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Samar Haidar (2024) – “Fallibility under the guise of the good”: A neo-sentimentalist theory of humor
This essay is an inquiry into the nature of comic amusement, aiming to suggest solutions to two long-standing and interdependent endeavors that have been keeping philosophers with an interest in humor busy since antiquity. The first one seeks to elucidate the nature or the essence of humor by defining its necessary and sufficient conditions. The second seeks to account for the normativity of humor and to suggest an ethics of it.
The “funny” is a value and emotions and values have deep connections. It is possible to understand values, especially those that are linguistically defined by their related emotion, such as the joyful, the shameful etc., by appealing to their related emotion (Deonna & Teroni, 2012, 2021). I draw on a family of views commonly referred to as “neo-sentimentalist” in order to suggest a theory of humor. According to such views, the “disgusting” is not merely what elicits disgust but what merits disgust and the “funny” is what merits amusement (Kauppinen, 2022). Once the criteria of such a verdict are defined, I suggest an ethics of humor.
In Chapter 1, following a brief overview of the main philosophical theories of humor, I introduce the theoretical framework I will rely on and use it to refute the revisionist theory, which denies that amusement is an emotion and argues that it is merely a “purely cognitive state” albeit one that is accompanied by a pleasant feeling (Bergson, 1940; Morreall, 2015, 2020).
In Chapter 2, I rely on empirical literature from evolutionary and developmental psychology as well as on work in philosophy of emotions to show that amusement, at its core, is an epistemic emotion. Such emotions are thought to have evolved to promote knowledge, widely construed. I then suggest that the value that amusement tracks is “fallibility under the guise of the good”. An analysis of the complex conceptual and empirical relationship between humor and laughter leads me to conclude that amusement is primarily a social and collective emotion, as well as a self-transcending and other-regarding one. In order to further support my view, I compare amusement to the state of “cognitive dissonance”, an affective state that has been the object of robust empirical results, although its nature remains obscure. I present it as an experience of fallibility, but “under the guise of the bad”. I formulate the hypothesis that the state of “cognitive dissonance” might share its “cognitive base” with comic amusement. I conclude this chapter by showing that a theory of humor as “fallibility under the guise of the good” has more explanatory power that the “incongruity” theory, as it makes it possible to unify all the other main theories of humor (incongruity, superiority, play, relief etc.) under one overarching concept, while making the logical relationships between them clearer and solving a couple of long-standing theoretical difficulties, including the intuitive similarity between philosophy and humor.
In Chapter 3, I suggest a path to an ethics of humor. I argue that the appropriate framework to deal with the issue is the framework of social and virtue epistemology. I then examine the work of philosophers who have used paradigmatic and genealogical approaches to analyze concepts such as knowledge and truth and some virtue concepts referred to as “virtues of truth” (Fricker, 2007; Williams, 2002; Queloz, 2021). Because those extant genealogical accounts do not cater to concerns related to self-knowledge and the proper uptake of one’s own fallibility, I argue that we are in need of an additional “virtue of truth”, one that is underpinned by our capacity for amusement and that promotes an accurate “measure of the self” upon which the assessment of the credibility of others epistemic agents and therefore the good functioning of the epistemic community is inevitably contingent. I then “construct” this missing virtue by applying the principles of conceptual engineering to virtue ethics (Ohlhorst, forthcoming).
The broad picture that I brush lays the foundation of a theory that could ultimately accommodate the entire constellation of humor-related phenomena and underpin an ethics of amusement and humor. Undoubtedly, the sketch leaves much to be elucidated, but it is in the very nature of sketches to be tentative roadmaps that provide a general direction and might require amendments, tweaking and the filling of the new spaces that they create.
Ce travail est une enquête approfondie sur l’émotion qu’est l’amusement comique. Il a pour but de mener à bien deux entreprises philosophiques interdépendantes qui ont occupé les philosophes de l’humour depuis l’antiquité. La première est de comprendre la nature ou l’essence de l’humour ou du comique, c’est-à-dire définir les conditions nécessaires et suffisantes commune à toutes les instances d’humour. La seconde est de rendre compte de la normativité de l’humour et d’en proposer une éthique.
Le comique est une valeur, or il existe un lien étroit entre les valeurs et les émotions et il est possible de comprendre les valeurs, notamment celles qui ont un lien linguistique avec une émotion, tel que le joyeux, l’offensant etc., en faisant appel aux émotions qui semblent les constituer. Je propose donc une théorie de l’humour qui s’inspire d’un ensemble de théories communément qualifiées de « néo-sentimentalistes ». Selon ces théories, ce qui est dégoûtant n’est pas simplement ce qui « provoque » le dégoût mais ce qui « mérite » le dégoût. Ce qui est « comique » serait alors ce qui « mérite » l’amusement, le tout étant bien sûr de définir les critères d’un tel verdict. Une fois cette tâche accomplie, je propose une éthique de l’amusement.
Dans le chapitre 1, après un bref passage en revue des principales théories philosophiques de l’humour, je réfute la théorie révisionniste qui veut que l’amusement ne soit pas une émotion mais un état purement cognitif accompagné d’une sensation plaisante et j’introduis le cadre théorique dont je vais me servir.
Dans le chapitre 2, je montre, en m’appuyant aussi bien sur des recherches en philosophie des émotions que sur des résultats empiriques dans le domaine de la psychologie évolutionnaire et développementale, que l’amusement comique est essentiellement une émotion épistémique, c’est-à-dire propice à l’acquisition de connaissances. Je propose ensuite que l’objet formel que cette émotion « détecte » est « la faillibilité sous l’aspect du bien ». Une analyse de la relation conceptuelle et empirique complexe et nécessaire entre l’amusement et le rire me mène à conclure que l’amusement est essentiellement une émotion sociale, collective, ainsi qu’une émotion de la « transcendance de soi » ou du « dépassement de soi » (self-transcending emotion). Afin de mieux défendre ma proposition, je m’intéresse à la dissonance cognitive, un état affectif dont la pertinence est établie par des résultats empiriques robustes, mais dont la nature reste obscure. Je la présente comme une expérience de la faillibilité, mais « sous l’aspect du mal ». Je formule l’hypothèse que l’état de dissonance cognitive partage peut-être sa « base cognitive » avec l’amusement. Je conclus ce chapitre en montrant que cette théorie de l’humour comme « faillibilité sous l’aspect du bien » est dotée d’une plus grande puissance explicative que la théorie de l’incongruité, qui est la théorie « standard » aujourd’hui. Elle permet notamment de résoudre certaines difficultés théoriques, dont les rapports entre philosophie et humour, et d’unifier les principales théories de l’humour (incongruité, supériorité, soulagement, jeu…) sous un même concept tout en éclairant les relations logiques entre-elles.
Dans le chapitre 3, j’esquisse les contours d’une éthique de l’humour. Je montre que les outils conceptuels appropriés pour ce faire sont ceux de l’épistémologie sociale et de l’épistémologie des vertus. Je m’appuie ensuite sur des travaux qui font usage d’approches paradigmatiques et généalogiques afin d’analyser des concepts tels que la connaissance et la vérité, ainsi que certaines vertus épistémiques qui seraient des « vertus de la vérité » (Fricker, 2007; Queloz, 2021; Williams, 2002). Étant donné que ces analyses généalogiques de la connaissance et de nos pratiques épistémiques ne tiennent pas compte des contraintes liées à la connaissance de soi et à la capacité de saisir sa propre faillibilité, je conclus qu’il manque une « vertu de la vérité » qui aurait pour fonction de promouvoir une bonne connaissance de soi-même en tant qu’agent épistémique, de laquelle dépend la bonne estimation de la crédibilité d’autrui et le bon fonctionnement de la communauté épistémique. Je « construis » ensuite cette vertu en recourant aux outils de l’ingénierie conceptuelle (Ohlhorst, forthcoming).
L'ensemble de ma proposition pose les fondements d’une théorie générale à même d’élucider l’ensemble de nos pratiques humoristiques et de poser les jalons d’une véritable éthique de l’amusement et de l’humour. Il va sans dire que de nombreuses zones d’ombres subsistent, mais il est dans la nature des esquisses d’être imparfaites et de requérir des modifications, des corrections, ainsi que le remplissage des espaces logiques et théoriques qu’elles créent.
Adrian Sulja (2023) – Attitudes réactives et déterminisme
In contemporary philosophy, reactive attitudes refer to a set of mainly emotional reactions that manifest against the quality of the wills we perceive in other people. Indeed, it seems that human beings express in their behavior and actions wills that can be good, bad, or indifferent. Reactive attitudes, including resentment, anger, gratitude, indignation, approbation, shame, remorse, guilt, as well as certain forms of love and pride, therefore constitute a set of attitudes which are all reactions to the goodness, badness or indifference expressed by others’ will. In this paper, I study the links between these attitudes and moral responsibility – but also with determinism – and try to bring metaphysics and philosophy of mind into dialogue. More precisely, I question the relevance of our belief in determinism, once applied to our most daily moral practices. To this end, I identify a guiding concern: is the belief in determinism sufficient to justify the revision of the reactive attitudes that are yet essential to human sociability? This is the question that I address throughout this work structured in three main chapters.
In the first chapter, I reinvest the notion of reactive attitudes to offer an alternative conception: I characterize reactive attitudes as moral attitudes that have the particularity of representing the objects on which they are worn, as morally responsible, in the metaphysical sense of the word. Namely, I believe that anger, gratitude, or remorse are emotions that have in common the fact that they represent the person targeted as a responsible agent, free and able to do otherwise.
In the second chapter, I focus more specifically on moral responsibility and free will, whose relationship with reactive attitudes has already been discussed, and I wonder whether we really have such control over our actions. This line of questioning necessarily leads me to the traditional free will debate, and I result in the defense of hard determinism.
In the last chapter, I identify a serious problem for my deterministic position: If 1) our reactive attitudes imply an attribution of moral responsibility and if 2) moral responsibility is impossible, then 3) we must conclude that our reactive attitudes are always unfitting, because they represent a moral responsibility that does not exist. Should we therefore abandon all these practices, which are so fundamental? At the end of my reflection, I discuss the contribution of P.F Strawson but end up favoring the illusionist solution, although I acknowledge its imperfections.
En philosophie contemporaine, les attitudes réactives désignent un ensemble de réactions principalement émotionnelles qui se manifestent à l’encontre des intentions que nous percevons chez les autres personnes. En effet, il semble que les êtres humains expriment, dans leurs comportements et actions, des volontés qui peuvent être bonnes, mauvaises ou indifférentes. Les attitudes réactives, parmi lesquelles le ressentiment, la colère, la gratitude, l’indignation, l’approbation, la honte, le remord, la culpabilité, ainsi que certaines formes d’amour et de fierté constituent donc un ensemble d’attitudes qui sont autant de réactions à la qualité des volontés manifestées par autrui. Dans ce mémoire, je m’intéresse particulièrement aux liens qu’entretiennent ces attitudes avec la responsabilité morale – mais aussi avec le déterminisme – et tâche de faire dialoguer métaphysique et philosophie de l’esprit. Plus précisément, je m’interroge sur la pertinence de notre croyance au déterminisme, une fois appliquée au niveau de nos pratiques morales les plus quotidiennes. À cet égard, j’identifie une préoccupation directrice : la croyance au déterminisme est-t-elle suffisante pour justifier la révision des attitudes réactives, pourtant essentielles à notre sociabilité humaine ? Mon mémoire explore cette question à travers trois chapitres principaux.
Dans le premier chapitre, je réinvestis la notion d’attitudes réactives afin d’en offrir une conception alternative : je caractérise les attitudes réactives comme des attitudes morales qui ont pour particularité de représenter les objets sur lesquelles elles sont portées, comme moralement responsables, au sens métaphysique du terme. En d’autres termes, je crois que la colère, la gratitude ou encore le remord sont des émotions qui ont en commun le fait qu’elles représentent la personne qui en fait l’objet comme un agent responsable, libre et capable d’agir autrement.
Dans le deuxième chapitre, je m’intéresse plus précisément à la responsabilité morale et au libre arbitre, dont j’ai montré les liens avec les attitudes réactives, et me demande si nous disposons vraiment d’un tel contrôle sur nos actions. Cette interrogation me conduit nécessairement au débat traditionnel autours du libre-arbitre, à l’examen duquel je défends finalement le déterminisme dur.
Dans le dernier chapitre, j’identifie un sérieux problème pour ma position déterministe : Si 1) nos attitudes réactives impliquent une attribution de responsabilité morale et si 2) la responsabilité morale est impossible, alors 3) nous devons conclure que les attitudes réactives sont toujours inappropriées, parce qu’elles représentent une responsabilité morale qui n’existe pas. Devons-nous, dès lors, abandonner l’ensemble de ces pratiques qui sont pourtant si fondamentales ? Arrivé aux termes de ma réflexion, je discute la solution de P.F Strawson et lui préfère, bien qu’imparfaite, la solution illusionniste.
Alexandre Donzé (2023) – Philosophie et cinéma : Un film peut-il faire de la philosophie ?
In this work, I'm interested in the potential philosophical powers of cinema: to what extent a film, more than simply illustrate, can propose reflections and actively defend philosophical theses? I defend the idea that films, in a very singular way, can be a remarkable philosophical tool.
The first part of this work consists in a general assessment and defense of the thesis that narrative fictions – such as films or novels – are sources of knowledge no less serious than philosophy and science (this is a variant of aesthetic cognitivism).
To clarify my initial question, I undertake an examination of the possible and sometimes even obvious links between cinema and philosophical activity. In particular, I show how thought experiments are actively used both by philosophy and film to lead us to certain reflections.
At this point, the issues surrounding the bold thesis emerge, defending that cinema can indeed make an interesting contribution to the field of philosophy, and furthermore, it can do so through purely cinematic means – notably through image and editing. I then sought to establish the plausibility of this thesis through the analysis of films such as 'The Texas Chainsaw Massacre' or 'The Last Duel'. Indeed, using image, editing, and mise-en-scène, these movies argue in favor of certain philosophical theses.
Finally, I examine the issues of interpreting a film. It seems clear to me that from this philosophical perspective, a film should be evaluated based on the intentions of its creators. As soon as we view these artists as thinkers inviting us to certain reflections, the philosophical analysis of a film becomes relevant and quite stimulating for thought.
Dans ce travail, je m’intéresse aux potentiels pouvoirs philosophiques du cinéma : dans quelles mesures un film, plus que de simplement illustrer, pourrait-il faire de la philosophie ? Je défends l’idée selon laquelle les films, d’une façon tout à fait singulière, peuvent être des outils philosophiques remarquables.
La première partie de ce travail consiste en une évaluation et une défense générale de la thèse selon laquelle les fictions narratives – telles que les films ou les romans – sont des sources de connaissance non moins sérieuses que la philosophie et les sciences (il s’agit d’une variante du cognitivisme esthétique).
Pour clarifier ma question initiale, j’entreprends un examen de ce que sont le cinéma et l’activité philosophique de façon à mettre en avant, malgré quelques doutes a priori, les liens possibles et parfois même évidents entre ces deux activités / mediums. Je montre notamment en quoi les expériences de pensée sont activement utilisées par la philosophie et les films pour nous amener à certaines réflexions.
C’est également à ce stade qu’apparaissent les enjeux autour de la thèse audacieuse, défendant que le cinéma peut en effet apporter une contribution intéressante au champ de la philosophie, mais qu’en plus il peut le faire par des moyens purement filmiques – notamment par l'image et le montage. J'ai ensuite cherché à établir la plausibilité de cette thèse à travers l'analyse de films tels que Massacre à la tronçonneuse ou Le Dernier Duel, qui, par les forces de l'image, du montage et de la mise en scène, argumentent en faveur de certaines thèses philosophiques.
Enfin je reviens sur les problèmes de l’interprétation d’un film. Il me semble clair que dans cette perspective philosophique, un film doit être jugé selon l’intention de ses auteurs. Dès que l’on considère ces artistes comme des penseurs nous invitant à certaines réflexions, l’analyse philosophique d’un film devient pertinente et tout à fait stimulante pour la pensée.
Romolo Borra (2022) – Beauty Is in the Heart of the Beholder: The Affective Experience of Aesthetic Properties
How do we apprehend aesthetic properties? This work aims to understand the specific way in which we experience aesthetic properties. Traditionally, philosophers have tended to consider the relevant experience as perceptual. Despite its initial attractiveness, I argue that we should reject this approach in favour of one that conceives this experience as affective in nature. In a slogan: “We do not see beauty, we feel it”.
In a first step, I consider the most plausible candidates for the mental state behind our apprehension of aesthetic properties—non-experiential states and processes, perceptual experience, and non-perceptual experience. The dominant Perceptual View is examined by interrogating whether aesthetic properties can be listed among the possible contents of perceptual experience. Following a recent trend in the philosophy of perception, I raise the question of whether we can explain the phenomenal contrast between one’s experience before and after acquiring a recognitional capacity for a given aesthetic property in perceptual terms. I argue that this explanation misrepresents the specificity of the aesthetic domain: aesthetic properties are not among the possible content of perceptual experience because they are essentially evaluative.
In a second step, I defend the latter claim by arguing that we should treat aesthetic properties as thick values, i.e., properties that indissolubly combine evaluative and descriptive features. If this is right, we would perceptually apprehend aesthetic properties only if values are among the possible contents of perceptual experience. However, several reasons are advanced for considering perception’s representational capacities as exclusively descriptive, the most important being that the possibility of representing values in perceptual experience would imply the impossibility of genuine aesthetic divergences based on differences in taste.
In response, I propose the Affective View. This view understands the apprehension of aesthetic properties as an emotional experience by grounding our access to the aesthetic onto the intimate relation between emotions and values. After setting the foundations of the latter view, this work concludes by briefly discussing its implications for the philosophy of mind, epistemology, and aesthetics.
Comment appréhendons-nous les propriétés esthétiques ? Ce travail vise à comprendre la manière spécifique dont nous faisons l'expérience des propriétés esthétiques. Traditionnellement, les philosophes ont eu tendance à considérer l'expérience en question comme perceptive. Malgré son attrait initial, je soutiens que nous devrions rejeter cette approche en faveur d'une compréhension de cette expérience comme étant de nature affective. En un mot : « on ne voit pas la beauté, on la ressent ».
Dans un premier temps, je considère les candidats les plus plausibles pour l'état mental sous-jacent à notre appréhension des propriétés esthétiques—les états et les processus non expérientiels, l'expérience perceptive et l'expérience non-perceptive. J’interroge ensuite la position dominante dans le débat, à savoir la conception perceptive, en me demandant si les propriétés esthétiques peuvent compter parmi les contenus possibles de l'expérience perceptive. Suivant une tendance récente en philosophie de la perception, je pose la question de savoir si nous pouvons expliquer le contraste phénoménal entre l'expérience d'une personne avant et après l'acquisition d'une capacité de reconnaissance d’une propriété esthétique déterminée en termes perceptifs. Je soutiens que cette explication ne rend pas compte de la spécificité du domaine esthétique : les propriétés esthétiques ne peuvent pas faire partie du contenu possible de l'expérience perceptive parce qu’elles sont essentiellement évaluatives.
Dans un deuxième temps, je défends cette dernière idée en démontrant que nous devrions traiter les propriétés esthétiques comme étant des valeurs épaisses, c'est-à-dire des propriétés qui combinent indissolublement des caractéristiques évaluatives et descriptives. Si tel est le cas, nous appréhenderions les propriétés esthétiques par perception seulement si les valeurs comptent parmi les contenus possibles de l’expérience perceptive. Cependant, plusieurs raisons sont avancées pour considérer les capacités représentationnelles de la perception comme exclusivement descriptives, la plus importante de celles-ci étant que toute possibilité de représenter les valeurs par une expérience perceptive impliquerait l'impossibilité de véritables divergences esthétiques fondées sur des différences de goût.
En réponse, je propose la conception affective. Cette vue comprend l'appréhension des propriétés esthétiques comme étant une expérience émotionnelle en fondant notre accès au domaine esthétique sur la relation intime existante entre les émotions et les valeurs. Après avoir établis les fondements de ce point de vue, ce travail se termine par une brève discussion de ses implications pour la philosophie de l'esprit, l'épistémologie et l'esthétique.
Florian Gatignon (2022) – Éloge de la nostalgie
Nostalgia, once seen as a disease, still has a bad reputation. It's said to consist in dwelling on the past, preventing us from fully living the present and planning the rest of our lives, and to be based on an idealized, illusory vision of the past. In this dissertation, I defend this emotion and argue that it plays a fundamental role in our well-being and our relationship with the present and the future.
This work is divided into three chapters. In the first, I study some general properties of emotions. I describe the diversity of ways of assessing emotions. Finally, I take a closer look at emotions turned towards the autobiographical past, to which nostalgia belongs. I argue that these emotions are new appraisals of the past, rather than memories of old emotions, and that they play an important role in our narrative representation of our lives.
In the second chapter, I analyze the nature of nostalgia. I argue that nostalgia is an emotion that focuses on important situations or events from the nostalgic person's past, and evaluates them as positive and meaningful, but lost. This evaluation constitutes a comparison between present and past, to the advantage of the latter. I explain why this concept is attractive, and why nostalgia is both pleasant and unpleasant. I end with a few more details on what makes nostalgia complex, why it depends so much on the individual who experiences it, and how it differs from and depends on other similar mental states.
Finally, in the third chapter, I turn to the value of nostalgia. The analysis provided in the previous chapter allows me to reject criticisms of this emotion. I begin by showing that nostalgia is often a correct representation, even when the memories on which it is based are not entirely accurate. I also explain how it can play a few important practical roles: it helps us deal with negative emotions, sheds light on what we value, lets us know what to look for in the future and strengthens our sense of our own identity. Finally, I return to some of the criticisms of nostalgia and some cases where this emotion is indeed problematic. As these are limited, and the benefits of nostalgia are many, I conclude that it is inappropriate to reject this emotion wholesale. On the contrary it brings inestimable value to our lives.
La nostalgie, autrefois vue comme une maladie, garde une mauvaise réputation. Elle consisterait à ressasser le passé et nous empêcherait de pleinement vivre le présent et prévoir le reste de notre vie. De plus, elle se baserait souvent sur une vision idéalisée et illusoire du passé. Dans ce mémoire, je défends cette émotion et soutiens qu’elle joue un rôle fondamental pour notre bien-être et notre rapport au présent et au futur.
Ce travail se divise en trois chapitres. Dans le premier, j’étudie quelques propriétés générales des émotions. Je décris la diversité des plans sur lesquels on peut évaluer une émotion. Enfin, je m’intéresse plus spécifiquement aux émotions tournées vers le passé autobiographique, auxquelles appartient la nostalgie. J’affirme que ces émotions sont de nouvelles évaluations du passé, plutôt que des souvenirs d’anciennes émotions, et qu’elles jouent un rôle important dans notre représentation narrative de notre vie.
Dans le deuxième chapitre, j’analyse la nature de la nostalgie. Je soutiens que c’est une émotion tournée vers des situations ou événements importants du passé de celui qui la ressent et qui les évalue comme positifs et significatifs mais perdus. Cette évaluation constitue une comparaison entre présent et passé à l’avantage de ce dernier. J’explique pourquoi cette conception est attirante et explique bien le fait que la nostalgie est à la fois plaisante et déplaisante. Je finis par quelques précisions supplémentaires sur ce qui rend la nostalgie complexe, pourquoi elle dépend fortement de l’individu qui la ressent, et comment elle se distingue et dépend d’autres états mentaux similaires.
Enfin, dans le troisième chapitre, je me penche sur la valeur de la nostalgie. L’analyse fournie au chapitre précédent permet de rejeter les critiques de cette émotion. Je commence par montrer que la nostalgie constitue souvent une représentation correcte, même lorsque les souvenirs sur lesquels elle se base ne sont pas entièrement précis. J’explique également comment elle peut jouer plusieurs rôles pratiques importants : elle nous aide à gérer nos émotions négatives, éclaire ce que nous valorisons, nous permet de savoir quoi rechercher dans le futur et renforce notre sens de notre propre identité. Enfin, je reviens sur quelques critiques de la nostalgie et certains cas où cette émotion est en effet problématique. Comme ceux-là sont limités et que les bienfaits de la nostalgie sont nombreux, je conclus qu’il est inadéquat de rejeter cette émotion en bloc. Au contraire, elle apporte une valeur inestimable à nos vies.
Mathilde Cappelli (2021) – The Paradox(es) of Horror and Tragedy
My master thesis is a presentation of the paradoxes of horror and tragedy that arise from the idea that, in real life, we usually want to avoid situations that give rise to negative emotions—such as fear, anger, sadness, pity, or even disgust—while “we seek out art that we know is likely to elicit such feelings. This is puzzling”. It seems rational and easily understandable, on the contrary, to try to have “positive emotions”—such as joy, amusement, love, pride, admiration—, whether in real life or fiction (Smuts 2018).
These paradoxes are sometimes said to consist in two closely related but different questions:
1) The motivational question of why we want to experience emotions that, being painful, ordinarily cause a state of aversion—in short, why do we want to be exposed to painful art? (Smuts 2014). More specifically, we might ask, why do people seemingly want to be scared by a movie or feel pity for a character when they avoid situations in real life that arouse the same emotions?” (Matravers 2014: 207; Smuts 2009: 39).
2) The question of how it is possible to experience emotions such as fear, sadness or pity without experiencing their ordinary painfulness.
These two questions presuppose, however, that the emotions in question really are, at least partly, negative or painful. But this may be doubted.
It is then preferable to state the paradoxes of horror and tragedy in a more neutral way: how to explain the puzzling fact that we intentionally expose ourselves to fictional situations that we (rightly or falsely) take to be likely to elicit emotions, such as fear or sadness, that we usually do not want nor like to experience when they are elicited by nonfictional situations—which 1) contributes to explaining why we ordinarily classify these emotions as negative, and 2) usually leads us to avoid the non-fictional situations that we (rightly or falsely) take to be likely to elicit them?
In order to solve the paradoxes of horror and tragedy I challenge the concept of valence upon which these paradoxes are based (I). I try to show that we have good reasons to think that this idea of valence is inaccurate, and that it is just the conceptualisation of an unsupported misleading intuition. It follows from this that we have reasons to think that each type of emotions is not, intrinsically, whatever the context is, either negative or positive.
In part (II), I explain why emotions such as fear, sadness or pity, which are supposed to be intrinsically negative, are not so because they are not unpleasant when fiction-directed while they are typically so when reality-directed. Before doing this, I examine different views advanced in literature to solve the paradoxes of horror and tragedy and argue that all of them are deeply problematic.
Showing why supposedly negative fiction-directed emotions are not so in reality is not sufficient however to show that we are not irrational when exposing ourselves to fictions that are likely to elicit such emotions. Indeed, what needs to be explained is why we actively seek out these emotions, which requires showing that we can benefit from them, and not just showing why they are not unpleasant. This is what I endeavor to do in part (III), thereby solving the paradoxes of horror and tragedy.
I conclude with some remarks about disgust, which seems to have the interesting characteristic of being the only intrinsically negative emotion, whether it is directed towards reality or fiction.
Mon mémoire consiste en une présentation qui se voulait la plus claire possible des paradoxes de l'horreur et de la tragédie qui proviennent de l'idée selon laquelle, dans la vie, nous avons souvent tendance à éviter les situations qui provoquent en nous des émotions négatives- telles que la peur, la colère, la tristesse, la pitié, ou même le dégoût- alors que « nous recherchons activement des œuvres d'arts dont nous savons qu'elles sont susceptibles de susciter de tels sentiments. Cela laisse perplexe ». Il semble rationnel, et tout à fait compréhensible, au contraire d'essayer d'avoir des « émotions positives » -tel que la joie, l'amusement, l'amour, la fierté ou l'admiration-, aussi bien dans la vie qu'à travers la fictions (Smuts 2018).
On dit parfois que ces paradoxes consistent en deux questions étroitement liées mais différentes.
1) La question motivationnelle : pourquoi voulons- nous expérimenter des émotions, qui, étant douloureuses, vont certainement causer un état d'aversion ? -en bref, pourquoi voulons-nous être exposé à de l'art douloureux ? (Smuts 2014). Plus exactement, pourquoi les personnes semblent-elles vouloir avoir peur face à un film d'horreur ou ressentir de la pitié pour un personnage quand elles évitent des situations de la vie réelle qui suscitent les mêmes émotions ? (Matravers 2014 ; Smuts 2009).
2) La question de comment est-il possible d'expérimenter des émotions comme la peur, la tristesse ou la pitié sans en ressentir leurs habituels effets négatifs.
Ces deux questions présupposent cependant que les émotions en question sont réellement, au moins en partie, négatives ou douloureuses. Mais on peut en douter.
Il est alors préférable d'énoncer les paradoxes de l'horreur et de la tragédie d'une manière plus neutre : de quelle manière expliquer le fait troublant que nous nous exposons intentionnellement à des situations fictionnelles que nous (correctement ou incorrectement) prenons pour des situations qui sont susceptibles de susciter en nous des émotions, comme la peur ou la tristesse, qu'on ne veut généralement pas ressentir, ni apprécions ressentir, lorsqu'elles sont suscitées par des situations non-fictionnelles- ce qui 1) contribue à expliquer pourquoi on classifie habituellement ces émotions de négatives, et 2) nous conduit généralement à éviter les situations non fictives que nous considérons (à tort ou à raison) comme susceptibles de les susciter ?
Afin de résoudre les paradoxes de l'horreur et de la tragédie je conteste le concept de valence sur lequel reposent ces paradoxes (I). Je tente de montrer que nous avons de bonnes raisons de penser que cette idée de valence est inexacte, et que c'est seulement la conceptualisation d'une intuition dénuée de fondement et trompeuse. Il s'en suit de cela que nous avons de bonnes raisons de penser que chaque type d'émotions ne sont pas, intrinsèquement, qu'importe le contexte, soit négatives soit positives.
Dans la partie, (II) j’explique pourquoi les émotions comme la peur, la tristesse ou la pitié, qui sont supposées être intrinsèquement négatives, ne le sont pas parce qu'elles ne sont pas déplaisantes lorsqu'elles sont dirigées vers la fiction alors qu'elles le sont généralement lorsqu'elles sont dirigées vers la réalité. Avant de faire cela, j’examine les différentes vues qui ont été avancées dans la littérature pour résoudre les paradoxes de l'horreur et de la tragédie, et je soutiens qu'elles sont toutes profondément problématiques.
Montrer pourquoi les émotions négatives dirigées vers la fiction ne sont pas négatives en réalité n'est cependant pas suffisant pour montrer que nous ne sommes pas irrationnels lorsque nous nous exposons à des fictions qui sont susceptibles de provoquer en nous ce genre d'émotions. En effet, ce qui doit être expliqué est pourquoi nous recherchons activement ces émotions, ce qui demande de montrer que nous pouvons en tirer profit, et pas seulement montrer pourquoi elles ne sont pas déplaisantes. C'est ce que je m'efforce de faire dans la partie (III) de ce mémoire, et ainsi résoudre les paradoxes de l'horreur et de la tragédie.
Je conclus sur quelques remarques à propos du dégoût, qui semble avoir pour particularité intéressante d'être la seule émotion intrinsèquement négative, qu'elle soit dirigée vers la réalité ou vers la fiction.
Leonardo Monti (2021) – Le Mérite, les Vertus et le Bonheur
Desert is a three-term relationship. There is always someone(the subject of desert) who deserves something (the object of desert) for some reason (the desert base). In this work, I defend two theses. The first thesis concerns the desert base. I argue that the only desert base is moral virtue (vice). In other words, the only reason one deserves good things is because one is morally virtuous and the only reason one deserves bad things is because one is morally vicious. The second thesis concerns the object of desert. I argue that the only object of desert is a quantity of happiness (unhappiness). In other words, the only thing one can deserve is a quantity of happiness or unhappiness.
I proceed as follows. In chapter 2, I present the structure of desert, I discuss its relation to the concepts of entitlement and justice, and finally I present reasons for rejecting skepticism about desert. In chapter 3, I present George Sher’s account of desert bases only to reject it later. In chapter 4, I present a competing account, defended by Kristján Kristjánsson, according to which there is only one desert base: the possession or lack of moral virtue. Finally, in chapter 5, I provide additional reasons for adopting Kristjánsson’s position. Then, I defend the thesis that the only thing we can deserve because of our virtues and vices is a corresponding amount of happiness and unhappiness. I end the chapter by attempting to demonstrate the plausibility of the combination of these two theses: the only thing we deserve is a quantity of happiness and unhappiness, and we deserve this only as a function of our virtues and vices. To do this, I show how these two theses escape several objections.
Le mérite est une relation à trois termes. Il y a toujours quelqu’un (le sujet du mérite) qui mérite quelque chose (l’objet du mérite) pour une certaine raison (la base du mérite). Dans ce travail, je défends deux thèses. La première thèse concerne la base du mérite. Je défends que l’unique base du mérite est la vertu (le vice) morale. Autrement dit, la seule raison pour laquelle on mérite des bonnes choses, c’est parce qu’on est moralement vertueux et la seule raison pour laquelle on mérite des mauvaises choses, c’est parce qu’on est moralement vicieux. La seconde thèse concerne l’objet du mérite. Je défends que l’unique objet du mérite est une quantité de bonheur (malheur). Autrement dit, la seule chose qu’on peut mériter, c’est une quantité de bonheur ou de malheur.
Voici comment je procède. Dans le chapitre 2, je présente la structure du mérite, je discute de sa relation avec les concepts de droit et de justice et enfin je propose quelques raisons de rejeter le scepticisme à propos du mérite. Dans le chapitre 3, je présente la conception des bases du mérite de George Sher, pour la rejeter ensuite. Dans le chapitre 4, je présente une conception concurrente, celle de Kristján Kristjánsson, selon laquelle il n’y a fondamentalement qu’une seule base du mérite : la possession ou non de vertus morales. Enfin, dans le chapitre 5, je fournis des raisons supplémentaires d’adopter la position de Kristjánsson. Puis, je défends la thèse selon laquelle la seule chose que l’on peut mériter en raison de nos vertus et vices, c’est une quantité correspondante de bonheur et de malheur. Je termine le chapitre en tentant de démontrer la plausibilité de la combinaison de ces deux thèses : la seule chose que l’on mérite, c’est une quantité de bonheur et de malheur, et on mérite cela uniquement en fonction de nos vertus et vices. Pour ce faire, je montre comment ces deux thèses échappent à plusieurs objections.
Angelina Komiyama (2021) – Quels sont les liens entre musique et émotion ?
In our everyday life, we often qualify a music as being “melancholic”, “joyful”, or more generally, “expressive” of a certain emotion. If a friend feels down, we would make him listen to an “entertaining” music rather than a “depressing” one – in other words, we would influence his emotions through music. In these ways, we often establish a connection between music and emotions. But is this connection so obvious? Consider a music accompanied by a story or some lyrics; in this case, we may distinguish an agent (e.g. the author or the character) who would be the holder and expresser of the emotions, and the listener would have an intentional object (e.g. the fate of the character) to evaluate, which would explain the presence of his emotion. But if we removed the story and the lyrics, for example of an opera (e.g. La Traviata), and we listened to the music alone, would we still consider the music to be sad, or that it makes us sad? Explaining how such a music may be expressive of an emotion, and why a listener would feel an emotion by listening to it, seems more difficult. In this work, we are interested precisely in such music: absolute music, i.e. music which is merely instrumental and unlinked to anything extra-musical. It is also important to distinguish two kinds of discussions concerning music and emotions: one which situates emotions in the music, and another one which situates emotions in the listener. Our work consists therefore in answering the two following questions: (1) How can an absolute music come to be qualified as “expressive”? and (2) why does a listener feel emotions when listening to absolute music? After a preliminary section where we define important notions, we present skeptical theories (Kivy, Zangwill) and non-skeptical theories (Davies, Levinson, Robinson) which aim to answer these two questions. The division between the skeptical and non-skeptical is mostly motivated by their position concerning emotions of the garden-variety type (more or less standard emotions such as sadness, joy, melancholy, etc.): non-skeptical theorists claim that music is expressive of these emotions and that in consequence the listener feels these emotions; whereas skeptical theorists deny the capacity of music to express such emotions, or consider that the process behind the transformation of sounds into expressive properties is unanalyzable, and suggest that the listener feels a specifically “musical emotion” instead of an emotion of the garden-variety sort. In the last section (in which we focus on the second question), we bring a discussion in which we suggest a classification of the theories depending on whether they treat immediate or non-immediate reactions to music, and on whether they are descriptive or prescriptive. We also consider the place of moods (Carroll, Sizer) and chills (Levinson) in our musical experience. To conclude, we take inspiration from other theories (Cova & Deonna, Gorodeisky, etc.) and suggest that the emotion of “being moved” plays a crucial role in our musical experience, from an epistemic, aesthetic and moral point of view.
Au quotidien, nous disons souvent d’une musique qu’elle est « mélancolique », « joyeuse », ou plus généralement, qu’elle est « expressive » d’une certaine émotion. Si un ami a le blues, nous lui ferions écouter une musique « divertissante » plutôt qu’une musique « déprimante », autrement dit, nous influencerions son émotion grâce à la musique. De cette manière, nous établissons souvent des liens étroits entre musique et émotions. Mais ce lien est-il réellement évident ? Si une musique est accompagnée d’un récit ou de paroles, alors nous pourrions distinguer un agent détenteur des émotions exprimées (par ex. l’auteur ou le personnage), et l’auditeur aurait un objet intentionnel précis à évaluer (par ex. le sort du personnage), ce qui expliquerait la présence de son émotion. Mais si nous ôtions le récit et les paroles à un opéra (par exemple La Traviata), et que nous n’écoutions que la musique à son état « pur », dirions-nous pour autant que celle-ci est triste, ou qu’elle nous rend triste ? Expliquer en quoi une telle musique est expressive d’une émotion donnée, et pourquoi l’auditeur ressent une émotion face à elle, semble plus difficile. Dans ce mémoire, nous nous intéressons précisément au cas de la musique pure (ou absolue), c’est-à-dire la musique purement instrumentale, qui n’est liée à aucun aspect extra-musical. Nous distinguons par ailleurs deux discussions concernant le lien entre musique et émotion : celle qui situe les émotions dans la musique, et celle qui situe les émotions chez l’auditeur. Ainsi, notre travail consiste à répondre à deux questions : (1) En quoi une musique pure peut être qualifiée d’« expressive » ? et, (2) comment se fait-il que l’auditeur ressente des émotions à l’écoute d’une musique pure ? Après avoir défini quelques notions importantes, nous présentons des théories sceptiques (Kivy, Zangwill) et non-sceptiques (Davies, Levinson, Robinson), qui cherchent à répondre à ces deux questions. La division entre les sceptiques et les non-sceptiques est en grande partie motivée par une opposition liée à la place des émotions de type garden-variety (des émotions plus ou moins standard comme la tristesse, la joie, la mélancolie, etc.) : les théories non-sceptiques soutiennent que la musique est expressive de ces émotions, et que par conséquent, l’auditeur ressent des émotions de ce type ; tandis que les théories sceptiques nient la capacité de la musique à exprimer ces émotions, ou considèrent que le processus impliqué dans la transformation des sons en propriétés expressives est inanalysable, et proposent que l’auditeur ressent non-pas une émotion de type garden-variety, mais plutôt une émotion spécifiquement liée à la musique. Dans la dernière partie de ce travail (qui se concentre plus particulièrement sur la deuxième question), nous proposons une discussion dans laquelle nous classifions les théories étudiées selon qu’elles traitent des réactions immédiates ou non-immédiates à la musique, et selon qu’elles soient descriptives ou prescriptives. Nous considérons en outre la place des humeurs (Carroll, Sizer) ainsi que des frissons (Levinson) dans notre expérience musicale. Enfin, en nous inspirant d’autres propos (Cova & Deonna, Gorodeisky, etc.), nous proposons que l’émotion « être ému » joue un rôle primordial dans notre expérience musicale d’un point de vue épistémique, esthétique et moral.
Timour Nigolian (2020) – Philosophie du sport: Une histoire de drama
Despite being a set of activities practiced by humans all around the world since millennia, sport only recently received its place as an object of philosophical inquiry. This deficiency is especially striking in the French philosophical literature. My research aims at filling part of this gap by addressing the viewer's perspective in particular. I first define games, since sports are one of its subset, following notably Bernard Suits position. I then define a sport as a physical game challenging our human condition. A sport's rules thus create a fictional frame within which a spectator can observe real values. Through these, the public can contemplate the main object of the sports show: its drama.
Bien qu'il soit un ensemble d'activités pratiquées par les humains du monde entier depuis des millénaires, le sport n'a obtenu que récemment sa place d'objet d'étude philosophique. Ce manque est spécialement frappant dans la littérature francophone. Ma recherche vise à combler une partie du vide en s'intéressant en particulier à la perspective du spectateur d'une rencontre sportive. Je commence par définir le jeu, car le sport en est un sous-ensemble, en m'inspirant notamment de Bernard Suits. Je définis ensuite le sport comme un jeu physique testant notre condition d'être humain. Les règles d'un sport créent ainsi un cadre fictionnel dans lequel le spectateur peut observer des valeurs réelles. A travers ces dernières, le public contemple l'objet central du spectacle sportif : son drama.
Agnès Baehni (2020) – Le blâme moral : nature, éthique et fonction
The aim of this work is to shed light on the phenomenon of blame and, more precisely, to determine whether it is a valuable attitude that ought to be maintained in our moral practice. We will proceed through the following lines of research. First, contrarily to the traditional analytic method, we will study the nature of blame by considering a paradigmatic case and will argue in favour of a given approach. We will then focus on the role of the emotions in blame as well as on its essentially communicative role. We will subsequently inquire upon the ethics of blame by trying to identify the limits to be placed on its legitimate exercise and by examining the question of hypocritical blame. This second part deals with issues concerning the person being blamed, the person blaming, as well as the interaction between them. Finally, in order to answer our initial question, we will offer a reflection on the function of blame with the purpose of determining whether it allows us to endow this phenomenon with real moral value. We identify two functions that allow us to claim that, sometimes, blaming bears moral value and that, therefore, this practice should be maintained in our moral experience: its quality of protest and its capacity to constitute a mode of valorization of the moral objects to which we grant value. This study is completed by a reflection on the link between blame and forgiveness aimed at demonstrating that blame really is necessary to reach a satisfactory level of moral understanding.
Ce travail se fixe pour objectif d’éclairer le phénomène du blâme, et, plus précisément, de déterminer s’il possède une valeur telle qu’il devrait être maintenu au sein de notre pratique morale. Nous procédons à travers les axes de recherche suivants : en premier lieu, nous proposons une étude de la nature du blâme, au sein duquel nous argumentons en faveur d’une approche via un cas paradigmatique, au contraire de la méthode analytique traditionnellement employée. Nous étudions notamment le rôle des émotions pour le blâme, ainsi que son rôle essentiellement communicatif. Ensuite, nous nous intéressons à la thématique de l’éthique du blâme, en tentant d’identifier les limites devant être posées à son exercice légitime et en nous interrogeant, notamment, sur la question du blâme hypocrite. Cette seconde partie traite aussi bien des questions concernant la personne blâmée, la personne blâmant, que l’interaction elle-même. Finalement, et dans l’optique de répondre à notre question initiale, nous proposons une réflexion au sujet de la fonction du blâme, afin de déterminer si celle-ci permet de doter ce phénomène d’une véritable valeur morale. Nous identifions deux fonctions permettant d’affirmer que le blâme possède de la valeur morale et qu’il doit être maintenu au sein de notre pratique : sa qualité de protestation ainsi que sa capacité à constituer un mode de valorisation des objets moraux auxquels nous accordons de la valeur. Cette étude est complétée par une réflexion concernant le lien entre le blâme et le pardon, afin de démontrer que le blâme est réellement nécessaire pour l’obtention d’un degré satisfaisant de compréhension morale.
Roberto Keller (2019) − Emotions for Persons
This work offers a descriptive and normative analysis of personal emotions: admiration, contempt, pride, and shame. These emotions seem to have a peculiar link to persons: (i) they are intentionally directed towards persons and (ii) they evaluate persons for who they are (Bell 2011, 2013; Kauppinen 2019).
This simple observation gives rise to five lines of inquiry that are investigated in the present work. Firstly, it needs to be determined whether these emotions are truly exclusively directed towards persons and why this is so. Secondly, it needs to be determined what it means to evaluate someone for who they are rather than for what they do. Thirdly, these emotions are often said to be global in nature: to contemn someone is to negatively evaluate them as a whole, all things considered. This observation needs to be carefully evaluated in order to establish whether these emotions evaluate persons globally or locally for some feature of theirs. Fourthly, these emotions are importantly influenced by the values that we care about and by the standards we expect others and ourselves to meet. The issue then will be to clarify the notion of attachement to a value and the nature and source of the standards that we expect others to meet. Fifthly, these emotions raise different normative questions, namely how they may come to be justified and correct.
In order to answer these questions, this work will proceed as follows. In the first chapter, the notion of emotion, sentiment, temperament, and character trait will be expounded. In the second chapter, the different types of psychological dispositions constituting personality will be distinguished and discussed in order to understand how these shape a person. In particular a distinction is drawn between those psychological dispositions that are constitutive of one’s evaluative sensibility and those that are not (Deonna and Teroni 2009). In the third chapter, personal emotions are carefully analysed one by one from a descriptive point of view and it is argued that these emotions are evaluations of persons with respect to their evaluative sensibility. This is both a refinement and a unification effort of the several theories of admiration (Zagzebski 2015, 2017; Kauppinen 2019) contempt (Mason 2003; Abramson 2010; Bell 2013) pride (Fischer 2012; Kauppinen 2017) and shame (Taylor 1985; Deonna et al 2012). The fourth chapter continues the inquiry into personal emotions by addressing the normative questions that remain to be answered: in particular which requirements need to be met in order for these emotions to be justified and correct. A defence of the possibility of the justification of these emotions is provided against recent attacks stemming from situationism (Harman 1999; Doris 2002, Vranas 2009). The possibility of personal emotions being correct is defended against recent attacks (Doris 2002) and a criticism of the existing defences (Bell 2011) is also offered.
Ce travail offre une analyse descriptive et normative des émotions personnelles: l’admiration, le mépris, la fierté, et la honte. Ces émotions semblent avoir un lien spécial avec les personnes: (i) elles sont intentionnellement dirigées exclusivement vers des personnes et (ii) elles évaluent les personnes en vertu de qui elles sont (Bell 2011, 2013; Kauppinen 2019).
Cette simple observation donne lieu à cinq questions qui sont discutées dans ce travail. Premièrement, il est nécessaire d’établir si ces émotions sont effectivement exclusivement dirigées vers des personnes et pourquoi ceci est le cas. Deuxièmement, il faut comprendre ce que cela veut dire d’évaluer quelqu’un en vertu de la personne qu’elle est plutôt qu’en vertu de ses actions. Troisièmement, ces émotions sont souvent considérées comme ayant une portée globale sur la personne: lorsqu’on méprise une personne, on la méprise toute chose considérée. Cette observation doit être considérée attentivement afin de pouvoir établir si ces émotions évaluent les personnes de manière globale ou locale. Quatrièmement, ces émotions sont influencées de manière importante par les valeurs auxquelles nous sommes attachés et par les standards auxquels nous sommes sujets. Cette observation soulève la question de savoir ce que ça veut dire d’être attaché à une valeur et quelle est la nature et l’origine des standards auxquels on est sujets. Cinquièmement, ces émotions soulèvent plusieurs questions normatives, à savoir si elles peuvent être justifiées et correctes.
Afin de répondre à ces questions, ce travail procèdera de la manière suivante. Dans le premier chapitre, la notion d’émotion, de sentiment, de tempérament, et de trait de caractère seront présentées. Dans le deuxième chapitre, les différents types de dispositions psychologiques qui constituent la personnalité seront distinguées et discutées afin de mieux comprendre de quelle manière elles constituent une personne. En particulier, une distinction doit être faite entre les dispositions qui constituent la sensibilité évaluative d’un agent et celles qui ne la constituent pas (Deonna and Teroni 2009). Dans le troisième chapitre, les émotions personnelles sont analysés une par une d’un point de vue descriptif: la thèse défendue dans ce chapitre est que les émotions personnelles sont des évaluations d’une personne vis-à-vis de leur sensibilité évaluative. Cette prise de position est un raffinement ainsi qu’un effort d’unification des différentes théories de l’admiration (Zagzebski 2015, 2017; Kauppinen 2019) du mépris (Mason 2003; Abramson 2010; Bell 2013) de la fierté (Fischer 2012; Kauppinen 2017) et de la honte (Taylor 1985; Deonna et al 2012). Le quatrième chapitre continue l’analyse des émotions personnelles en essayant d’apporter une réponse aux questions normatives mentionnées plus haut: plus spécifiquement il est nécessaire de mieux comprendre comment ces émotions peuvent être justifiées et correctes. La possibilité que ces émotions soient justifiées est défendue contre des attaques issues du situationisme (Harman 1999; Doris 2002, Vranas 2009). La possibilité que ces émotions soient correctes est défendue contre des attaques récentes (Doris 2002) tout en rejetant des solutions existantes (Bell 2011) proposées contre ces critiques.
Giacomo Mazzucchelli (2019) – Comprendre la “maladie suisse” : une approche philosophique de la nostalgie
Summer is over. You came back from holiday yesterday and today you restart working. While heading to your office, you think back to last evening, when you were drinking a good glass of Chianti just in front of the sea. A sudden feeling of joy warms your heart, but it quickly vanishes leaving room to a bittersweet taste in your mouth once you sadly join your desk and see your colleagues. From the Odyssey till Proust’s masterpiece In Search of Lost Time, nostalgia has been the subject of famous writers and artists. However, despite being a quite pervasive and universal phenomenon, analytic philosophers have tended to neglect it and focus more on basic or moral emotions. My master thesis aims to fulfil this gap by offering an overall philosophical account of nostalgia.
After a general introduction of the affective domain and their key features – intentionality, epistemic status, and phenomenology – two main accounts are explored: the “naivety” and the “poverty of the present” theories. Both accounts consider nostalgia as essentially involving a kind of comparison between the past and the present of the agent. While the first posits an “epistemic gap” between the two temporal dimensions – the subject in the past is conceived as more “naïve” and less conscious of his surroundings than he is today –, the second holds that nostalgia consists in an evaluative judgement made by the agent, where his past is seen as “better” than or “preferable” to his present.
The two accounts seem to capture something essential to nostalgia, but they face some serious objections. In fact, while the “epistemic gap” introduced by the naivety theory simply appears to derive from the mnemonic dimension and thus from the presence of two different perspectives (the one of the subject remembering and the one of the subject “remembered”) common to many other emotions (regret, melancholia, etc.), an evaluative judgment seems neither necessary nor sufficient for having an emotion. A fine-grained version of the “poverty of the present” theory is then explored, where the judgement is only dispositional and focused on specific aspects of the present and the past episode of the agent. Even if this new version looks at first glance more promising and able to account for most of nostalgic episodes, it seems to be undermined by the case of “Proustian nostalgia”. This one, as recalled by Proust’s famous madeleine, describe nostalgic occurrences presenting particular features: they’re typically ephemeral, imply a strong sense of immersion, are generally more (phenomenologically) positive and, what’s more, do not seem to involve any comparison from the subject between his past and his present.
Besides, as A. S. Howard (2012) points out, some Proustian nostalgia may be directed towards “neutral” (or even negative) past matters of fact, and the subject can be perfectly aware of this, while nonetheless feeling nostalgic. This awkward feature seems due to a kind of golden patina marking the memory and adding a fictional element to it. Therefore, Proustian nostalgia present, according to A. S. Howard, another version of the infamous paradox of fiction. In my work, I argue that A. S. Howard’s intuition is only partly right. After discussing analogies and dis-analogies between ordinary and fictional emotions – as well as their (epistemic) norms –, I do distinguish internal and external elements within a fiction. While the first ones strictly concern the content of the fiction, the others characterize more the way the fictional story and its characters are represented. An example of it is what is usually called “framing effects” in the visual and cinematographic arts. Framing effects suppose the idea that the choice of a cinematographic technique, such as a close-up or a long tale, may significantly modulate our emotions. My intuition is that a similar mechanism applies to Proustian nostalgia: the golden patina invoked by A. S. Howard corresponds to an external “fictional” (and mnemonic) element. Marcel’s memory is, strictly speaking, faithful to his past: he rightly remembers dunking the madeleine in his tea, his home, and his village. Depending on the degree of the fictional patina, I argue therefore that Proustian nostalgia can be considered as genuine episodes of nostalgia. The introduction of the framing effects and the distinction between internal and external fictional elements allow me to propose a unified account of the bittersweet emotion, by treating Proustian nostalgia as a borderline case.
L’été est presque fini. Vous venez de rentrer de vos vacances et aujourd’hui vous retournez au travail. Pendant que vous vous dirigez au bureau, vous pensez un instant à votre dernière soirée, lorsque vous étiez en train de boire un bon Chianti avec l’horizon de la mer devant vous. Une soudaine sensation de joie s’empare de votre cœur, mais elle disparaît vite, laissant un goût aigre-doux dans votre bouche quand vous rencontrez vos collègues et rejoignez votre table de travail. De l’Odyssée à la Recherche de Proust, la nostalgie, émotion dont il est question ici, a attiré l’attention d’écrivains et d’artistes célèbres. Bien qu’elle constitue un phénomène répandu et presque universel, les philosophes analytiques l’ont souvent négligée, se focalisant davantage sur des émotions basiques ou de nature morale. Ce mémoire de maitrise a pour but de combler cette lacune, en offrant une approche philosophique générale de la nostalgie.
Après une esquisse, dans la section introductive, du paysage philosophique des émotions à travers l’illustration de leurs caractéristiques fondamentales – leur intentionnalité, leur statut épistémique et leur phénoménologie – deux approches classiques de la nostalgie sont critiquées : la théorie de la naïveté et celle de la pauvreté du présent. Les deux positions partagent l’idée que cette émotion consiste en une comparaison particulière entre le passé et le présent du sujet : selon la première, elle dérive d’un écart épistémique de l’individu entre la situation passée et actuelle – l’agent étant d’une certaine manière inconscient de l’environnement à l’époque. D’après la seconde, la nostalgie consiste plutôt dans une évaluation négative que ce dernier fait du présent, au profit d’un passé qui lui serait préférable.
Bien qu’elles semblent capturer des aspects essentiels de la nostalgie, les deux approches font face à d’importantes objections. En effet, « l’écart épistémique » introduit par la théorie de la naïveté parait dériver simplement de la dimension mémorielle et, par conséquent, de la présence de deux perspectives (celle du sujet qui remémore et celle du sujet « remémoré ») qui est commune à d’autres émotions (regret, mélancolie, etc.). Quant à l’approche de la pauvreté, elle implique un jugement. Or, un jugement évaluatif ne semble ni nécessaire ni suffisant pour éprouver une émotion. Une version plus raffinée de l’approche de la pauvreté du présent est également explorée. Dans celle-ci, le jugement est uniquement dispositionnel et dirigé vers des aspects spécifiques du présent et de l’épisode passé du sujet. Ce nouveau modèle, qui paraît être plus prometteur, est cependant remis en cause par l’existence d’un type particulier de nostalgie qu’exemplifie l’épisode proustien de la madeleine. Ces « nostalgies proustiennes » décrivent des instances de nostalgie présentant des caractéristiques particulières : elles sont typiquement éphémères, impliquent une forte sensation d’immersion, sont généralement plus (phénoménologiquement) positives et, qui plus est, ne semblent supposer aucune comparaison, de la part du sujet, entre son passé et son présent.
En outre, comme souligné par A. S. Howard (2012), certaines instances de nostalgies proustiennes peuvent être dirigées vers des épisodes « neutres » (ou « négatifs ») du passé du sujet, et ce dernier, bien qu’il en soit parfaitement conscient, éprouve néanmoins de la nostalgie. Cet aspect « étrange » paraît être due à une espèce de « patine dorée » marquant le souvenir de l’agent et lui ajoutant un élément fictionnel. Ainsi, les nostalgies proustiennes présenteraient, selon A. S. Howard, une autre version du célèbre paradoxe de la fiction. Dans mon travail, je soutiens que cette intuition d’A. S. Howard n’est qu’en partie correcte. Après avoir discuté des analogies et dis-analogies caractérisant les émotions ordinaires et fictionnelles de même que leurs normes (épistémiques), je distingue, au sein d’une fiction, ce qui relève d’éléments internes ou externes. Alors que les premiers portent au sens strict sur le contenu de la fiction, les seconds concernent plutôt la façon dont l’histoire et ses personnages sont représentés. Un exemple à ce sujet est constitué par ce qu’on appelle « effets de framing » dans les arts visuels et cinématographiques. Les effets framing impliquent que le choix d’une technique cinématographique particulière, telle que l’usage d’un gros plan ou bien d’un plan-séquence, puisse modifier de manière sensible nos réponses affectives. Mon idée est qu’un mécanisme similaire s’applique au cas des nostalgies proustiennes : la « patine dorée » évoquée par A. S. Howard correspond plutôt à un élément fictionnel (mnémonique) externe. En effet, le souvenir de Marcel semble être, stricto sensu, fidèle à l’épisode du passé : il se rappelle correctement tremper un biscuit dans son infusion de thé, sa maison et son village d’enfance. Je défends ainsi que, selon le « degré de fictionalité » en jeu, les nostalgies proustiennes peuvent être considérées comme des émotions authentiques En conclusion, l’appel aux effets framing et la distinction entre éléments fictionnels internes et externes permettent de proposer une vision unitaire de cette émotion douce-amère, en traitant les nostalgies proustiennes comme un cas-limite de celle-ci.
Jean-Philippe Vuilliomenet (2019) – Évaluation du Relativisme Moral et Défense du Réalisme Moral
In philosophy, metaethics is a field where we study ethics in a non-ethical way. Metaethicist’s goal is not to expose us a substantive theory of the good by defining it as the maximisation of utility or respect of categorical imperative demands. His goal is to understand the presuppositions and the semantical, normative, metaphysical, epistemical and psychological commitments of our moral thinking in order to give the best possible explication. Let’s take an example of moral judgement like “killing is bad”. Can we say that this sentence is true or false? If it is true, what can we say about the existence of moral properties like “being wrong”? Do they exist independently of our attitudes or, on the contrary, do they depend on them? If it makes sense to talk about moral truth and moral properties, what is the faculty that gives us knowledge of this moral reality? Among other things, here are some questions raised by this moral judgement which, at first glance, seemed so trivial.
The main purpose of this master thesis is to assess all aspects of moral relativism by showing that non-subjectivist moral realism gives us a better explication of the nature of morality than his critics usually claim.
My thesis begins with a detailed presentation of the semantical, ontological, normative and epistemical aspects of moral realism in order to provide well-defined targets to the objections of antirealists represented by non-cognitivism, J.L Mackie and G.Harman. From antirealism, I analyse different forms of moral relativism, thereby facilitating the G.Harman relativistic theory’s understanding. Then, I raise a series of objections against Harman’s position and moral relativism in general. Finally, I proceed to a favourable return to moral realism by making a decisive argument in its favour on one hand, and rejecting antirealistic objections to its epistemology and metaphysics.
La métaéthique est un domaine de la philosophie où l’on étudie l’éthique de manière non-éthique. Le but du métaéthicien n’est pas de nous présenter une théorie substantive du bien, en ce sens où il ne cherche pas à le définir en tant que maximisation de l’utilité ou respect des impératifs catégoriques. Son entreprise théorique consiste à comprendre les présupposés et les engagements sémantiques, normatifs, métaphysiques, épistémiques et psychologiques de notre pensée morale afin d’en fournir la meilleure explication possible. Il suffit de s’attarder quelque temps sur le jugement moral « tuer est mauvais » pour en saisir toute la profondeur. Pouvons-nous dire de cet énoncé qu’il est vrai ou faux ? S’il est vrai, que dire de l’existence des propriétés morales comme « être mauvais » ? Existent-elles indépendamment de nos attitudes ou, au contraire, en sont-elles dépendantes ? S’il fait sens de parler de vérité morale et de propriétés morales, par quelle faculté en avons-nous connaissance ? Voici, entre autres, quelques questions que soulève ce jugement moral qui paraissait, au premier abord, si anodin.
Mon projet principal dans ce mémoire est d’évaluer le relativisme moral sous tous ses aspects tout en démontrant que le réalisme moral non-subjectiviste fournit une meilleure explication de la nature de la morale que ce que ses détracteurs affirment.
Mon travail débute par une présentation détaillée des aspects sémantiques, ontologiques, normatifs et épistémiques du réalisme moral dans le but de fournir des cibles bien définies aux objections des antiréalistes représentés par le non-cognitivisme, J.L. Mackie et G. Harman. À partir de l’antiréalisme, j’analyse les différentes formes de relativisme moral, facilitant ainsi la compréhension de la théorie relativiste de G. Harman. Par la suite, j’avance une série d’objections à l’encontre de la position de ce dernier et du relativisme moral dans son ensemble. Pour finir, j’opère un retour favorable au réalisme moral en avançant, d’une part, un argument décisif en sa faveur et, d’autre part, en rejetant les objections antiréalistes visant son épistémologie et sa métaphysique.
Stephan Freivogel (2018) – L'intérêt et l'intéressant dans les valeurs épistémiques et les valeurs esthétiques
Works of art are frequently called "interesting", and the wider grammar of interestingness - "mysterious", "complex", “enlightening”, etc. - is pervasive in contemporary writings about art. Contemporary art has intertwined itself with a form of philosophical discourse, self-reflexive and critical. Moreover, a tradition of philosophers, artists and art critics have, at least since the pre-Kantian development of aesthetics, repeatedly asserted the importance of the interesting for the work of art. For these reasons, it seems that the interesting, rather than, say, beauty, is the central value of art. But how should we understand this centrality thesis? And what is it to be interesting? From a broader perspective, the interesting, as well as its psychological counterpart interest, are relevant beyond and independently of aesthetical contexts. Today, interest is a hot topic both in contemporary epistemology and empirical psychology. The input from the corresponding literatures and further philosophical considerations coming from the philosophy of mind and metaphysics of value, help clarify the concept of the interesting and buttress a general view of the property of being interesting as the value of the potential for one’s cognitive improvement. These analyses provide a more solid ground for the further investigation into how the interesting is ascribed to art. The description of numerous art works shows how the category is diversely implicated in their structure, and how important art-critical notions can be traced back to it. This contributes to an understanding of the relation between interestingness and aesthetic value, and further illuminates the role interest has in the experience of art.
This work has been awarded with the Humbert Prize by the University of Geneva (2019).
On qualifie régulièrement l’art d’« intéressant », et le vocabulaire de l’intéressant – « mystérieux », « complexe », « illuminant », etc. – est aujourd’hui omniprésent dans le discours sur les œuvres. Par ailleurs, l’art contemporain s’est rapproché d’un discours philosophique, à la fois par l’auto-analyse et comme discipline critique. De plus, des philosophes, des artistes autant que des critiques d’art ont soulignés l’importance de l’intéressant pour l’œuvre, et ce depuis le développement pré-kantien de l’esthétique. Pour l’ensemble de ces raisons, on dira que l’intéressant, plutôt que par exemple le beau, est la valeur centrale de l’art. Mais comment interpréter cette thèse de centralité ? Et qu’est-ce qu’être intéressant ? Ce qui est intéressant, ainsi que sa contrepartie psychologique, l’intérêt, sont largement indépendants des contextes esthétiques. La recherche empirique sur l’intérêt autant que les débats actuels en épistémologie illustrent ce point. Leurs apports respectifs, ainsi que des considérations de la philosophie de l’esprit et de la métaphysique des valeurs contribuent à la clarification du concept de l’intéressant et dressent une conception de la propriété d’être intéressant comme étant la valeur du potentiel de l’amélioration cognitive. Ces bases ouvrent alors la voie à l’analyse de l’intéressant comme instanciée par l’œuvre d’art. La description d’œuvres met en évidence la multiplicité de l’intéressant en tant que catégorie esthétique, ainsi que la manière dont de nombreuses notions propres à l’analyse et la critique des œuvres d’art peuvent être ramenées à l’intéressant. L’ensemble de ces discussions contribuent à esquisser le rapport entre l’intéressant et la valeur esthétique, et de là suggèrent l’importance de l’intérêt dans l’expérience de l’œuvre d’art.
Ce travail a été récompensé par le Prix Humbert de l’Université de Genève (2019)
Magalie Schor (2018) – S’émouvoir d’une fiction
Our emotional engagement with works of fiction is a central topic within philosophical discussions in aesthetics. Ever since Colin Radford (1975) formulated the (in-)famous paradox of fiction, the question of how we can be moved by fictional entities which we know not to exist has given rise to a substantial literature on the topic. The trend has been to favour an aesthetic approach to the issue, but this approach nonetheless encounters two shortcomings. Firstly, the focus has almost exclusively been on our engagement with traditional forms of fiction (mostly novels and movies), neglecting the vast range of interactive fictions (videogames, role playing games). Secondly, research has concentrated on two classes of emotional responses to fiction (pity for fictional entities and fear for oneself), which leads to a dramatically incomplete picture of our emotional engagement with fiction.
The aim of this master thesis is to contribute to the debate by offering a thorough and rigorous descriptive and normative analysis of our emotional responses to fiction by drawing upon contemporary philosophical theories of emotions and avoiding the aforementioned shortcomings. The two main questions I address are the following: firstly, do emotions elicited by fiction differ significantly from ordinary emotions and, if so, how and why? Second, are these emotions irrational or otherwise epistemically inappropriate? In the process, I show how important it is to build a careful taxonomy of emotions elicited by fiction, and how this allows for a considerable enrichment of the debates surrounding our engagement with such works, in particular interactive ones. I argue that emotional responses to works of fiction do not significantly and systematically differ from emotional reactions to real-life situations. Additionally, I argue that fictional emotions are often rational and epistemically appropriate, and I provide detailed analyses of many concrete cases of different works of fiction.
La nature et la rationalité de notre engagement émotionnel avec les œuvres de fiction est un sujet qui est au cœur des discussions philosophiques en esthétique. Depuis le fameux article de Colin Radford (1975) la question de comment nous pouvons nous émouvoir envers des entités que l’on sait être simplement fictionnelles a donné naissance à une abondante littérature sur le sujet. Force est de constater que la tendance a été de favoriser une approche esthétique sur la question qui présente deux principaux défauts. Premièrement, les philosophes se concentrent presque toujours exclusivement sur notre engagement émotionnel avec les œuvres de fiction traditionnelles (romans, films), négligeant la vaste catégorie des fictions interactives (jeux vidéo, jeux de rôles). Deuxièmement, nos réponses émotionnelles aux œuvres de fiction sont le plus souvent distinguées en seulement deux catégories (les émotions du type pitié pour les personnages fictionnels et celles du type peur pour soi-même), ce qui conduit à un appauvrissement dramatique de la diversité de notre engagement émotionnel avec les œuvres de fiction.
Le but de ce mémoire est de contribuer à la discussion en offrant une analyse rigoureuse et approfondie, à la fois descriptive et normative, de nos réponses émotionnelles aux fictions, en puisant dans les théories philosophiques contemporaines des émotions et en palliant les défauts susmentionnés. Les deux questions fondamentales qui sont traitées sont les suivantes : premièrement, est-ce que les émotions suscitées par les œuvres de fiction diffèrent significativement et systématiquement de nos réponses émotionnelles ordinaires et, si oui, de quelle(s) manière(s) et pourquoi ? Deuxièmement, est-ce que ces émotions fictionnelles sont systématiquement irrationnelles ou autrement inappropriées épistémiquement ? Ce faisant, je montre l’importance de construire une taxonomie minutieuse des émotions suscitées par les fictions, et comment celle-ci enrichit considérablement les discussions portant sur notre engagement avec de telles œuvres, en particulier avec les fictions interactives. Je soutiendrai que les réponses émotionnelles aux œuvres de fiction ne sont pas systématiquement et significativement différentes de nos réactions aux situations de la vie réelle et que les premières sont le plus souvent aussi rationnelles et épistémiquement appropriées que les dernières. Je fournirai notamment à l’appui des analyses normatives détaillées de plusieurs cas concrets d’émotions suscitées par différentes œuvres de fiction spécifiques.
Maude Ouellette-Dube (2017) – The Importance of Emotions in Animal Ethics
Ever since it boomed in the 1970’s, the field of animal ethics has been especially dominated by two trends of ethical theories: utilitarianism and rights theory. These trends have been criticized, for instance, by ethics-of-Care theorists who think that the rationalist assumptions underlying these approaches are not only limiting, but also obscure a wide range of moral attitudes which are central to consider as we reflect on the ethical treatment of nonhuman animals. Among other things, ethics-of-Care theorists want to recognize a central role for emotions in animal ethics. At this stage of the debate in animal ethics, it seems that this suggestion has to be seriously considered. However, it threatens to remain unappealing as long as the role of emotions is not better specified and as long as emotions and empathy are not sharply distinguished.
This master thesis builds on recent literature in contemporary philosophy of emotions to argued that it is in virtue of their epistemic value that emotions have an important role to play in our moral lives generally, and in animal ethics more specifically. A broad account of the epistemic virtues of emotions is offered. The central suggestion is that emotions can contribute in various and important ways to our evaluation of moral situations and to moral judgments in virtue of their intricate relation with evaluative properties. In this case, paradigmatic moral emotions (i.e. compassion, indignation) are especially important because of their relation to paradigmatic moral evaluative properties (i.e. suffering, injustice). It is suggested that emotions can not only inform us with regards to the presence of such properties, but that they can, given proper conditions, allow one to gain evaluative knowledge and constitute a central component in gaining evaluative understanding. Furthermore, it is suggested that compassion, as opposed to empathy, is worth emphasizing in animal ethics because of this emotion’s potential to inform our evaluative outlook about the suffering of others. This work not only lends support to ideas developed by ethics-of-care theorists, but it also seeks to motivate the claim that emotions should be given a prominent place within our accounts of moral psychology for reasons which reach far beyond their motivational potential.
Depuis leurs débuts dans les années 1970, les débats en éthique animale ont été principalement dominés par deux types de théories éthiques : l’utilitarisme et la théorie du droit. Cette tendance est de plus en plus critiquée. Par exemple, les éthiques du Care suggèrent que l’approche rationaliste propre à ces deux approches est non seulement limitée, mais risque aussi d’obscurcir l’importance de plusieurs autres attitudes morales. Entre autres choses, les éthiques du Care proposent de reconnaître une place centrale pour les émotions en éthique animale. En considérant l’état des réflexions dans ce domaine, il semble que cette suggestion doit être prise au sérieux. Pourtant, elle risque de ne pas l’être tant et aussi longtemps que le rôle des émotions n’est pas mieux spécifié et tant que les émotions et l’empathie ne sont pas rigoureusement distinguées.
Ce travail de Master fait appel aux développements récents en théorie des émotions pour défendre l’idée que c’est en vertu de leur valeur épistémique que les émotions ont un rôle à jouer dans nos vies morales généralement, et au sein des questions propres à l’éthique animale plus spécifiquement. Les différentes vertus épistémiques des émotions sont discutées. La suggestion principale est que les émotions peuvent contribuer de façons variées et substantielles à notre évaluation des situations morales et à nos jugements moraux en raison de leur lien étroit avec les propriétés évaluatives. Dans ce cas, les émotions morales paradigmatiques (ex : compassion, indignation) sont particulièrement importantes en raison de leur lien avec des propriétés morales évaluatives paradigmatiques (ex : souffrance, injustice). Grâce à ce lien, les émotions peuvent non-seulement nous informer quant à la présence de telles propriétés, mais peuvent aussi permettre, sous certaines conditions, de gagner en connaissance évaluative et sont un élément important de la compréhension évaluative. Enfin, il est suggéré que l’émotion de la compassion, plutôt que l’empathie, devrait recevoir plus d’attention en éthique animale en raison du potentiel qu’a cette émotion de nous permettre de reconnaître la souffrance d’autrui et d’en mesurer l’importance. Ce travail a deux visées plus générales. La première est de soutenir et d’approfondir certaines idées défendues par les éthiques du Care. La deuxième est de reconnaître que si les émotions gagnent à être reconnues au sein des théories de psychologie morale, alors ce sera en raison de leur valeur épistémique, au-delà de leur valeur motivationnelle.
Antoine Rebourg (2017) – The Unity of Consciousness
At any given time of our conscious life, we find ourselves in a plurality of conscious mental states of various kinds: we see, hear, smell, think, want and feel things, and each of these experiences bear a certain phenomenal quality. In this work, I attempt to clarify and defend the idea that these various experiences are phenomenally unified into a single, encompassing experience.
My discussion divides into three stages. In the first stage (Chapters 2-4), I present and assess two dominant accounts of the phenomenal unity thesis. The first, endorsed by Bayne (2010) and Dainton (2006), posits a relation of co-consciousness that binds each of a subject’s experiences together; the second, Tye’s (2003) ‘One-experience’ account, reduces phenomenal unity to the unity of our experiences’ representational content.
I raise a few objections to these accounts. Notably, I argue that Bayne’s and Dainton’s respective view sheds too little light on the nature of our mental states’ phenomenal unity, and that their mereological approach run into both a form of Russell’s Paradox and a regress of co-consciousness relations; as for Tye’s view, I contend that it fall shorts of accounting for the apparent heterogeneity of the contents and modes of our experiences.
In the second stage (Chapters 5-6), I defend a self-representational account that conciliates a representational conception of consciousness with the long-standing idea, which dates back to the phenomenological tradition and was recently forcefully brought back into fashion (by e.g. Zahavi 2006, and Kriegel 2005, 2007), that consciousness essentially bears a subjective character: for my mental state to be conscious is for it to represents itself as being mine. This allows me to put forward an account of phenomenal unity according to which our various experiences are phenomenally unified, at any given time, in virtue of being the conjoint objects of a single act of self-awareness. I then enhance this proposal with the claim that this unity is normatively constrained.
In the third and concluding stage of my work (Chapter 7), I derive from my self-representational account an interpretation of what is experienced by so-called ‘split-brain’ patients, subjects who suffer lesions in their corpus callosum and appear, as a result, to undergo phenomenally disjointed experiences under certain experimental conditions. I argue, roughly, that the empirical data do not threaten the idea that split-brains enjoy a single, phenomenally unified stream of consciousness.
A n’importe quel instant de notre vie consciente, nous nous trouvons dans de nombreux états mentaux conscients de diverses sortes : nous voyons, entendons, sentons, pensons, voulons et ressentons des choses, et ces expériences ont une certaine qualité phénoménale. Dans ce travail, je m’attèle à clarifier et défendre l’idée que ces nombreuses expériences sont phénoménalement unifiées en une expérience unique et englobante.
Ma discussion est divisée en trois temps. Dans un premier temps (Chapitres 2-4), je présente et évalue deux défenses majeures de la thèse de l’unité phénoménale. La première, proposée par Bayne (2010) et Dainton (2006), postule une relation de co-conscience qui lie les expériences d’un sujet les unes aux autres ; la seconde, la théorie de l’ « Expérience unique » de Tye (2003), réduit l’unité phénoménale de nos expériences à l’unité de leur contenu représentationnel.
Je soulève certaines objections au sujet de ces théories. Notamment, je fais valoir que celle de Bayne et Dainton ne nous éclaire pas suffisamment quant à la nature de l’unité phénoménale, et qu’elle implique non seulement une forme de Paradoxe de Russell mais une régression de relations de co-conscience ; quant à la position de Tye, j’argue qu’elle manque de rendre compte de l’apparente hétérogénéité des modes et contenus de nos expériences.
Dans un second temps (Chapitres 5-6), je défends une théorie sui-représentationnelle qui concilie une conception représentationnelle de la conscience avec l’idée, qui remonte à la tradition phénoménologique et fut récemment remise au goût du jour avec force (notamment par Zahavi 2006 et Kriegel 2005, 2007), selon laquelle la conscience a un caractère essentiellement subjectif : mon état mental est conscient en vertu du fait qu’il se représente comme étant le mien. Cette théorie me permet de développer une théorie de l’unité phénoménale d’après laquelle nos nombreuses expériences sont phénoménalement unifiées en vertu du fait qu’elles font conjointement l’objet de notre conscience de soi. Je soumets ensuite que cette unité est normativement contrainte.
Dans un troisième et dernier temps (Chapitre 7), je dérive de ma théorie sui-représentationnelle une interprétation de l’expérience phénoménale des fameux patients « split-brain », ces sujets dont le corps calleux est endommagé et qui, conséquemment, paraissent avoir des expériences phénoménalement désunifiées dans certaines conditions expérimentales. J’argue que les données empiriques à ce sujet ne menacent pas l’idée que les sujets « split-brain » ont un flot de conscience unique, et unifié.
Steve Humbert-Droz (2015) – Les unités organiques dans les jugements esthétiques
In order to explain our judgments that works of art or artefacts similar to works of art (such as Christmas trees, children drawings,…) have either a negative aesthetic value despite the positive value of all (or some of) their parts, or a positive aesthetic value in virtue of the negative value of all (or some of) their parts, I argue for an organic unity account (Moore 1903; 1922; Hurka 1998; Brown 2007) inspired by the Gestaltist tradition (e.g. Ingarden 1945; 1963; Kuhns 1960, Dufrenne 1966).
In aesthetics, more than in other domains, it seems obvious that simply summing the values of all the parts of an artwork leads to absurdities (see e.g. Lemos 2009). But the important question revealed by this truism is not sufficiently discussed in the literature. How can a Christmas tree be intrinsically ugly, when all the Christmas baubles on it are intrinsically beautiful? How can Waiting For Godot be considered a masterpiece, since it is written in a poor vocabulary, is repetitive, features characters whose psychology is inconsistent, and lacks a straight end ?
In this dissertation, I argue first that works of art and lookalike artifacts (i.e. artistic expressions) are unified by the type of intention we can attribute to the author (Levinson 1996; Livingston 2005). Second, considering the mereological phenomena described above, I reject the so-called “particularism” in aesthetics as a satisfaing explanation - a thesis according to which the value of each part varies as a function of the context or the genre of an artwork (eg. Isenberg 1949; Sibley 1959; Dancy 1999; McKeever & Ridge 2011; Livingston 2009). On this backdrop, I defend an holist and organicist account inspired by Roman Ingarden, according to whom 1) the value of the parts of an artwork (or an artistic expression) does not vary with the context, and 2) the difference between the value of the parts and the value of the whole is due to the success (or the failure) of vehiculing the unifying intention.
Pour expliquer les cas où nous jugeons qu'une oeuvre d'art ou qu'un artefact similaire à une oeuvre d'art (tel que les sapins de Noël, les dessins d’enfants, etc.) possède soit une valeur esthétique intrinsèque négative malgré la valeur positive de toutes (ou de la plupart) de ses parties, soit une valeur esthétique intrinsèque positive en vertu de la valeur négative de toutes (ou de la plupart) de ses parties, j'avance une thèse organisicste (Moore 1903; 1922; Hurka 1998; Brown 2007) inspirée de la tradition gestaltiste (ex. Ingarden 1945; 1963; Kuhns 1960; Dufrenne 1966).
Il semble évident en esthétique, plus que dans tout autre domaines, que la simple sommation des valeurs des parties d'une oeuvre mène à des absurdités (voir, par ex., Lemos 2009). Mais, pourquoi un sapin de Noël, dont chaque boule qui le compose est intrisèquement jolie, peut-il apparaitre comme intrinsèquement affreux? Et comment En attendant Godot écrit dans un vocabulaire bas, comportant des dialogues répétitifs, des personnages psychologiquement inconsistants et dont l'histoire ne se termine même pas complétement peut-il être considéré comme un chef-d'oeuvre?
Dans cette dissertation, j’avance, dans un premier temps, que les œuvres d’art et les artefacts qui leur ressemblent (i.e. expressions artistiques) sont unifiés par le type d’intention que l’on peut attribuer à leur auteur (Levinson 1996; Livingston 2005). Dans un second temps, considérant le phénomène méréologique étrange cité ci-dessus, je rejette le particularisme esthétique comme explication viable - soit la thèse selon lequel la valeur des parties varient en fonction du contexte ou du genre d'une oeuvre (ex. Isenberg 1949; Sibley 1956; Dancy 1999; McKeever & Ridge 2011; Livingston 2009). Je propose enfin une lecture holiste et organiciste inspirée de Roman Ingarden selon lequel 1) la valeur des parties d’une œuvre ou d’une expression sont invariables selon le contexte et 2) la différence entre la valeur des parties et la valeur du tout est due à la réussite (ou non) de la conduite de l’intention esthétique unificatrice.
Constant Bonard (2014) – What is a Musical Genre and What is its Use?
The main claim of this essay is that a musical genre consists in a socially attributed status, a status which endows the musical pieces belonging to the genre novel functions and constraints. The genre attribution thus allows the pieces to play a different role. In other words, the fact that a piece belongs to a genre gives it a socially dependent power. Musical genres are thus comparable to wedding or citizenship – the latter also are socially attributed status (to people instead of musical pieces) which endow them with new functions and constraints. I focus on the aesthetic functions and constraints that musical genres bring about. I argue that the genre in which we classify a piece strongly determines the aesthetic properties which we will attribute to the piece.
After a general introduction, the main claim is defended through a discussion of three related philosophical problems: (1) the ontology of artistic genres and its aesthetic significance (esp. Goodman, Ingarden, Levinson, Gracyk, Kania, Pouivet). (2) The importance of artistic intentions in the creation of works of art (esp. Walton, Livingston, Iseminger, Carroll, Levinson) and thus their importance in determining musical genres. (3) The ontology of social objects (esp. Searle and Thomasson) and thus the importance of the audience in the existence of musical genres. In the conclusion, I give a definition of musical genre which takes into account the points discussed.
La thèse principale de cet essai est qu’un genre musical consiste en un statut attribué socialement, un statut qui donne aux pièces appartenant à ce genre de nouvelles fonctions et contraintes. L’attribution du genre permet ainsi à ces pièces de jouer un rôle différent. En d’autres termes, le fait qu’une pièce appartient à un genre lui donne un certain pouvoir, un pouvoir qui dépend d’une attribution sociale. Les genres musicaux sont ainsi comparables au mariage ou à la citoyenneté – ces derniers étant également des statuts conférés socialement (à des personnes plutôt qu’à des pièces de musiques) qui leur donnent des fonctions et des contraintes nouvelles. Je me concentre en particulier sur les fonctions et les contraintes esthétiques que les genres musicaux permettent. Je défends que le genre dans lequel une pièce est classifiée détermine fortement les propriétés esthétiques attribuées à la pièce.
Après une introduction générale, la thèse principale est soutenue à travers la discussion et la mise en relation de trois problèmes philosophiques : (1) l’ontologie des genres artistiques et son importance pour l’esthétique (surtout chez Goodman, Ingarden, Levinson, Gracyk, Kania, et Pouivet). (2) L’importance des intentions artistiques dans la création des œuvres d’art (surtout chez Walton, Livingston, Iseminger, Carroll, et Levinson) et ainsi dans la détermination des genres musicaux. (3) L’ontologie des objets sociaux (surtout chez Searle et Thomasson) et ainsi l’importance du public dans la détermination des genres musicaux. Dans la conclusion, je donne une définition des genres musicaux qui prend en compte les points discutés.