Accord sur le climat: l’après-Paris s’annonce périlleux

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L’accord auquel sont parvenus les 195 gouvernements représentés à la conférence de Paris sur le climat exprime la volonté de monter un front commun contre le réchauffement. Cela sera-t-il suffisant?

Tout et son contraire ont été dits au sujet de l’accord conclu le 12 décembre dernier à Paris lors de la conférence sur le climat. Les chefs d’Etat ont vanté la portée historique du pacte qui venait d’être signé. Dans le même temps, plusieurs ONG faisaient part de leur déception: «Un accord sans ambition, non contraignant, injuste et clairement déséquilibré», selon Maxime Combes, porte- parole ­d’Attac-France cité par Le Monde. Où situer la vérité?

«Il ne faudrait surtout pas diminuer la signification de cet accord», estime Martin Beniston, professeur à l’Institut des sciences de l’environnement et ancien membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Le fait que 195 Etats soient parvenus à mettre leurs divergences de côté pour se fixer des objectifs communs a constitué «une réelle bonne surprise sur le plan politique, admet le climatologue. Mais cela reste pour l’instant un accord sur le papier. Le mettre en œuvre est tout autre chose.»

Multiples oppositions

L’application des termes de l’accord ressemble en effet à un parcours semé d’embûches. Dès le 22 avril prochain, le texte sera ouvert à la ratification par les Etats. Un processus périlleux dans de nombreux pays, à commencer par les Etats-Unis, où la majorité républicaine du Sénat fera tout pour annuler les engagements pris par la Maison-Blanche. Comme pour le Protocole de Kyoto, l’Accord de Paris entrera en vigueur après que 55 pays représentant au moins 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre auront déposé leurs instruments de ratification.

Taxer pour investir

A supposer que ce quorum soit atteint, l’aspect contraignant du texte lui-même reste pour le moins sujet à caution. Sa forme juridique a beau être celle d’un traité international qui l’oblige à être exécuté de bonne foi par les parties, «l’absence de mécanisme de sanctions risque fort de compromettre sa mise en œuvre, estime Martin Beniston. Ce d’autant plus que le contexte économique n’y est guère favorable. Les trois quarts du problème du réchauffement sont liés à l’utilisation des énergies fossiles. Or, le prix actuellement extrêmement bas du pétrole n’encourage guère les pays à renoncer à cette source d’énergie.» Selon une étude du Fonds monétaire international, l’industrie des carburants fossiles est subventionnée à hauteur de 500 milliards de dollars par an, sous la forme de financements directs et d’incitatifs fiscaux. «Rien qu’en enlevant ces subventions, on rendrait le marché moins faussé, relève Martin Beniston. Si prévalait par ailleurs une réelle volonté de diminuer la part du charbon et du pétrole, il faudrait taxer ces sources d’énergies de manière suffisamment dissuasive et utiliser le produit de ces taxes pour favoriser les investissements dans les énergies renouvelables. Un pas que peu de gouvernements sont prêts à franchir.»

Dans ce contexte, le vœu émis par l’accord de «poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels», s’il est extrêmement louable, apparaît assez utopique. «Nous sommes vraisemblablement déjà au-delà du 1,2 °C, estime Martin Beniston. Et il faut préciser que cette valeur est calculée sur une période de deux cents ans puisqu’on parle de niveau préindustriel. Or sur 1,3/1,4 °C d’augmentation depuis 1800, 0,8 °C ont eu lieu depuis les années 1980. Nous sommes en pleine période d’accélération de la hausse des températures. Tout porte donc à croire que l’on franchira la barre des 1,5 °C d’ici à 2030-40, avec des impacts parfois importants, notamment pour les pays insulaires.»

Qui va payer les dégâts?

L’Accord de Paris a également été critiqué pour le peu d’aide financière prévue à l’intention des pays en développement, les plus touchés par les effets des changements climatiques. Les pays du Nord, principaux responsables des émissions de gaz à effet de serre, se sont certes engagés, lors de la précédente conférence de Copenhague en 2009, à octroyer 100 milliards de dollars aux pays du Sud, une somme convertie en montant plancher à Paris. Mais ces montants sont insuffisants, en regard des défis qui attendent les régions les plus vulnérables. «Rien que pour protéger le Bangladesh de la hausse du niveau des océans, il faudrait investir cette somme annuellement», confirme Martin Beniston.

La même question se pose en termes de sécurité alimentaire. Martin Beniston prend l’exemple de l’Iran, un pays au climat semi-aride, où l’agriculture est déjà difficile aujourd’hui. Avec un climat encore plus chaud et plus sec, celle-ci ne sera tout simplement plus viable. Qui paiera pour compenser le manque de ressources alimentaires? Est-ce que ce sont les pays du Nord responsables du réchauffement? «Les ressources en eau douce sont déjà un sujet de contentieux entre Etats, observe Martin Beniston. Je pense par exemple à l’Egypte, au Soudan et à l’Ethiopie, trois pays ayant des relations souvent difficiles autour du partage des eaux du Nil.»

Les chinois plus réactifs

L’arme la plus efficace pour lutter contre le réchauffement viendra-t-elle des crises qui s’annoncent et qui obligeront les gouvernements à agir? La Chine, toujours réticente à se voir imposer des normes de l’extérieur, s’est en tout cas ralliée ces dernières années aux objectifs de l’Accord de Paris en constatant la facture qu’elle paie à chaque alerte de pollution dans ses grandes villes. «La première alerte anti-smog à Londres date de 1952, rappelle Martin Beniston. Même si l’on savait depuis le fin du XIXe siècle que les fumées des usines n’étaient pas très bonnes pour la santé, il a fallu attendre plus de cinquante ans pour que les premières mesures réelles commencent à être prises. Les Chinois réagissent donc aujourd’hui beaucoup plus vite que les Européens d’il y a un siècle.»


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