Question de style
Ce travail de longue haleine a débuté concrètement avec l’établissement d’un corpus de 212 œuvres issues des collections du MAH, sélectionnées selon un critère stylistique. «Il semblait naturel de se baser sur l’homogénéité du langage artistique plutôt que sur l’origine nationale des peintres», indique le professeur Frédéric Elsig, qui a dirigé le catalogue et l’exposition en partenariat avec Victor Lopes, conservateur-restaurateur au MAH. Ce corpus a ensuite été réparti entre les étudiant-es de quatre séminaires d’histoire de l’art. Ces derniers/ères se sont alors rendu-es aux ateliers de restauration du MAH pour y observer les œuvres dont ils et elles étaient chargé-es. «Se baser sur les œuvres d’un musée est prodigieux pour enseigner l’histoire patrimoniale de l’art, une histoire qui se fonde sur les œuvres, les artistes et la matérialité et non pas sur les idées et les textes», s’enthousiasme Frédéric Elsig. Les étudiant-es ont ainsi pu bénéficier des compétences des métiers du musée pour comprendre ce qu’un tableau peut révéler, en observant des éléments concrets comme les couches picturales, le cadre, le revers ou encore le support.
De telles études sont nécessaires, dans la mesure où les collections d’un musée ne sont pas toujours bien connues, certaines œuvres retrouvées dans les réserves n’étant parfois même pas inventoriées. «Beaucoup de questions se posent quand on étudie les collections, explique Frédéric Elsig. Il s’agit d’abord d’établir l’identité de chacune des œuvres, en commençant par son identité matérielle (technique utilisée, inscription, tampon, etc.), puis de retracer son historique depuis le moment de sa fabrication jusqu’à nos jours et, enfin, de résoudre la question de son statut (original ou copie, attribution, datation). Cela fait, chaque étudiant-e avait pour tâche de rédiger une notice.» Le fonds n’ayant jamais été étudié de manière complète, le travail réalisé a permis de réhabiliter plusieurs œuvres comme Scènes des massacres de Scio de Delacroix, considérée comme un pastiche depuis 1963, Harengs et oignons de Van Gogh, déclassée comme un faux au cours du XXᵉ siècle, ou encore Tête de supplicié de Géricault.
Identifier les lacunes
Dans l’ouvrage, les notices sont présentées par ordre chronologique. «Cet agencement met en lumière les points forts d’une collection ainsi que ses éventuelles lacunes, commente Frédéric Elsig. Le catalogue que nous avons établi permet ainsi de se rendre compte à quel point Camille Corot joue un rôle essentiel dans la collection, avec 16 œuvres (et un faux). Il révèle aussi le manque de représentation de la période qui précède l’impressionnisme, la collection ne contenant par exemple aucune œuvre de Manet.»
Cette publication a également l’avantage de proposer une vision globale de l’histoire de la collection et de son identité, ce qui est fondamental pour un musée. «Ce travail impacte les politiques de conservation et d’acquisition du musée et conditionne sa politique d’exposition, précise Frédéric Elsig. Pour qu’un patrimoine soit vivant, il faut l’étudier, et cela, afin de mieux pouvoir le transmettre.» C’est d’ailleurs le fil rouge de l’exposition qui accompagne la parution du catalogue.
Découpée en trois chapitres, celle-ci retrace d’abord l’histoire de la collection – ce qui permet de saisir à la fois le rôle qu’ont joué les collectionneurs/euses privé-es à Genève et la manière dont la peinture française s’est développée au Musée Rath, puis au MAH. La deuxième partie s’intéresse au métier de peintre au XIXᵉ siècle – outils, pinceaux, brosses, instruments optiques, couleurs, avec un accent sur l’évolution industrielle de la couleur en tube grâce à laquelle il deviendra possible de peindre en plein air. Enfin, le troisième chapitre aborde les questions de recherche et les choix de conservation-restauration. L’exposition, qui ouvre ses portes le 16 mars, offre en outre un large programme d’activités pour le public et les familles.