Création d’une chaire sur les mutilations génitales féminines

L’Institut de santé globale, en partenariat avec une ONG internationale luttant contre les mutilations génitales féminines, prépare la création d’une chaire en santé publique et droits humains sur ce sujet

Le 16 janvier dernier, l’Université de Genève et l’Alliance globale contre les mutilations génitales féminines (AG-MGF) ont signé une convention lançant les travaux préparatoires en vue de la création d’une chaire en santé publique et droits humains sur les mutilations génitales féminines (MGF). Annoncée à l’occasion de la Journée internationale de tolérance zéro, cet accord constitue un premier pas vers la création d’une chaire chargée de développer des travaux de recherche, de formation et d’appui au plaidoyer. Le professeur Emmanuel Kabengele, professeur à l’Institut de santé globale de la Faculté de médecine et Holger Postulart, cofondateur de l’AG-MGF, en sont les instigateurs. Entretien croisé.

Comment définit-on une mutilation génitale féminine?

Emmanuel Kabengele: L’OMS définit les mutilations sexuelles féminines comme des interventions qui altèrent ou lèsent intentionnellement les organes génitaux externes de la femme pour des raisons non médicales. Ces pratiques entraînent des effets néfastes graves sur la santé des femmes qui en sont les victimes: hémorragies qui peuvent provoquer la mort, problèmes urinaires, kystes, infections, stérilité, complications lors de l’accouchement et accroissement du risque de décès du nouveau-né. C’est surtout une atteinte à l’intégrité des femmes.

Peut-on chiffrer l’ampleur du phénomène?

Holger Postulart: Les chiffres connus situent à 140 millions le nombre de femmes et de jeunes filles victimes de mutilations génitales dans le monde. Ces chiffres pourraient être sous-évalués, car de nouvelles zones de pratique de l’excision sont découvertes régulièrement. En plus de l’Afrique et de certaines parties de l’Asie et de l’Amérique du Sud, les MGF sont aussi pratiquées au Moyen-Orient. L’ONU souhaite éliminer cette pratique en une génération, soit d’ici à 25 ans au plus tard. Le problème, c’est que, selon les prévisions, il faudrait plus de 70 ans pour éliminer cette pratique. Il faut une structure scientifique pour récolter, évaluer la qualité et analyser les données afin d’éclairer les décideurs en appuyant les efforts de lutte sur le terrain.

Ce qui est précisément le but de cette chaire...

E.K.: Oui, mais pas uniquement. Il faudra aussi trouver le meilleur moyen de développer des études épidémiologiques fines afin de connaître les effectifs de femmes qui ont subi une mutilation génitale, de calculer les coûts économiques et sociaux et de travailler avec les structures sur place pour évaluer l’efficacité des projets de prévention sur le terrain. Il existe en outre des besoins méthodologiques et des besoins de systématisation d’analyse des mécanismes sociaux et culturels qui perpétuent la tradition. Enfin, les effets psychologiques, sociologiques, économiques et politiques ne sont peu ou pas du tout étudiés. De nombreux intervenants n’ont reçu aucune formation adaptée. Ce contexte handicape les actions de prévention et de lutte.

Des collaborations avec des acteurs sur le terrain sont-elles nécessaires?

E.K.: Il est très important que cette structure puisse être pluridisciplinaire et interuniversitaire avec la création d’un réseau de partenaires dans les pays où le problème se pose. Ce sont les acteurs régionaux qui ont les connaissances culturelles nécessaires à la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des programmes de prévention et de lutte.

Pourquoi est-ce si difficile de convaincre les gens d’abandonner ce type de comportement?

H.P.: Les mutilations génitales féminines sont le produit de divers facteurs culturels, religieux et sociaux au sein des familles et des communautés. On excise les filles entre autres à cause de la pression sociale. Dans certaines sociétés, le fait de ne pas être excisée est un obstacle au mariage. Pour d’autres, la pratique des MGF permet de conserver la virginité de la fille et de s’assurer de la fidélité conjugale. Dans certaines communautés musulmanes, les praticiens pensent qu’elles ont un fondement sacré bien que le Coran ne prescrive pas ces interventions. En plus des croyances tenaces, il ne faut pas négliger la place importante que tiennent, dans ces sociétés, les exciseuses. Dans les stratégies de lutte, il est nécessaire de prendre en compte leur statut social et surtout de promouvoir l’éducation des filles comme des garçons.

| pour en savoir plus |

Le site de l’OMS sur les MGF