Journal n°96

«Il n’y a pas de vide juridique en tant que tel sur Internet»

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Comment construire une société de l’information pour tous? L’UNIGE rejoint le comité de pilotage de la Geneva Internet Platform grâce à son expertise scientifique dans le domaine

Réduire les inégalités d’accès à l’information, organiser et réguler Internet, élaborer et appliquer des principes pour réglementer l’usage de la Toile: loin de concerner le seul domaine de la technologie, ces questions touchent désormais la société tout entière. Les autorités fédérales, par le biais du Département fédéral des affaires étrangères et l’Office fédéral de la communication, ont décidé de prendre la problématique à bras-le-corps, en créant la Geneva Internet Platform (GIP), un organisme qui pourra profiter du positionnement privilégié de Genève dans le domaine.

Spécialiste du droit de la propriété intellectuelle, du droit de l’Internet et des nouvelles technologies, le professeur Jacques de Werra (Faculté de droit) représentera l’UNIGE au sein du comité de pilotage de la GIP. Il a lancé cet été la première édition d’une Summer School «Internet Law» et animera, le 6 novembre, le premier événement mis sur pied dans le cadre de cette collaboration, «Jurisdiction in the Internet era». Entretien.

Pourquoi l’UNIGE a-t-elle rejoint la Geneva Internet Platform?
Jacques de Werra
: Un nombre important d’organisations internationales décidant des politiques mondiales liées à Internet sont localisées à Genève. Le canton a donc une carte à jouer dans ce domaine. L’UNIGE peut contribuer à cette réflexion globale grâce aux recherches qu’elle mène déjà. Son expertise scientifique est large et très variée, notamment sur le plan juridique, social, environnemental ou encore technique.

Est-ce que certaines facultés sont plus impliquées que d’autres?
Non, elles sont toutes concernées par la problématique de l’Internet. A titre d’exemple, on peut citer la Faculté de médecine, avec le groupe du professeur Antoine Geissbuhler qui travaille en partenariat avec l’OMS sur les questions de cybersanté, ou l’Institut des sciences de l’environnement, avec les travaux du professeur Anthony Lehmann sur le partage en ligne des données environnementales.

Concrètement, quel genre de problématiques pourront être débattues au sein de la GIP?
Le droit à l’oubli numérique par exemple. Peut-on demander à Google de supprimer des données? Dans son arrêt du 13 mai dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé que Goole était responsable du traitement des données personnelles apparaissant sur ses pages. Les particuliers peuvent obtenir la suppression de certains liens en s’adressant directement à l’exploitant. Il revient ainsi à Google de mettre en œuvre la décision. On voit apparaître là une micro-justice, sous forme privatisée. Comment contrôler cette mise en œuvre? C’est un débat stratégique.

Assiste-t-on à un recul du droit dans l’univers numérique?
Contrairement à ce que l’on entend souvent, il n’y a pas de vide juridique en tant que tel sur Internet. Les règles existent déjà. Ce sont les mêmes qui s’appliquent dans l’espace «off-line». Il est cependant nécessaire de réfléchir à la meilleure manière d’appliquer le droit dans cet espace. Les conflits sont en effet globaux et le nombre de personnes concernées atteint des proportions que l’on rencontre peu dans le monde physique. Facebook possède plus d’un milliard d’utilisateurs. Quelle entreprise peut se targuer d’avoir un si grand nombre de clients?

Peut-on imaginer que les débats au sein de la GIP aboutissent un jour à un accord international?
Des conventions autour de l’Internet existent déjà, dont certaines ont été élaborées à Genève. Mais avant d’arriver à cette étape, d’autres mécanismes de régulation peuvent être mis sur pied. Pour la GIP, il pourra s’agir d’effectuer un état des lieux, puis d’émettre des propositions sous forme de lignes directrices, de recueils de principes généraux qui pourraient être adoptés volontairement, par exemple sur des questions comme le contrôle des données, la protection des droits d’auteur ou sur la légitimité d’un tribunal à régler les litiges.

A l’image de la Chine, va-t-on vers une censure du Web, y compris dans les démocraties?
De plus en plus de revendications et de projets scientifiques visent à la transparence du Web. On assiste à une prise de conscience du risque de censure. La question est à nouveau de savoir qui peut décider. En soi, le droit à l’oubli est aussi une forme de censure. Ce sera au GIP de contribuer à cette réflexion.