2 octobre 2025 - Manon Voland

 

Vie de l'UNIGE

Talents pluriels, ou comment conjuguer carrière artistique et parcours académique

Depuis quatre ans, le programme Talents pluriels: sport-art-études accompagne les étudiant-es de l’UNIGE qui jonglent entre études et carrière artistique ou sportive. Cette rentrée, cinq artistes aux trajectoires singulières rejoignent l’Université. 


 

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Image : Adobe Stock


Allier études universitaires et carrière artistique exige une organisation particulière. Répétitions, tournées et spectacles constituent autant d’engagements qui rendent difficile la planification d’un cursus universitaire. Pour soutenir ces étudiant-es et leur offrir les mêmes chances de réussite, l’UNIGE a créé en 2022 (il existait depuis 2006 un programme de soutien dédié aux sportifs et sportives d’élite) le programme Talents pluriels: sport-art-études, qui propose des solutions flexibles comme des plans d’études personnalisés ou un étalement de la durée des cursus. Lors de cette rentrée 2025, 41 étudiant-es font partie du programme, dont 23 nouvellement admis-es, parmi lesquel-les figurent seulement cinq artistes. Selon Ambroise Barras, conseiller culture à l’Université de Genève, «cela s’explique en partie par le fait que les domaines artistiques disposent souvent de filières professionnalisantes, contrairement aux disciplines sportives. Les sportifs et sportives d’élite qui souhaitent poursuivre des études supérieures font donc face à des choix plus restreints.»

Le programme Talents pluriels se veut plus qu’un simple accompagnement: il vise à créer des passerelles entre les disciplines, à encourager les rencontres et les convergences de projets entre les membres du programme. Si les critères d’éligibilité pour les sportifs et sportives reposent sur des éléments objectifs tels que les cartes Swiss Olympic, ceux-ci sont plus flexibles pour les carrières artistiques. Comme le souligne Ambroise Barras: «Il ne s’agit pas de juger le mérite, mais la qualité et la rigueur d’une démarche et d’une carrière.»

L’art en mouvement: repenser sa trajectoire

Clotilde Rullaud – chanteuse, flûtiste et étudiante en Bachelor de psychologie –, Eva Fischer – accordéoniste et étudiante en Master de psychologie clinique intégrative –, Lucie Eidenbenz – danseuse-chorégraphe et étudiante en psychologie et sciences de l’éducation –, Olga Reznichenko – altiste et étudiante en Bachelor d’économie et de management – et Taisha Barton-Rowledge – danseuse et étudiante de Master au Global Studies Institute – viennent toutes de rejoindre le programme Talents pluriels. Chacune se trouve à un moment différent de sa carrière: au début pour certaines, avec un parcours artistique déjà riche pour d’autres, mais toutes sont désireuses de repenser ou d’élargir leur trajectoire.

Chez ces cinq artistes, deux grandes aspirations se dégagent quant au choix de poursuivre des études parallèlement à leur carrière artistique: d’une part, la volonté de croiser les disciplines afin de nourrir leur pratique et de donner une dimension concrète et sociale à leur art; d’autre part, le désir de prendre du recul, d’élargir leur regard et de retrouver une posture d’apprenante, en s’accordant un temps de recherche et d’inspiration. Portraits.



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KANANAYE @TAMANOIR ©Jean-Pierre-Peixotau

Clotilde Rullaud, chanteuse, flûtiste et étudiante en Bachelor de psychologie

Naviguant entre Paris et Genève, Clotilde Rullaud entretient un lien fort avec la scène locale à travers les Ateliers d’ethnomusicologie (ADEM), où elle enseigne depuis plusieurs années. Vocaliste et flûtiste formée dès l’enfance, elle explore les résonances, les langues et leurs contextes culturels. Artiste en mouvement, elle a nourri sa recherche en explorant l’Irlande, le Liban, les Balkans, les États-Unis ou le Burkina Faso, où elle a récemment enregistré un album intitulé Kananayé (2024) avec quatre musiciens burkinabè. Titulaire d’un Master en management, Clotilde Rullaud reprend aujourd’hui le chemin de l’Université dans le cadre d’un Bachelor en psychologie destiné à lui ouvrir les portes d’un Master en logopédie. «L’un de mes élèves aux ADEM, qui vient de finir ce cursus, m’a encouragée à me lancer. Il m’a confié que plusieurs de ses intervenantes étaient d’anciennes chanteuses et qu’il avait pu faire énormément de liens entre ce que je lui avais transmis en chant et cette formation. Cela m’a paru une évidence.» Pour Clotilde Rullaud, musique et langage sont en effet deux univers poreux: «Je souhaite que mes études aboutissent à quelque chose de concret: développer des approches musicales et chantées pour des personnes confrontées à des obstacles de communication ou marginalisées, ainsi que pour des chanteuses et chanteurs rencontrant des difficultés avec leur voix. J’aimerais faire de ce temps à l’Université un temps de réflexion qui puisse nourrir ma pratique.»



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Eva Fischer, accordéoniste et étudiante en Master de psychologie clinique intégrative

Attirée depuis toujours par les arts vivants, Eva Fischer mêle musique et cirque contemporain au fil d’un parcours hors norme. À 17 ans, elle vit dans une roulotte à l’école de cirque de Genève tout en intégrant le conservatoire de jazz de Lausanne. Après un an, elle rejoint l’École supérieure de musique de Lausanne dans la classe d’accordéon de Stéphane Chapuis, avant de partir deux ans pour un tour du monde à vélo et en voilier. À son retour, elle se forme au théâtre de mouvement à Bruxelles et Berlin, travaille comme metteuse en scène dans le milieu du cirque contemporain et joue de l’accordéon sur plusieurs projets – le tout en réalisant un Bachelor en psychologie à distance. À la même époque, elle découvre les bals folks, qui la fascinent immédiatement: «C’est un univers où la musique live nourrit le plaisir du mouvement et crée une véritable cohésion. J’aime ce sentiment de co création, entre danseurs/euses et musicien-nes et l’abolition de la séparation traditionnelle entre scène et public.» Aujourd’hui engagée dans un Master de psychologie clinique intégrative, Eva Fischer poursuit une quête transversale: faire dialoguer ses expériences artistiques avec ses études. «Je rêve de transdisciplinarité, de pouvoir amener et partager dans chacun des domaines les éléments cultivés dans les champs voisins. Je me suis d’ailleurs aperçue récemment qu’il était possible de réaliser un mémoire sur la musique en psychologie cognitive, ce qui m’a instantanément enthousiasmée. »


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Olga Reznichenko, altiste et étudiante en Bachelor d’économie et de management

Formée dès l’enfance à la musique classique, Olga Reznichenko a étudié à la HEMU Valais-Wallis ainsi qu’à la Hochschule der Künste Bern. Elle a d’abord joué du violon avant de se consacrer à l’alto, qu’elle pratique professionnellement depuis plus de vingt ans. Si la passion reste intacte, elle a choisi d’élargir son horizon en rejoignant la Faculté d’économie et de management (GSEM): «C’était difficile de m’imaginer altiste toute ma vie: j’adore la musique, mais j’ai aussi envie de me lancer dans l’organisation et la production culturelles.» En 2025, elle fonde Olga Ré | Galerie musicale, une association curatoriale qui conçoit des concerts comme des dialogues entre la musique et d’autres formes artistiques. Ce double ancrage, entre pratique instrumentale et études en gestion, lui permet d’envisager ses projets autrement: «Mon parcours musical m’a appris à aller dans les détails et à performer à plusieurs niveaux à la fois. À l’Université, j’apprends à m’adapter, à sortir de ce cadre très spécialisé, à évoluer dans un environnement plus collectif. Cela m’aide aussi à me présenter autrement, à ne pas être seulement artiste, mais à développer une dimension plus sociale qui nourrira mes projets, notamment auprès d’investisseurs/euses.»



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@pecorini.net 

Lucie Eidenbenz, danseuse-chorégraphe et étudiante en psychologie et sciences de l’éducation

Danseuse-interprète, chorégraphe et chercheuse, Lucie Eidenbenz conjugue un parcours artistique et académique singulier. Après des études en lettres et sciences sociales à l’Université de Lausanne, elle se forme à la danse contemporaine et à la chorégraphie, notamment au Centre chorégraphique national de Montpellier, tout en poursuivant un Master en arts politiques à Sciences Po Paris. Depuis 2008, elle développe un travail performatif et pluridisciplinaire de portée internationale, tout en collaborant avec plusieurs compagnies en Suisse et en Europe. Inscrite à l’Université de Genève en psychologie et sciences de l’éducation, elle poursuit un chemin qui relie danse et recherche. «Pour moi, apprendre est un acte créateur. Je vois de la continuité dans ma recherche artistique et académique, dans la création et la transmission. Les clivages et cloisonnements ne font pas partie de ma vision du monde.» Lucie Eidenbenz prépare un projet de recherche chorégraphique qui devrait voir le jour en 2026 et qui explore cette quête d’hybridation entre art, savoir et expérience.



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 "Romeo et Juliette" de Jean-Christophe Maillot, Ballets de Monte Carlo©Alice Blangero

Taisha Barton-Rowledge, danseuse et étudiante de Master au Global Studies Institute

Originaire de Seattle, Taisha Barton-Rowledge commence la danse à l’âge de 2 ans avant de s’engager dans une formation exigeante à la Pacific Northwest Ballet School. À 17 ans, alors qu’elle hésite entre poursuivre la danse et s’orienter vers l’Université, un déclic survient en découvrant Roméo et Juliette de Jean-Christophe Maillot: «Je me suis dit que si je pouvais un jour danser ces chorégraphies et à ce niveau-là, ça valait la peine d’essayer.» Elle rejoint alors le Ballet du Capitole de Toulouse – où elle reste cinq ans –, conciliant carrière et licence en histoire, puis passe huit ans aux Ballets de Monte-Carlo, aux côtés du même Jean-Christophe Maillot. En 2024, à Boston, elle boucle la boucle en présentant au Boston Ballet la chorégraphie de Roméo et Juliette qui a marqué son parcours. Elle entame aujourd’hui un Master au Global Studies Institute et explore, en parallèle, l’Embodied Life, une approche somatique qu’elle souhaite associer à la danse: «En tant qu’artiste, on a l’habitude de travailler en profondeur, de répéter sans cesse un même geste jusqu’à atteindre la perfection. À l’Université, il s’agit surtout de comprendre les connexions entre les matières et d’apprendre à y réfléchir. J’espère que mes études m’aideront à m’éloigner de ce perfectionnisme et à adopter une vision plus large.»

 

 

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KANANAYE @TAMANOIR ©Jean-Pierre-Peixotau