20 novembre 2025 - Alexandra Charvet

 

Vie de l'UNIGE

Quand la Suisse anticipe les crises grâce à la science

Pour anticiper les crises potentielles en Suisse, un Réseau national de conseil scientifique a été constitué, fin septembre, sur impulsion de la Confédération. Sa mission: fournir aux autorités des analyses indépendantes et interdisciplinaires. Sept professeur-es de l’UNIGE en font partie.


 

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Image: ImageFlow

 

Santé, cybersécurité, désinformation, risques géopolitiques: les défis auxquels nos sociétés sont confrontées sont de plus en plus complexes. Pour y répondre efficacement, les autorités doivent pouvoir prendre des décisions fondées sur des données scientifiques solides, comme l’a illustré de manière frappante la pandémie de Covid-19. C’est dans cette optique que le Réseau national de conseil scientifique pour la prévention et la gestion des crises a été lancé fin septembre, sur impulsion de la Confédération. Il s’agit d’une structure destinée à mettre l’expertise indépendante de chercheuses et chercheurs hautement qualifiés à la disposition des responsables politiques.

«Avec ce réseau, la science et les autorités ne se parlent plus seulement lorsqu’il y a urgence, mais de manière continue, souligne Yves Flückiger, président des Académies suisses des sciences. C’est ce dialogue permanent qui permet d’anticiper, de réagir rapidement et, surtout, de renforcer la confiance. En fin de compte, c’est un véritable investissement dans la qualité de nos décisions collectives.»

Thématiques stratégiques pour la Suisse

Organisé en quatre pôles thématiques considérés comme stratégiques pour la sécurité et la résilience du pays – santé publique, cybersécurité, désinformation et défis internationaux –, le Réseau compte parmi ses membres sept professeur-es de l’UNIGE: Matteo Gianni de la Faculté des sciences de la société (SdS) et Catherine Hoeffler du Global Studies Institute (GSI) dans le Pôle défis internationaux; Samia Hurst, Alexandra Calmy, Isabella Eckerle, Dagmar Haller et Arnaud Perrier, issu-es de la Faculté de médecine, dans le Pôle santé publique. Tous les membres ont été désignés sur la base d’une expertise reconnue dans leur discipline respective et interviennent en tant que conseillères et conseillers scientifiques impartiaux en vue d’identifier des scénarios et des réponses possibles sans pour autant formuler de recommandations politiques concrètes.

«Pour l’instant, notre pôle s’est beaucoup concentré sur l’identification de défis internationaux transversaux et leurs ramifications plus spécifiques, explique Catherine Hoeffler, professeure en études européennes au GSI. Nous identifions des réseaux ou des ressources mobilisables sur des thématiques. Bien entendu, nous ne pouvons pas dresser simplement une liste d’enjeux. Notre rôle relève beaucoup de la coordination et de l’identification des ressources, mais nous pouvons également produire une expertise scientifique directe.»

S'appuyer sur des modèles éprouvés

En situation de crise, le Réseau national de conseil scientifique peut être mandaté pour mobiliser rapidement une expertise scientifique interdisciplinaire et indépendante afin de conseiller les responsables politiques. «On ne peut pas tout prévoir, mais on peut tout organiser, souligne Alexandra Calmy, professeure au Département de médecine. Dans la gestion des pandémies, nous pouvons nous appuyer sur des modèles éprouvés, notamment celui développé autour du VIH. Ce cadre nous a servi de référence pendant la crise du Covid-19: dépistage gratuit, accès facilité aux traitements et collaboration étroite avec les réseaux communautaires se sont révélés essentiels. L’expérience l’a montré: même les meilleurs vaccins ne peuvent être efficaces si les populations sont réticentes à la vaccination.»

En dehors des crises, le Réseau effectue une veille scientifique des événements susceptibles de dégénérer en crise, identifie les risques et entretient un dialogue régulier avec les parties prenantes. «Dans un contexte globalisé, l’analyse des tendances observées à l’étranger est déterminante pour anticiper les risques et optimiser les mesures de prévention, précise Alexandra Calmy. Aujourd’hui, nombre d’expert-es s’inquiètent de voir les reculs constatés dans le soutien à la santé mondiale compromettre le contrôle d’épidémies toujours actives, comme celle du VIH. Cette infection n’appartient pas au passé: elle demeure une menace bien réelle. Et si la réponse au sida s’affaiblit en Suisse, le pays ne pourra pas rester longtemps un îlot protégé face à ce qui se joue ailleurs dans le monde.»

Face à de nouvelles menaces

Les autorités cantonales ou fédérales peuvent également faire appel à ce Réseau pour des questions d’importance nationale liées à de nouvelles menaces ou à des risques systémiques. La responsable du Pôle santé publique a, par exemple, récemment été invitée au Parlement pour présenter le point de vue du Réseau sur la loi sur les épidémies.

De son côté, Catherine Hoeffler relève que de nombreux risques touchant la sécurité questionnent la posture traditionnelle de la Suisse. «Le retour possible d’une guerre en Europe au-delà de l’Ukraine aurait des répercussions importantes pour la Suisse, qu’elles soient sécuritaires ou économiques, comme on l’a déjà vu avec la question des exportations d’armements, note-t-elle. De même, les dépendances économiques revêtent une actualité nouvelle: dans un pays marqué par une pensée commerciale libérale, le revirement américain et la montée des tensions géoéconomiques ont surpris, tout comme l’imposition de taxes douanières qui dérogent à une logique économique qu’on a longtemps considérée comme ‘rationnelle’. La force des changements à l’œuvre aux États-Unis concernant le rôle économique de l’État et le style de gouvernement était difficile à anticiper et pousse à un questionnement sur les manières de s’adapter.»

Pour la professeure, le dialogue entre scientifiques et autorités mérite donc d’être renforcé. «Une coopération efficace ne se construit pas pendant une crise: elle se prépare en amont, conclut la chercheuse. Dans ce sens, cette initiative est à saluer. Tous les États n’engagent pas de telles démarches.»

 

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