Journal n°71

"C'est un moyen efficace et novateur de diffuser le savoir"

Pour Christian Pellegrini, la science participative sur le Web constitue un formidable levier pour intéresser le public aux questions scientifiques et tisser de nouveaux liens entre chercheurs et citoyens. Entretien

En quoi la science citoyenne sur le Web change-t-elle le rapport entre science et société?
Christian Pellegrini:
Les participants ont le sentiment, justifié, de jouer un rôle actif dans une expérience scientifique. Cela éveille leur curiosité. L’application que nous avons développée dans le cadre du Citizen Cyberscience Center avec le CERN, LHC@home, est passée à l’étape 2.0 et nous le constatons tous les jours ou presque: les volontaires participent maintenant au dépouillement des résultats. Non seulement ils contribuent en mettant à disposition du temps libre sur leurs ordinateurs, mais ils posent des questions et veulent en savoir plus sur la physique des particules. C’est donc un moyen très efficace et novateur de diffuser le savoir auprès du public.

L’impulsion vient-elle toujours des chercheurs en quête de «petites mains» ou est-ce que des citoyens initient eux-mêmes des projets?
En Angleterre, des riverains de l’aéroport de London City, fatigués par le bruit des avions, voulaient démontrer que le niveau sonore était bien plus élevé que ce qu’affirmaient les autorités. Ils ont donc organisé un monitoring. Pour cela, ils se sont adressés à des scientifiques d’une université londonienne qui les ont aidés à mettre en place une application. Grâce à des capteurs branchés sur les téléphones portables, les participants ont eu la possibilité d’enregistrer le niveau de décibels et de l’envoyer sur une base de données. Comme les téléphones sont équipés d’un GPS et d’une horloge, on savait où et à quelle heure l’enregistrement avait été effectué, et on a donc pu lier ces résultats avec le passage des avions.

Connaît-on le profil des volontaires?
Pas vraiment, hormis le fait que l’information circule beaucoup par le biais de communautés qui échangent par blog. Mais on en saura peut-être davantage grâce à un projet européen visant précisément à connaître le profil des acteurs du «crowdsourcing» (lire article). Ce projet a été sélectionné en octobre dernier et inclut des chercheurs de groupe TECFA à l’UNIGE. Ce qui est sûr, c’est que l’on assiste à une forme d’émulation.

Et pourtant les participants n’ont rien à gagner…
Ils tirent vraisemblablement une certaine satisfaction à participer à des projets scientifiques. Par ailleurs, les concepteurs des applications y ajoutent souvent une touche ludique. Foldit, le site consacré au repliement des protéines, a exploité à fond cette approche. L’application est disponible sous forme de jeu vidéo. Résultats, des jeunes entre 12 et 16 ans, les plus agiles à ce genre d’exercices, deviennent parfois à leur insu des virtuoses du repliement. En 2011, la revue Nature a d’ailleurs annoncé que des accros aux jeux vidéo avaient réussi l’exploit de remodeler en trois dimensions la structure d’une enzyme présente dans un virus s’apparentant au sida chez le singe, ce que les scientifiques n’avaient pas réussi à obtenir en quinze ans de dur labeur.

Ce genre d’application est-il réservé à des tâches en sciences naturelles?
Absolument pas. Un chercheur de l’Université de Cape-Town en Afrique du Sud a mis au point un alphabet électronique permettant de transcrire les travaux d’un ethnologue qui avait compilé, dans une langue inventée par ses soins, les récits oraux des Boshimans. Les volontaires sont invités à saisir le texte de l’ethnologue par le biais de cet alphabet. C’est la culture d’un peuple qui est ainsi sauvée de l’oubli.

Comment voyez-vous le développement de cette science citoyenne?
Difficile de faire des prédictions. Mais je suis convaincu qu’il s’agit d’un courant profond, qui va gagner en importance. Les chercheurs qui ne prendront pas en compte cette dimension passeront à côté de formidables opportunités. Et qui sait, dans quelques années, le nombre de volontaires potentiels fera peut-être partie des critères pour obtenir le financement d’un projet de recherche.


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