Certains ouvrages, par leur thématique ou leur propos, ont longtemps été bannis des bibliothèques. Les livres touchant à la sexualité en font partie. Le  mystère entourant ces opuscules n’a pourtant fait qu’accentuer les convoitises. Afin d’éviter le vol, certain-es propriétaires ont adopté la pratique de l’ex-libris, datant du XVe siècle. Ils et elles ont alors fait appel à des artistes afin de créer une vignette les désignant comme unique possesseurs. Traces de certains fantasmes, initiales cachées, indices sur l’imaginaire érotique: ces miniatures sont truffées de secrets et de signes – allant du tragique au provocateur, en passant par le loufoque –tant sur les commanditaires que sur les artistes qui les ont conçus.

 

Une réappropriation des clichés

Six thématiques principales, articulées de différentes manières, se dégagent des ex-eroticis collectionnés par Michel Froidevaux. La Bible offre notamment un terreau de créativité fertile. Des scènes cultes, telles qu'Eve et le fruit défendu, ou Judith tuant Holopherne, sont réinventées dans des versions souvent blasphématoires ou comiques. Dans d’autres ex-eroticis, l’érotisme se mêle à l’ivresse à travers des stéréotypes empruntés à la mythologie grecque et romaine: des femmes tenant une grappe de raisins, des coupes de vin ou des jarres. Dans le domaine des mythes antiques, une fable est particulièrement reprise: celle de Léda et du cygne.

Certain-es artistes et commanditaires se laissent aussi aller à la fantaisie. Des ailes greffées sur un corps de femme, une tête de volatile ou encore des sorcières nues volant sur des chèvres: la figure de l’hybride permet toutes les extravagances et allusions érotiques. D’autres ex-eroticis prennent le contre-pied de cette posture en adoptant un genre tragique et mélancolique lié à la mort et au caractère éphémère de la vie. C’est également par un jeu de regards et un choix de cadrage que commanditaire et artiste se dévoilent. Même de façon involontaire, les yeux du spectateur/trice sont guidés, que ce soit par le regard d’hommes fascinés devant le dos d’une femme nue ou par une scène érotique déployée à l’intérieur d’un trou de serrure. D’autres défient les codes moraux et se jouent de la pudeur accordée aux parties intimes. Bien loin d’être cachées, elles sont ici exposées en gros plans et de manière explicite et provocante.

Si les ex-eroticis revendiquent parfois une certaine libération sexuelle, ces représentations semblent quelque peu figées dans le temps. Objectivation du corps de la femme, représentations stéréotypées, soumission de la figure féminine et regard principalement masculin : les vignettes peuvent sembler sexistes en regard des normes contemporaines. Cependant, même si cet art peine à se féminiser, Michel Froidevaux a également collectionné des ex-eroticis d’artistes ou de commanditaires féminins, ainsi que quelques rares pièces issues de la culture queer.