20 janvier 2021 - Anton Vos

 

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«L’Arc lémanique est à la pointe de l'immunothérapie du cancer»

Professeur au Département de pathologie et immunologie, Mikaël Pittet donne sa leçon inaugurale le 28 janvier sur le futur radieux des immunothérapies contre le cancer.

 

 

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Mikaël Pittet, professeur au Département de pathologie et immunologie de la Faculté de médecine.

 

L’immunothérapie représente un des grands espoirs de traitement contre le cancer. Ces nouveaux médicaments, basés sur des anticorps et des cellules immunitaires modifiés, ont remporté depuis quelques années des succès parfois spectaculaires. Mais ils ne sont pas encore efficaces contre tous les types de cancers ni pour tous les patients. Mikaël Pittet, professeur au Département de pathologie et immunologie (Faculté de médecine) et titulaire de la chaire Fondation ISREC en immuno-oncologie, essaye de comprendre les causes de ces limitations et de trouver les moyens d’y remédier. Il partagera ses réflexions au cours de la leçon inaugurale qu’il donnera le 28 janvier. Intitulée «Immunothérapie du cancer: quelles sont les prochaines étapes?», son intervention sera diffusée en ligne à 12h30. Interview.

 

Le Journal: Qu’est-ce que l’immunothérapie du cancer?

Mikaël Pittet: L’immunothérapie du cancer consiste à stimuler les défenses immunitaires du patient dans le but d’éliminer la maladie. Durant de nombreuses décennies, la recherche contre le cancer s’est concentrée sur les cellules tumorales elles-mêmes. Elle a notamment abouti à la mise au point des radiothérapies et des chimiothérapies. Ces dernières visent le plus souvent à détruire les cellules qui se reproduisent rapidement, ce qui est une des caractéristiques des cellules tumorales mais aussi d’autres cellules saines, d’où des effets secondaires qui peuvent être lourds. De plus, ces remèdes restent inefficaces pour bon nombre de cas. L’approche de l’immunothérapie est totalement différente. Elle se base sur le fait que certaines cellules du système immunitaire sont capables de reconnaître et d’éliminer les cellules tumorales comme elles le feraient pour des agents pathogènes responsables de maladies infectieuses. En partant de ce principe, des traitements ont été mis au point pour cibler non pas les cellules cancéreuses mais ces cellules immunitaires. Et ça marche. Des résultats spectaculaires ont été obtenus, notamment chez des patients qui ne répondaient pas à un traitement classique.

 

Dans quels types de cancers l’immunothérapie est-elle indiquée?

Il y en a de plus en plus. C’est le cas des cancers du poumon, de la tête et du cou et du mélanome, pour ne prendre que trois exemples. L’efficacité de l’immunothérapie peut être impressionnante chez certains patients, chez qui la maladie peut être contrôlée de façon prolongée. Ces résultats positifs ne sont toutefois observés que chez une minorité de patients et varient selon le type de cancer.

 

Peut-on faire quelque chose pour remédier à cela?

En étant optimiste, on peut dire qu’on a une chance d’y arriver puisque jusqu’à présent, la recherche dans ce domaine s’est principalement focalisée sur une fraction des cellules du système immunitaire. Les découvertes majeures de ces dernières années ont en effet abouti à des médicaments ciblant les lymphocyte T, qui sont un type de globules blancs, afin de les activer et de leur permettre de détruire les tumeurs. Mais il existe probablement d’autres cellules immunitaires qui peuvent jouer un rôle important pour lutter contre le cancer. Mon laboratoire évalue justement cette question.

 

Quelles sont ces autres cellules immunitaires?

Nous sommes intéressés par les cellules dites myéloïdes qui regroupent différents types de globules blancs tels que les macrophages, les cellules dendritiques ou encore les neutrophiles. Les cellules myéloïdes sont souvent présentes en grand nombre dans les tumeurs. On ne les connaît pas encore très bien mais il est probable qu’une partie d’entre elles soit impliquée dans la lutte contre la maladie tandis que l’autre, au contraire, contribue à son développement.

 

Cela signifie-t-il que certains mécanismes de notre propre système immunitaire favoriseraient la croissance du cancer?

Oui, il s’avère que notre système immunitaire possède un large spectre de fonctions dont certaines, dans le cas du cancer, se révèlent nocives. Parmi les cellules myéloïdes, il en existe probablement des «bonnes», qui permettent de lutter contre le cancer, et des «mauvaises», qui facilitent la croissance tumorale. Par exemple, certaines d’entre elles peuvent favoriser la progression tumorale en inhibant le travail destructeur des lymphocytes T censés éliminer le cancer ou alors en favorisant la croissance de vaisseaux sanguins qui permettent aux cellules malignes de recevoir des éléments nutritifs et de l’oxygène.

 

Est-ce à dire que le système immunitaire nous est encore largement inconnu?

En effet, nous ne maîtrisons pas aujourd’hui toute la complexité du système immunitaire humain. Notre laboratoire contribue d’ailleurs à cartographier l’ensemble des cellules immunitaires qui infiltrent les tumeurs puis à définir la fonction de ces cellules. Les résultats obtenus jusqu’à présent suggèrent qu’il existe un nombre limité d’«états» de cellules immunitaires. Ainsi, en étudiant les tumeurs d’un nombre relativement restreint de patients, on devrait parvenir à identifier pratiquement tous les types de réponses immunitaires qui se développent dans les tumeurs. Les implications thérapeutiques sont potentiellement importantes: on peut imaginer développer des traitements qui ciblent ces différents états immunitaires et ensuite appliquer ces traitements de façon personnalisée.

 

Est-ce que les cellules myéloïdes expliqueraient pourquoi les immunothérapies actuelles ne fonctionnent pas chez certains patients?

C’est probablement une des raisons et c’est précisément ce que nous souhaitons déterminer. Pour certaines tumeurs résistantes aux immunothérapies actuelles, nous avons des données qui indiquent que certaines cellules myéloïdes, par exemple des populations de macrophages, limitent l’efficacité du traitement. Au contraire, d’autres cellules myéloïdes, comme certaines cellules dendritiques, sont absolument nécessaires pour que le traitement soit efficace. Dans tous ces cas de figure, cibler les cellules myéloïdes (par exemple, éliminer les «mauvaises» ou amplifier les «bonnes») pourrait être une approche thérapeutique efficace.

 

Quel genre d’outil utilisez-vous dans vos analyses?

Nous utilisons de nombreuses techniques de mesure. J’affectionne particulièrement une méthode d’imagerie qui nous permet de visualiser simultanément les cellules immunitaires et cancéreuses ainsi que les molécules thérapeutiques (les médicaments). On peut ainsi suivre le cheminement de ces dernières en temps réel et dans un organisme vivant. Cela permet de vérifier si les médicaments censés activer les lymphocytes T le font correctement et d’identifier les mécanismes qui permettent ou empêchent un traitement de fonctionner comme prévu.

 

En avez-vous déjà identifié?

Récemment, nous avons découvert que certains macrophages sont capables de «s’approprier» les médicaments utilisés pour activer les lymphocytes T. Ainsi, ils limitent l’efficacité du traitement. Dans cet exemple, on peut imaginer modifier le médicament de manière à ce qu’il soit moins facilement repéré par les macrophages.

 

L’approche que vous suivez pourrait-elle déboucher sur des traitements personnalisés?

Oui, tout à fait. Si l’on parvient à maîtriser la plupart des mécanismes immunitaires qui freinent ou accélèrent le développement des tumeurs, on sera en mesure de sélectionner des traitements pour lutter plus efficacement contre une tumeur dont le profil immunitaire est connu. Il est possible que la combinaison d’immunothérapies avec d’autres formes de traitement se personnalise également.

 

Les traitements actuels durent-ils dans le temps?

Oui, dans certains cas, le contrôle de la maladie provoqué par l’immunothérapie peut persister, même après l’arrêt du traitement.

 

Observe-t-on des effets secondaires aux immunothérapies actuelles?

C’est une des limitations de cette approche. L’immunothérapie peut parfois stimuler une réponse non souhaitée qui provoque des toxicités dans des tissus sains. Ces effets secondaires peuvent être contrôlés en administrant des anti-inflammatoires comme des corticostéroïdes mais ceux-ci peuvent aussi perturber le traitement. Un autre axe de notre recherche consiste donc à augmenter l’efficacité antitumorale des immunothérapies tout en diminuant leurs effets secondaires.

 

Avant d’être nommé professeur à l’UNIGE, vous êtes passé par le Massachusetts General Hospital, la Harvard Medical School (où vous avez également été nommé professeur en 2019) ainsi qu’au Dana-Farber Cancer Institute à Boston. Avez-vous gagné au change?

La recherche en immunologie contre le cancer monte en puissance en Suisse et particulièrement dans l’Arc lémanique. Les compétences cumulées des Universités de Genève et de Lausanne, des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), de l’Institut Ludwig de recherche sur le cancer et de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) créent une masse critique de scientifiques actifs dans ce domaine qui est exceptionnelle. Le bâtiment abritant le pôle AGORA de recherche sur le cancer, inauguré en 2018 et initié par la Fondation ISREC, rassemble une partie de ces forces. J’y ai d’ailleurs mon laboratoire.

Pour en savoir plus

IMMUNOTHÉRAPIE DU CANCER: QUELLES SONT LES PROCHAINES ÉTAPES?

Leçon inaugurale du professeur Mikaël Pittet

Jeudi 28 janvier | 12h30 | Lien Zoom

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