9 décembre 2021 - UNIGE

 

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Webb lève les yeux vers l’enfance de l’Univers

Le télescope spatial, successeur de Hubble, devrait être lancé le 22 décembre prochain. Il étudiera aussi bien les premières galaxies de l’Univers que les planètes extrasolaires. Pas moins de six projets d’observation sont dirigés par des scientifiques de l’UNIGE.

 

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Vue d'artiste du télescope spatial James Webb entièrement déployé. Image: NASA / AM Gutierrez


Le 22 décembre, si la météo le permet, une fusée Ariane 5 décollera de la base de Kourou, en Guyane, pour larguer dans l’espace le télescope spatial James Webb (JWST). Attendu depuis des années par les astronomes, cet instrument se présente comme le successeur de Hubble, joyau de l’observation astronomique depuis trente ans, dont Claude Nicollier, le seul astronaute suisse de l’histoire, a eu le privilège de corriger la «myopie» en 1993. Sensible au rayonnement infrarouge, plus performant et conçu pour voir beaucoup plus loin que Hubble, le JWST a été développé par les agences spatiales américaine, européenne et canadienne. Plusieurs chercheurs et chercheuses de l’Université de Genève ont d’ores et déjà obtenu de précieuses heures d’observation avec l’un ou l’autre des quatre instruments montés à bord du satellite. Ils dirigeront ou codirigeront en tout six programmes centrés sur des thèmes aussi divers que la recherche des toutes premières sources de lumière dans l’Univers, la réionisation cosmique, la formation des étoiles dans les galaxies lointaines et l’étude d’exoplanètes de la taille de Jupiter.

 

«L’un des projets que je codirige, Panoramic, vise à effectuer sur une grande zone du ciel un relevé des sources lumineuses les plus lointaines, explique Pascal Oesch, professeur assistant au Département d’astronomie (Faculté des sciences). Le JWST pourra détecter des objets tellement distants que ses images permettront de remonter le temps jusqu’à seulement 250 à 300 millions d’années après le big bang (lui-même datant de 13,8 milliards d’années). En d’autres termes, nous pourrons étudier les toutes premières galaxies apparues dans l’Univers, c’est-à-dire les premières sources de lumière qui ont mis fin à l’époque dite des âges sombres.»

La réionisation
Cet épisode dit de la «réionisation» est une étape clé de l’histoire de l’Univers. Environ 380’000 ans après le big bang, l’Univers entre en effet dans une période de profonde opacité. La matière qui le compose, essentiellement de l’hydrogène et de l’hélium gazeux, est électriquement neutre, c’est-à-dire que les atomes possèdent encore tous leurs électrons. À partir de 300 millions d’années, cependant, les premières étoiles et galaxies, formées par effondrement gravitationnel, s’allument. Leur rayonnement ultraviolet ionise les éléments présents dans l’espace, c’est-à-dire qu’il leur arrache les électrons extérieurs. Pour les scientifiques, il s’agit de déterminer quelles sont les galaxies qui contribuent à ce phénomène, comment se déroule ledit phénomène et combien de temps il dure (la fin de la réionisation est estimée à un milliard d’années après le big bang).
En raison du fait que la vitesse de la lumière dans le vide a une valeur finie qui ne peut pas être dépassée, voir loin revient à voir dans le passé. S’affranchissant des effets perturbateurs de l’atmosphère terrestre, le JWST a la sensibilité requise pour recueillir des photons émis par les toutes premières galaxies. Par ailleurs, en raison de l’expansion de l’Univers, la lumière émise par ces objets a vu sa longueur d’onde augmenter (comme l’effet Doppler) au cours de son trajet vers la Terre et ce, d’autant plus fortement que la distance de la source (et donc son âge) est grande. En d’autres termes, le rayonnement ultraviolet qui a servi à la réionisation de l’Univers il y a 13 milliards d’années nous apparaît aujourd’hui sous la forme de lumière infrarouge. C’est précisément pourquoi les instruments du JWST sont sensibles à ces gammes de rayonnement électromagnétique.

Galaxies et Jupiter
Pascal Oesch est également responsable d’un deuxième projet, appelé Fresco, qui consiste à mesurer à quelle distance exacte se trouvent des galaxies déjà détectées par Hubble mais encore très mal caractérisées en raison de leur grand éloignement. L’astronome genevois en codirige un troisième, avec Laia Barrufet, postdoctorante dans son groupe. L’objectif est, cette fois, de déterminer la nature et la prévalence de galaxies extrêmement rouges récemment découvertes à l’aide du télescope spatial infrarouge Spitzer mais non détectées par Hubble, ce qui représente une énigme pour les scientifiques.
Daniel Schaerer, professeur au Département d’astronomie, a, lui aussi, décroché des heures d’observation sur le nouvel outil. Se concentrant sur des objets moins anciens (2,2 milliards d’années après le big bang), son projet est également centré sur le phénomène de la réionisation.
Toujours dans le domaine des galaxies, Miroslava Dessauges, maître d’enseignement et de recherche au Département d’astronomie, se propose d’exploiter les performances exceptionnelles du JWST pour étudier la formation d’étoiles dans le «Serpent cosmique». Détectée par Hubble en 2017, cette galaxie lointaine est grossie et déformée sous l’effet d’une lentille gravitationnelle provoquée par la présence, entre elle et l’observateur, d’un amas de galaxies gigantesque. À tel point qu’elle ressemble à un long reptile sinueux. Ce Serpent cosmique a la particularité d’abriter pas moins de 21 amas stellaires et 17 nuages moléculaires géants ayant des masses de gaz suffisamment élevées pour permettre la formation d’étoiles.
Dans un tout autre domaine d’investigation, Elizabeth Matthews, postdoctorante dans le groupe de Damien Ségransan, professeur associé au Département d’astronomie, espère réaliser à l’aide du JWST la toute première image directe d’une planète extrasolaire de type Jupiter froid.
«Il s’agit, en l’occurrence, d’une géante gazeuse, Eps Indi Ab, située à seulement 10 années-lumière, explique la chercheuse. Sa masse vaut 3,3 fois celle de Jupiter. Son âge de 4 milliards d’années et sa température de -70 °C en font de loin l’exoplanète la plus ancienne et la plus froide à avoir jamais été directement photographiée (il en existe une douzaine à l’heure actuelle). Eps Indi Ab offre une occasion unique de mesurer à la fois la luminosité et la masse dynamique d’une exoplanète en de nombreux points comparable à Jupiter.»

Long déploiement
Le JWST et ses quatre instruments de mesure (des spectrographes et des caméras sensibles à différentes gammes de rayonnement infrarouge) n’entreront pleinement en fonction que dans six mois. Une fois largué dans l’espace, l’engin entamera son long chemin vers sa destination: le «point de Lagrange» n° 2, situé à 1,5 million de kilomètres de la Terre, dans la direction exactement opposée à celle du Soleil. En route, il déploiera son bouclier solaire un peu comme un papillon déplie ses ailes en sortant de son cocon. Sauf qu’une fois ouverte, la voile protectrice, formée de cinq membranes superposées et précisément espacées, aura la taille d’un court de tennis. Le pliage nécessaire à son rangement dans la tête de la fusée a demandé des compétences dignes des plus grands champions d’origami. Le bouclier arrêtera les radiations du Soleil, de la Terre et de la Lune et contribuera à assurer aux instruments de mesure une température de -233 °C (contre 85 °C de l’autre côté de la protection).

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Pliage du bouclier solaire. Image: NASA

Cette étape sera suivie par le déploiement du télescope proprement dit, dont le miroir primaire de 6,5 mètres de diamètre (contre 2,4 mètres pour Hubble), et le placement du satellite en orbite autour du point de Lagrange n° 2. Le tout sera suivi de cinq mois de tests et d’alignements, de calibration et de validation. Ce n’est donc qu’en juin que le dernier joyau de l’observation astronomique, qui a coûté plus de 11 milliards de dollars, sera mis à la disposition des chercheurs et chercheuses du monde entier. 

Un nom controversé

Juste avant de partir, le JWST a déjà dû essuyer une tempête. Il se trouve en effet que James Webb, un administrateur honoré pour avoir été le patron de la NASA entre 1961 et 1968, c’est-à-dire à l’époque du programme lunaire Apollo, a aussi occupé le poste de sous-secrétaire d’État dans l’administration de Harry Truman pendant la période dite du Lavender Scare (peur violette). Durant cette vague de persécution des années 1950, des milliers de gays et de lesbiennes ont perdu leur emploi au gouvernement en raison de «risques potentiels» pour la sécurité.
L’affaire rebondit au printemps 2021 avec une tribune dans le Scientific American signée par des astronomes demandant de renommer le JWST. Le débat tourne alors autour des facettes positives et négatives de la personnalité de James Webb et, surtout, autour de sa véritable implication dans le Lavender Scare, un point difficile à éclaircir en raison du manque de preuves. En mai, la NASA promet néanmoins une enquête complète.
En guise de résultat, l’agence se borne à publier, le 27 septembre dernier, une déclaration de l’administrateur actuel de la NASA, Bill Nelson: «Nous n’avons trouvé aucune preuve à ce jour qui justifie le changement de nom du télescope spatial James Webb.»
Cette conclusion abrupte et l’absence d’un rapport détaillé rendent furieux de nombreux astronomes. Plus d’un millier d’entre eux signent alors une pétition demandant que le télescope soit renommé. Sans effet pour l’instant. Comme il n’est évidemment pas question de boycotter un instrument tant attendu, beaucoup d’astronomes se disent enthousiasmés par le «Just Wonderful Space Telescope (JWST)».

 

 

 

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