13 novembre 2020 - Anton Vos

 

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La biodiversité des forêts n’est pas toujours un atout pour capturer le CO2

Les forêts aident à atténuer les émissions de dioxyde de carbone en le capturant. Pour tirer le meilleur parti de ce phénomène naturel, des scientifiques ont défini les types de forêt qui peuvent stocker le plus de carbone et dans quelles conditions.

 

 

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La diversité des espèces d’arbres des forêts équatoriales et tropicales, comme la forêt de Patagonie du nord du Chili illustrée ici, augmente la capacité de stockage du carbone. © UNIGE/ Madrigal-Gonzalez

Quel type de forêt permet de séquestrer le plus de carbone? Celle qui compte le plus d’espèces différentes ou celle qui possède le plus d’individus? Les deux mon capitaine. Tout dépend à quelle latitude, ou plus précisément dans quel climat on se trouve. Dans un article paru le 6 novembre dans la revue Nature Communications, une équipe dirigée par Markus Stoffel, professeur à l’Institut des sciences de l’environnement (ISE), montre en effet que dans les forêts équatoriales et tropicales humides, c’est la diversité des espèces qui est optimale pour la recapture du CO2 tandis que pour celles situées dans les régions froides ou sèches, c’est l’abondance des arbres qui est le facteur le plus important. Explications, avec Jérôme Lopez Saez, chargé de cours à l’ISE et coauteur de l’étude.

LeJournal: Comment cette étude a-t-elle été menée?
Jérôme Lopez Saez:
Nous avons étudié  3000 parcelles de forêt naturelle de 500 à 700 m2 réparties dans 23 régions sur tous les continents et sous toutes les latitudes. Nous avons systématiquement choisi les sites les moins touchés par l’activité humaine. Grâce à des bases de données issues d’inventaires forestiers nationaux, nous avons pu récolter pour chacune de ces parcelles des informations sur le nombre d’espèces, le nombre d’individus, leur taille et leur diamètre, leurs positions respectives, leur âge parfois, la hauteur de la canopée, etc. L’avantage, c’est que ces données sylvicoles sont remarquablement homogènes dans tous les pays du monde, ce qui aide énormément au travail de comparaison. Ce qui a pris du temps, c’est la mise en place d’un réseau de chercheurs/euses dans tous ces pays pour pouvoir rassembler les informations. Ensuite, grâce à des modèles théoriques éprouvés, nous avons pu quantifier le carbone piégé dans chacune de ces aires.

Avec quels résultats?
À l’heure actuelle, la théorie dominante stipule que plus une forêt présente une grande biodiversité, avec toutes les niches écologiques occupées jusque dans les moindres recoins par quantité d’espèces, plus elle est capable de piéger du carbone. Notre étude a montré que cette relation se vérifie essentiellement dans les régions forestières les plus productives de la planète, comme les forêts équatoriales et tropicales humides. Par contre, elle ne fonctionne plus dans les forêts situées dans des environnements plus froids et plus secs . Dans ces cas, c’est apparemment l’abondance des individus et non la diversité qui favorise la captation du CO2. Dans les forêts boréales, par exemple, on ne compte typiquement que deux ou trois espèces par parcelle. Dans une stratégie de reforestation, il ne servirait à rien d’augmenter leur nombre pour viser une recapture plus importante du carbone de l’atmosphère. Il faut planter plus d’individus.

Où se situent les forêts suisses et européennes dans cette problématique?
Elles occupent une place intermédiaire. Pour édifier une forêt efficace en matière de piégeage du carbone, il n’est pas nécessaire de dépasser la dizaine ou la quinzaine d’espèces d’arbres, alors qu’une parcelle équivalente en forêt amazonienne en compterait plus de 100. En fait, notre constat est très simple: le mieux à faire, c’est de copier la nature. Le profil typique des forêts originelles en Suisse est aussi celui qui permettra la meilleure recapture du carbone.

Cela relève du bon sens…
Oui, mais ce n’est pas du tout ce qui est fait dans la réalité. Depuis très longtemps, les pratiques sylvicoles et les tentatives de reboisement obéissent à des contraintes de productivité favorisant le développement de monocultures d’arbres qui sont loin d’être optimales du point de vue de la séquestration du CO2. Il ne s’agit pas de négliger l’aspect économique mais on peut éventuellement le conjuguer à un autre impératif, écologique cette fois. Afin d’augmenter la capacité de piégeage du carbone, on pourrait même imaginer, grâce à des assemblages d’espèces judicieux, augmenter la biodiversité dans les cultures de palmiers à huile qui occupent des surfaces gigantesques en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud.

Dans la perspective de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, les forêts représentent-elles un important puits de carbone?
Elles couvrent 30% des surfaces émergées de la Terre et représentent le deuxième puits de carbone le plus important après les océans. Certes, une forêt mature ne consomme pas davantage de CO2 qu’elle n’en rejette par la décomposition végétale. Mais la déforestation a pris une telle ampleur dans le monde (un phénomène qui se poursuit d’ailleurs partout à l’exception notable de l’Europe) que le potentiel de reboisement est désormais énorme. Et une forêt en croissance, elle, stocke du carbone.

De plus en plus d’initiatives proposent de planter des arbres en échange d’actions parmi les plus diverses. Qu’en pensez-vous?
Planter des arbres, c’est très bien, tant que l’on ne répète pas les erreurs du passé, à savoir la création de monocultures. J’ignore si ces initiatives vont dans ce sens. Quoi qu’il en soit, nos résultats contribuent à élaborer des stratégies visant à atténuer le changement climatique. Elles sont centrées sur la nature et utilisent le pouvoir de séquestration du CO2 par les forêts pour contribuer à atteindre, par exemple, les objectifs climatiques de l’Accord de Paris.

 

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