24 janvier 2022 - Jacques Erard

 

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«Hergé n’a cessé de construire son œuvre dans les remous de l’Histoire»

 

 

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De la violence politique du «Pays des Soviets» à l’univers huppé des collectionneurs et faussaires d’art contemporain dans l'«Alph-Art», les aventures de Tintin traversent à grandes enjambées le XXe siècle, ses folies meurtrières et ses conquêtes technologiques, égayant au passage l’imaginaire de millions de lecteurs et lectrices à travers le monde. Le succès est tel que la saga figure elle-même parmi les phénomènes marquant de l’histoire culturelle du siècle. Tintin a son musée à Louvain-la-Neuve dans sa Belgique natale, sa gamme de produits dérivés vendus à prix d’or et ses innombrables contrefaçons, pastiches et autres recyclages. Bref, voilà une œuvre qui, avec son graphisme minimaliste et son héros au visage immaculé, fait figure de mythe des temps modernes.

Professeur honoraire de la Faculté des lettres, l’historien Michel Porret puise dans son érudition tintinophile pour restituer, dans un essai qui se veut ludique, le message universel de l’intrépide reporter à la houppette opposant à la cupidité d’adultes assoiffé-es de pouvoir les valeurs sans âge de l’amitié et de l’empathie à l’égard des plus faibles.

L’ancien boyscout catholique Hergé, auteur de la saga, s’est lui-même frotté aux pires travers de son époque. Jusqu’en 1940, les aventures de Tintin sont publiées en noir et blanc dans l’hebdomadaire Le Petit Vingtième, supplément du quotidien Le Vingtième siècle, dont le directeur, l’abbé Norbert Wallez, collabore avec l’occupant nazi dans la Belgique des années de guerre. Ces accointances semblent valider l’hypothèse d’un Hergé réactionnaire et raciste. Son refus de devenir un des dessinateurs officiels du rexisme, le mouvement belge d’extrême droite sous l’occupation, lui vaut cependant d’être blanchi en 1945. Sans nier ces influences troubles, Michel Porret se rallie, à travers une lecture attentive de l’œuvre, à un jugement nuancé sur un «humaniste conservateur, homme d’ordre, épris de fraternité et de non-violence, opposé à l’embrigadement politique et au fanatisme».

Tintin est d’abord l’ennemi de tous les bandits du monde, escrocs, mafieux, trafiquants d’armes, de drogue et de chair humaine. De l’Europe de l’Est à l’Amérique latine, il déjoue les projets dangereusement mégalomaniaques d’aspirants-dictateurs, tout en s’opposant aux visées impérialistes des grands groupes industriels et financiers dans les pays anciennement colonisés. «Hergé n’a cessé de construire son œuvre dans la contemporanéité, dans les remous de l’Histoire, dans les interstices visibles ou non de la culture», résume Michel Porret.

Objectif Hergé accorde également une place de choix au lexique inimitable de la narration hergéenne, des jurons truculents du capitaine Haddock aux onomatopées culminant, dans Les Bijoux de la Castafiore, en une cacophonie «qui donne à voir le bruit», annonciatrice de l’hypermédiatisation qui s’amorce dans les dernières décennies du siècle.

 

Michel Porret
«Objectif Hergé»
Presses de l'Université de Montréal
160 p.

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