Journal n°112

Limiter les conflits et faire de l’eau un facteur de coopération

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Une chaire Unesco en hydropolitique vient d’être attribuée à l’UNIGE. Les travaux scientifiques menés par ses chercheurs contribueront à une meilleure connaissance des enjeux politiques de l’eau

«L’eau peut être une  source de tension et d’instabilité, en lien avec des risques sécuritaires majeurs. Elle peut aussi être un puissant instrument de coopération», a déclaré le conseiller fédéral Didier Burkhalter, le 16 novembre dernier, lors du lancement des travaux de la Commission mondiale sur l’eau et la paix. «Faisons de Genève un centre international pour la diplomatie de l’eau», a ajouté le ministre. Un vœu auquel fait écho l’attribution d’une chaire Unesco à l’UNIGE, dans le domaine hydropolitique.

Dans son discours, le chef du Département fédéral des affaires étrangères rappelait que la demande en eau sur la planète allait croître de 55% d’ici à 2030. Son accès posera ainsi de graves problèmes à nombre de pays et de régions. En quelques années, la gestion durable de cette ressource est devenue un véritable défi mondial. Pourtant, peu d’institutions ont concentré leurs recherches sur la dimension politique de l’or bleu, ses implications dans la régulation des rivalités ou la résolution des conflits. Répondre à ces enjeux, c’est précisément l’objectif de la chaire Unesco en hydropolitiques. Le projet GouvRhône, qui propose des pistes de réflexion pour la gouvernance transfrontalière du Rhône, en est un premier exemple (lire ci-contre).

Pour développer ses programmes d’éducation et de recherche, la chaire Unesco pourra bénéficier des multiples compétences déjà présentes à l’UNIGE, notamment à l’Institut Forel, à l’Institut des sciences de l’environnement (ISE) ou encore auprès de la Plateforme de droit international de l’eau douce. Entretien avec la professeure Géraldine Pflieger, titulaire de la chaire, et Christian Bréthaut, adjoint scientifique à l’ISE et directeur de la composante «recherche et éducation» du Pôle Eau Genève (lire encadré).

Quelles sont les problématiques actuelles liées à l’eau?
Géraldine Pflieger
: Au quotidien, l’enjeu se situe essentiellement autour de l’accès à l’eau potable et de l’assainissement. La question du financement de ce service, de la source jusqu’à l’épuration, est devenue déterminante. Par ailleurs, les différents acteurs doivent pouvoir anticiper les impacts du réchauffement climatique et se doter de dispositifs de gouvernance permettant d’agir rapidement. Enfin, reste à déterminer comment se partager de façon équitable une ressource de plus en plus rare. Nous devons imaginer des modèles de gouvernance qui permettent de limiter les conflits et faire de l’eau un facteur de coopération.

Comment?
Christian Bréthaut
: Il s’agit par exemple d’aborder les tensions géopolitiques à travers la lucarne de l’eau. Souvent, les pays en conflit sont en blocage complet sur de nombreux enjeux politiques, alors qu’ils continuent à coopérer au niveau local, notamment en s’échangeant de l’eau pour alimenter les populations. Il faut d’abord comprendre ces modes de collaborations locales pour renforcer ensuite la coopération aux échelles supérieures. Historiquement, l’eau a plus souvent été source de coopération que de conflit. La situation en Syrie et en Irak montre toutefois que l’on peut également utiliser les infrastructures liées à l’eau pour assécher ou inonder des territoires de façon stratégique.

La chaire pourra-t-elle contribuer à la résolution des conflits?
G.P.
: Nos travaux se situent à tous les niveaux des problématiques, qu’elles soient locales, régionales ou internationales. C’est une réelle force de notre chaire, avec des compétences croisées à de multiples échelles qui peuvent être exploitées dans une perspective nord-sud. Par exemple, au niveau des villes, la gestion urbaine de l’eau touche des questions très sensibles autour de son accès et de la durabilité. La privatisation des sources cause de nombreux conflits, avec des communautés qui sont dépossédées de leurs ressources. L’un de nos projets de recherche s’interroge par exemple sur la place des citoyens dans la gestion durable des lacs.

Qu’en est-il au niveau régional et international?
G.P.
: Il y a encore beaucoup de réflexions à mener sur le bassin-versant du Rhône, surtout autour du Grand Genève ou du lac Léman. Nous exploiterons également la méthodologie développée dans le cadre de GouvRhône pour travailler sur d’autres bassins-versants.
Ch.B.: L’une de nos recherches porte par exemple sur le bassin-versant du Nil, où l’Ethiopie construit ce qui sera la plus grande installation de production hydroélectrique du continent africain. Ce barrage aura très certainement des impacts sur les débits du fleuve et sur les pays situés en aval. Nos résultats montrent que la situation ne dépend pas seulement des relations entre Etats, mais qu’elle s’inscrit dans un réseau plus large, dépendant de la production d’énergie électrique à l’échelle africaine. Nous ne sommes pas là pour prescrire des solutions toutes faites, mais bien pour amener des clés de lecture différentes grâce à une approche scientifique.

Les Objectifs du millénaire visaient à l’universalisation de l’accès à l’eau potable et à des services d’assainissement de base. Est-ce toujours d’actualité?
G.P.
: L’objectif a été atteint sur le plan mondial pour l’accès à l’eau potable, mais des inégalités persistent. Certaines populations disposent au robinet d’une ressource de qualité, à un prix abordable alors que d’autres doivent se rendre à un point d’accès public où le liquide est de qualité moindre. Un important travail reste à mener pour que chacun ait accès à un service moderne d’approvisionnement. C’est là que la question du financement intervient avec, d’un côté, la Banque mondiale qui demande une tarification au prix coûtant et, de l’autre, des usagers qui ne peuvent pas payer. Quant à l’assainissement, on est loin du compte avec un fort taux de non-connexion. Un tiers de l’humanité demeure privée de systèmes d’assainissement.


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