26 mai 2021 - Anton Vos

 

Recherche

L’intelligence artificielle se penche sur la formation des étoiles

Le projet Nemesis vise à créer la plus grande base de données d’étoiles jeunes existante. À l’aide d’outils informatiques tels que le «machine learning», les scientifiques tenteront ensuite de mettre au point un nouveau modèle des premières étapes de la vie des étoiles.

 hobys_rosette_05_A3_3d_1200px.jpg

La nébuleuse de Rosetta vue dans l’infrarouge lointain par le télescope spatial Herschel. Chaque point lumineux noyé dans la poussière diffuse est une jeune étoile en cours de formation. Les parties bleutées du nuage sont plus froides tandis que les parties rougeâtres sont plus chaudes. Les nuages interstellaires denses et froids comme Rosetta sont les cibles principales du projet Nemesis, car ils contiennent les plus jeunes noyaux stellaires. Image: ESA


Démarré en mars 2021, le projet de recherche astronomique Nemesis vise à développer de nouveaux modèles théoriques décrivant l’évolution des jeunes étoiles et capables d’apporter des explications plus complètes aux observations réalisées dans ce domaine. Pour y parvenir, des scientifiques des universités de Genève et de Vienne ainsi que de l’Institut astronomique Konkoly Thege Miklós en Hongrie comptent créer la plus grande base de données d’étoiles jeunes répertoriées dans le ciel à ce jour. Ces informations, provenant de nombreux observatoires astronomiques, serviront à alimenter des algorithmes utilisant l’intelligence artificielle. Capables de traiter un très grand nombre d’informations, ceux-ci permettront de raffiner, voire même de redéfinir la classification des premières étapes de la formation des étoiles ainsi que celles des systèmes planétaires qui les accompagnent parfois.

Le modèle actuel a été mis au point dans les années 1990, largement grâce aux premières observations réalisées dans l’infrarouge. La Classe I correspond à une protoétoile en pleine phase d’accrétion de gaz et de poussières et qui produit un fort rayonnement situé dans l’infrarouge lointain. La Classe II désigne, quant à elle, des étoiles qui accumulent nettement moins de matière et commencent à se contracter sous l’effet de la force gravitationnelle. Elles émettent un excès de rayonnement infrarouge dû à leur disque protoplanétaire composé de gaz et de poussières. Ces jeunes astres évoluent ensuite en Classe III, dans laquelle seuls des débris de poussières et morceaux de planètes émettent un faible excès d’infrarouge, pour finalement arriver, après plusieurs millions d’années, au moment où elles deviennent des étoiles «adultes» grâce aux premières réactions thermonucléaires dans leurs cœurs.

Cette approche s’est avérée très utile pour expliquer la plupart des observations des astronomes. Mais certaines d’entre elles peinent toutefois à s’accorder avec le modèle standard. C’est le cas notamment d’étoiles qui passent par des phases d’accrétion épisodiques relativement «brèves» (à l’échelle cosmologique, du moins, car elles peuvent durer quelques mois mais aussi des siècles) et intenses au lieu de grossir de manière continue, comme le voudrait la théorie.

«Au cours des dernières décennies, la quantité de données à disposition des astronomes n’a cessé d’augmenter, explique Marc Audard, maître d’enseignement au Département d’astronomie (Faculté des sciences) et membre du projet Nemesis. Des missions spatiales européennes et américaines comme Gaia, Wise, XMM-Newton ou encore Herschel ont en effet étoffé de manière spectaculaire le nombre d’étoiles jeunes identifiées dans le ciel. On dispose aussi de plus en plus d’informations sur les caractéristiques physiques de ces astres. On est désormais en mesure de revoir les hypothèses initiales du modèle de la formation stellaire et de définir de nouveaux critères.»

Cependant, la masse d’informations est telle que leur analyse par des moyens ordinaires n’est plus envisageable et qu’il devient indispensable de recourir à l’intelligence artificielle (AI). Les algorithmes de machine learning ou de deep learning se basent en effet sur un grand nombre de données correspondant aux différentes caractéristiques mesurables des étoiles telles que l’intensité du rayonnement émis à différentes longueurs d’onde, la détection d’une accrétion épisodique ou encore la présence de jets éjectés par l’étoile. Plus ils seront alimentés en informations, plus ils pourront répondre de manière précise aux questions des astronomes et, pourquoi pas, proposer des solutions inédites.

«Notre catalogue devrait compter quelques centaines de milliers d’étoiles jeunes situées à moins de 1000 parsecs (ou 3262 années-lumière) du système solaire, précise Marc Audard. Il contiendra des astres à toutes les étapes de leur formation et inclura un maximum d’informations sur leurs propriétés à différentes longueurs d’onde. Pour augmenter nos chances de découvrir un nouveau modèle de formation stellaire, nous avons l’intention d’utiliser des méthodes de machine learning dites supervisées et non supervisées.»

Les premières sont plus maîtrisables par les opérateurs. Les catégories et les objectifs sont définis à l’avance. Les secondes sont plus ouvertes et laissent à l’ordinateur le soin de faire le tri parmi toutes les données. Cette approche a le potentiel de produire des résultats plus créatifs même s’ils ne seront probablement pas tous réalistes.

Même si ce n’est pas le cœur de ses objectifs, le projet Nemesis pourrait aussi apporter un éclairage nouveau sur la formation des systèmes planétaires qui accompagnent environ la moitié des étoiles connues. Les dernières observations montrent en effet que, contrairement à ce que l’on pensait, les planètes se développent déjà dans les phases initiales de la formation de l’astre, dans un disque protoplanétaire.

Financé à hauteur de 1,6 million d’euros (dont 579 000 euros pour l’Université de Genève) par Horizon 2020, le programme-cadre de recherche et d’innovation de l’Union européenne, le projet Nemesis (acronyme pour Novel Evolutionary Model for the Early stages of Stars with Intelligent Systems) doit durer quatre ans.

 

Recherche