10 juin 2021 - Anton Vos

 

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Le bilinguisme améliore certains symptômes de l’autisme

Chez les enfants souffrant du trouble du spectre autistique, le fait de parler plusieurs langues dès le plus jeune âge améliore les capacités à se mettre à la place d’autrui et à transférer l’attention d’une tâche à l’autre.

 

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Image: iStock


La pratique du bilinguisme a des effets bénéfiques sur le développement cognitif des enfants souffrant du trouble du spectre autistique. Dans un article paru le 19 mai dans la revue Autism Research, Stephanie Durrleman, chercheuse au Département de linguistique (Faculté des lettres), et ses collègues des universités de Thessalie et de Cambridge montrent en effet que le fait de parler deux langues dès le plus jeune âge améliore de manière importante les performances des enfants autistes dans deux types de facultés cognitives: la capacité de comprendre les intentions, les croyances, les désirs et les émotions d’autrui (désignée sous la dénomination de «théorie de l’esprit») et celle de planifier et d’exécuter des actions concrètes (autrement dit les fonctions exécutives qui comprennent en particulier l’attention)..

 

Diagnostiqué dès la petite enfance, le trouble du spectre autistique, qui touche plus d’un-e enfant sur 100, altère justement ces deux facultés. L’intensité des symptômes est très variable mais les enfants avec autisme rencontrent tous des difficultés à se mettre à la place de leur interlocuteur, à se focaliser sur son point de vue et à désengager leur attention de leur propre perspective.
Par ailleurs, des études antérieures ont montré que le bilinguisme est associé à des aptitudes augmentées à la fois en matière de théorie de l’esprit et de fonctions exécutives. Cependant, ces travaux ont tous été menés sur des enfants sans autisme, à l’exception d’un seul, étudiant uniquement les fonctions exécutives (et non pas la théorie de l’esprit) et n’impliquant que des petits groupes de sujets avec autisme (dix monolingues comparés à dix bilingues).


Une amélioration significative
«Pour notre étude, nous avons enrôlé plus d’une centaine d’enfants avec autisme, de 6 à 15 ans, dont 43 bilingues et 60 monolingues, s’enthousiasme Stephanie Durrleman. Dans les tâches spécialement conçues pour mesurer les aptitudes à comprendre les comportements d’une autre personne en se mettant à sa place, les enfants bilingues ont donné 76% de réponses correctes contre 57% pour les enfants monolingues. Du côté des fonctions exécutives, le score des réponses correctes des bilingues est deux fois plus élevé que celui des monolingues.»
L’expérience historique visant à mesurer les performances en matière de théorie de l’esprit, mise au point en 1985 par des psychologues britanniques et allemande, est basée sur le concept des fausses croyances. Elle se présente sous la forme d’une petite bande dessinée dans laquelle une jeune fille, Sally, place une balle dans un panier avant de sortir de la pièce. Durant son absence, Anne prend la balle et la place dans une boîte. Le test consiste alors à demander à l’enfant que l’on veut évaluer où Sally, une fois de retour, ira chercher sa balle. Désignera-t-il l’endroit où se trouve réellement l’objet ou celui où Sally pense qu’il se trouve? Le test proposé dans l’étude de Stephanie Durrleman est une version perfectionnée de celui-ci, sans parole, utilisant un autre scénario et basée sur une vidéo. Mais le principe reste le même.
En matière de fonctions exécutives, les scientifiques ont mesuré la facilité des enfants à transférer leur attention d’une tâche à une autre en leur demandant, par exemple, de trier des objets selon un critère, puis selon un autre.
Les tests ont été menés en Grèce avec un groupe d’enfants ne parlant que le grec et un autre parlant grec et albanais. Il se trouve que, dans ce cas particulier, les enfants bilingues sont aussi ceux qui, du point de vue socio-économique, sont en moyenne les plus défavorisés. Ce biais, s’il avait été dans l’autre sens, aurait considérablement compliqué l’interprétation des résultats, étant donné que le niveau d’éducation et de revenus de la famille peut influencer favorablement les performances dans les tâches psycho-cognitives. Mais, en l’occurrence, la condition relativement modeste des enfants bilingues ne les a pas empêchés de performer nettement mieux que leurs homologues monolingues.

 

Une véritable gymnastique
Pour expliquer ces résultats, Eleni Peristeri, chercheuse à la Faculté de médecine de l’Université de Thessalie, relève que le bilinguisme entraîne une véritable gymnastique du cerveau qui agit précisément sur les déficits liés au trouble autistique. Cette pratique exige en effet d’abord de l’enfant un entraînement de ses capacités directement liées à la théorie de l’esprit. Il doit constamment se préoccuper de la connaissance d’autrui, se demander si son interlocuteur parle grec ou albanais et dans quelle langue il doit s’adresser à lui. L’enfant doit ensuite faire appel à ses fonctions exécutives pour focaliser son attention sur une langue tout en inhibant l’autre.
Pour les auteures, les résultats de cet article sont importants pour la prise en charge des enfants autistes. «De nombreuses études ont montré que les familles avec un enfant autiste renoncent souvent à pratiquer le bilinguisme, de leur propre initiative ou sur le conseil de leur clinicien, rappelle Stephanie Durrleman. Cela découle d’une intuition selon laquelle l’acquisition du langage, qui peut justement être une tâche problématique chez les enfants autistes, serait rendue encore plus complexe par la pratique de plusieurs langues à la fois. En réalité, ces craintes ne sont pas confirmées par les recherches scientifiques. Et notre étude montre même que le bilinguisme est bénéfique pour les enfants avec autisme dans les domaines spécifiquement affectés par leur condition.»
Stephanie Durrleman, qui a entamé sa carrière scientifique en linguistique théorique avant de l’orienter vers le développement pathologique du langage, va poursuivre ses recherches sur l’influence du bilinguisme sur le développement d’enfants présentant un trouble du spectre autistique grâce à un subside PRIMA du Fonds national pour la recherche scientifique qu’elle vient de décrocher. Conçu pour soutenir des femmes scientifiques dotées d’un grand potentiel et pour lutter contre leur sous-représentation dans le professorat des hautes écoles suisses, ce financement permettra à la chercheuse de monter sa propre équipe dès la rentrée à l’Université de Fribourg, institution qu’elle rejoindra en tant que professeure.

 

 

 

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