irrégulière ou fragmentée et ce, à toutes les échelles. Enfin, elles contiennent des éléments discernables à toutes les échelles, c’est-à-dire que des détails supplémentaires apparaissent au fur et à mesure que l’on zoome dans l’objet.

Vous utilisez des représentations visuelles pour décrire les fractales, où sont les mathématiques?
Cela dépend du type de fractale. Dans l’exposition, nous en distinguons trois «sortes». Les premières sont naturelles. On les observe, par exemple, dans les branches des arbres, dans les poumons ou dans les galaxies spirales. Ce sont des fractales imparfaites, caractérisées par un niveau, c’est-à-dire qu’on peut zoomer un certain nombre de fois avant de ne plus retrouver la structure initiale. Le chou romanesco, par exemple, est de niveau 3. Les deuxièmes sont les fractales géométriques autosimilaires dont la forme est exactement identique quelle que soit l’échelle à laquelle on les observe. Elles sont construites par répétition infinie d’un même processus et c’est dans cette itération qu’interviennent les mathématiques. Le tapis de Sierpiński, par exemple, est obtenu en divisant un carré blanc en neuf carrés identiques, dont on retire celui du milieu et en répétant le processus pour chaque carré restant à l’infini.

Quel est le troisième type de fractale?
Il s’agit des fractales algébriques, sans doute les plus connues du grand public et les plus belles. Elles sont définies de manière essentiellement mathématique. L’exemple le plus répandu est l’ensemble de Mandelbrot, qui est à découvrir sur la table tactile de l’exposition. L’image est construite en coloriant les points dans des couleurs différentes, selon leur façon de réagir à une certaine équation. Pour l’ensemble de Mandelbrot, c’est l’expression «zn+1 = zn2 + c» qui a servi au calcul, mais on peut procéder avec d’autres équations algébriques qui donneront des images différentes.

Cela ressemble à un divertissement. S’agit-il d’un objet d’étude sérieux?
C’est vrai qu’il y a un grand intérêt purement artistique des mathématicien-nes pour les fractales. Beaucoup s’amusent à choisir une équation et à découvrir si le résultat est joli ou non. Mais plus sérieusement, il s’agit souvent d’étudier une suite de nombres qui présente un comportement extrêmement intéressant. Les ensembles de Julia, par exemple, décrits au début du XXe siècle, ont été étudiés avant tout pour leurs propriétés et sont à l’origine d’une banche des mathématiques.

De quand date la découverte des fractales?
Même si beaucoup s’amusaient déjà avec ces objets mathématiques particuliers, c’est Benoît Mandelbrot (1924-2010) qui est considéré comme le père des fractales. En 1967, il publie un premier article scientifique sur la longueur de la côte de Grande-Bretagne qui varie selon l’échelle à laquelle on la mesure. Il va ensuite s’attacher à caractériser et à décrire mathématiquement les objets fractals pendant une quinzaine d’années.

La côte de Grande-Bretagne n’a pas une longueur fixe?
Non, c’est une côte très irrégulière, en partie en raison de l’érosion. Plus on mesure précisément sa longueur, plus la valeur trouvée est grande. Théoriquement, elle pourrait même être infinie. Et c’est le cas pour toute frontière naturelle. Elle présente en réalité une dimension fractale.

Pouvez-vous préciser?
En mathématiques, chaque objet possède une dimension topologique. Une ligne est de dimension 1, car on peut se déplacer dans une seule direction le long de l’objet. Une surface de dimension 2, car il y a deux directions possibles, etc. Les objets fractals refusent d’entrer dans ces catégories «étroites»: ils ont des dimensions qui ne sont pas entières. On parle de dimension de Hausdorff. La côte de Grande-Bretagne, alors qu’on pourrait l’envisager comme une ligne, n’est pas de dimension 1. Elle est tellement dense, faite de tellement de circonvolutions que sa dimension se situe entre 1 et 2. Elle est environ de 1,24.

Existe-t-il des applications à cette notion de dimension fractale?
Oui, il y a un grand intérêt pour le sujet en imagerie médicale. La recherche est très active et de nombreuses publications paraissent actuellement. Les fractales peuvent en effet aider à dépister certaines pathologies, telles que l’ostéoporose ou le cancer du sein. Comme les bords des cellules cancéreuses sont très irréguliers, il est possible de calculer la dimension de leur périmètre et, si la valeur trouvée est fractale, déduire qu’il s’agit probablement de cellules cancéreuses. Cette méthode par le calcul complète le diagnostic visuel.

Le public est invité à participer à la construction d’une éponge de Menger. De quoi s’agit-il?
L’éponge de Menger est l’équivalent en 3D du tapis de Sierpiński: on commence avec un cube, qu’on divise en 27 parties identiques. On retire les cubes centraux et pour chaque petit cube restant, on recommence, en répétant l’opération à l’infini. Dans l’exposition, on procède à l’envers, au lieu d’enlever de la matière d’un énorme cube, on en construit des petits qu’on assemble. On démarre avec six cartes de visite que l’on plie et unit pour obtenir un cube de niveau 0. Avec 20 de ces pièces, on peut construire une éponge de Menger de niveau 1. Il nous en faudra 400 pour atteindre le niveau 3.

Pourquoi construire une telle structure?
C’est un bel objet, facile et amusant à construire, qui a une signification mathématique. Dans l’exposition, une vidéo nous permet de plonger dans une éponge de Menger et de découvrir à quel point l’objet fractal est fascinant. On peut s’insinuer dans les trous et se balader à l’infini.

 

PLONGÉE DANS LE MONDE INFINI DES FRACTALES

Exposition

Juqu'au 30 juillet 2021
Uni Carl Vogt, 66 bd Carl-Vogt, 1205 Genève

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