30 avril 2020

 

«Notre antiviral neutralise le SARS-CoV-2 en laboratoire»

 

L’équipe de la professeure Caroline Tapparel Vu a développé un antiviral à large spectre basé sur une molécule de sucre modifiée qui s’est avérée capable de neutraliser, en laboratoire, le coronavirus SARS-CoV-2. C’est un succès d’étape très important. Mais il faudra encore quelques années avant de pouvoir disposer d’un vrai médicament

 

Fin janvier, alors que le SARS-CoV-2 commence à envahir le monde, Caroline Tapparel Vu, professeure au Département de microbiologie et médecine moléculaire (Faculté de médecine), publie un article dans la revue Science Advances sur une molécule de sucre modifiée capable de se lier à une très large gamme de virus (herpès, virus respiratoire syncytial, Ébola, dengue, Zika et probablement aussi plusieurs coronavirus) et de les détruire. Difficile de trouver un timing plus efficace, quoique parfaitement involontaire. Ayant reporté toute son attention sur le nouveau virus venu de Chine responsable de la pandémie actuelle, l’équipe de la chercheuse genevoise fait partie de celles, peu nombreuses, qui ont pu poursuivre leurs travaux malgré la fermeture des bâtiments de l’Université de Genève depuis le 16 mars. Interview.

 

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eJournal: L’antiviral que vous avez développé est-il efficace contre le SARS-CoV-2?
Caroline Tapparel Vu: Oui. Dès que nous avons pu, nous avons envoyé notre molécule à Ronald Dijkman, professeur à l’Institut de virologie et d’immunologie de la Faculté vétérinaire de l’Université de Berne, qui est parmi les premiers en Suisse à avoir reçu des souches de SARS-CoV-2 sauvages venues de Chine. Il travaille depuis des années sur les coronavirus et dispose de tout l’équipement nécessaire. Son équipe a donc testé notre antiviral et a confirmé les résultats lors de deux expériences indépendantes. Dans des conditions in vitro, sur des cellules en culture, notre molécule neutralise le SARS-CoV-2.

Pourquoi n’avez-vous pas réalisé ces recherches à Genève?
Nous n’avons pas de laboratoire de niveau de sécurité biologique 3 (BSL 3) à l’Université de Genève. Sans un tel équipement, qui assure la sécurité des chercheurs et des chercheuses ainsi que de l’environnement face à des substances dangereuses, nous n’avons pas le droit de travailler avec le virus sauvage. Pour être précis, la Faculté de médecine de l’UNIGE dispose d’un laboratoire BSL 2+ mais il n’est pas adapté aux virus respiratoires, qui demandent des mesures beaucoup plus strictes. Cela dit, nous sommes en train de le mettre à niveau.

Sur quoi avez-vous travaillé à Genève?
Nous avons réussi à confirmer les résultats de Berne en utilisant des virus «défectueux». Leur surface ressemble étroitement à celle du SARS-CoV-2 (ils proviennent d’ailleurs d’une souche très proche de celle utilisée par Ronald Dijkman) mais l’intérieur est modifié. Ces virus, dits pseudotypes, ont perdu la capacité de sortir des cellules qu’ils ont infectées pour se propager et se multiplier davantage, ce qui nous permet de travailler dans un environnement de sécurité biologique de niveau 2 seulement. Avec ce type de matériel, on peut étudier l’entrée du virus dans la cellule, ce qui est justement la cible de notre antiviral.

Comment fonctionne votre antiviral?
Il mime une molécule de surface (le sulfate d’héparane, en l’occurrence) des cellules humaines qui sert de première attache à un très grand nombre de virus différents. Ces derniers s’accrochent à notre molécule, ce qui bloque le passage dans les cellules. Mais ce n’est pas tout. L’antiviral possède une structure chimique telle qu’en s’attachant au virus, il le déforme et le détruit. Au début, nous avons commencé par greffer les chaînes mimant les héparanes sulfates (les leurres pour le virus en quelque sorte) sur des nanoparticules d’or. Ensuite, nous avons remplacé l’or par de la cyclodextrine, une molécule de sucre, beaucoup plus biocompatible. L’article paru en janvier 2020 montre que cette deuxième version de notre antiviral est efficace contre une série de virus différents dans des cellules en culture. Nous l’avons également testé avec succès contre le virus respiratoire syncytial et le virus herpétique de type 2 chez la souris. Nous avons en parallèle développé un deuxième antiviral virucide à base de cyclodextrine qui cible un autre récepteur d’attachement, l’acide sialique, utilisé également par de nombreux virus dont celui de la grippe et certains coronavirus (le MERS, par exemple). Nous prévoyons aussi de tester l’activité de ce deuxième antiviral à large spectre contre les différents coronavirus.

Pourquoi cherchez-vous à cibler plusieurs virus différents?
Il n’existe pas aujourd’hui de médicament virucide à large spectre sur le marché. En général, les substances qui ont un tel effet sont toxiques pour l’être humain. Un traitement tel que celui que nous cherchons à développer permettrait non seulement de lutter contre des maladies virales existantes mais aussi d’avoir à disposition une arme efficace contre des maladies émergentes comme nous en avons connues régulièrement ces dernières décennies.

La pandémie de Covid-19 est donc venue un peu trop tôt...
C’est vrai mais la bonne nouvelle, c’est que le SARS-CoV-2 est lui aussi sensible à notre antiviral. Cela dit, le chemin est encore très long avant d’oser affirmer que nous disposons d’un médicament sûr et efficace pour l’être humain. Nous avons pour l’instant montré que notre molécule est capable d’empêcher l’entrée du virus dans les cellules. Mais nous devons aussi révéler sa faculté à l’inactiver de manière irréversible et à le détruire, ce qui est essentiel du point de vue d’un futur traitement. Pour vérifier cela, nous devons monter une expérience assez sophistiquée qui exige, là aussi, un environnement sécurisé de type BSL 3 puisque nous allons travailler sur le virus sauvage.

Où allez-vous faire ça?
J’ai la chance de bénéficier de l’hospitalité de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) car je travaille depuis plusieurs années avec Francesco Stellacci, professeur à la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur de l’EPFL [il a notamment collaboré à tous les travaux sur les antiviraux cités dans cet article, ndlr]. Jusque-là, le laboratoire BSL 3 était utilisé pour des études sur la tuberculose mais grâce au soutien de Gisou van der Goot, la doyenne de la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL, il a été adapté pour la virologie afin que nous puissions y travailler.

Où vous êtes-vous procuré le virus?
Nous utilisons une souche de virus qui a été isolée par le Centre des virus émergents des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) à partir d’échantillons respiratoires prélevés sur des patients genevois infectés. Les échantillons ont été transférés à l’EPFL par un transporteur accrédité pour les produits hautement dangereux. Et, depuis hier [lundi 27 avril, ndlr], Valeria Cagno, maître-assistante dans mon laboratoire, réalise les premières inoculations pour confectionner des stocks. C’est une opération qui prend quelques jours. Après, nous pourrons commencer à tester nos antiviraux. Nous ne sommes d’ailleurs pas tout seuls. Une longue liste de collègues de l’UNIGE et de l’EPFL se sont adressés à nous pour tester leurs propres substances à potentiel antiviral contre le SARS-CoV-2. Nous avons donc beaucoup de pain sur la planche.

Et quand passerez-vous à des tests sur l’homme?
Il nous faudra d’abord confirmer l’action de notre antiviral sur des tissus respiratoires puis dans des modèles animaux, sans doute le hamster, qui a l’air d’être un très bon modèle pour étudier le SARS-CoV-2. Ensuite seulement, nous commencerons le processus de validation proprement dit. Comme il s’agit d’une molécule modifiée, donc nouvelle, il nous faudra d’abord mesurer la toxicité du produit chez deux espèces animales avant de faire de même chez l’humain. Dans le meilleur des cas, si l’efficacité contre le SARS-CoV-2 et l’absence de toxicité sont confirmées dans des modèles animaux, on pourra réaliser les premiers tests de toxicité chez des volontaires sains d’ici à deux ans et les tests d’efficacité chez des patientes et des patients d’ici à quatre ans.

D’ici là, l’épisode du coronavirus pourrait bien être de l’histoire ancienne…
Peut-être, mais si les résultats sont à la hauteur de nos espoirs, nous aurons alors à disposition une arme très utile, efficace à large spectre, qui peut être utilisée contre les épidémies actuelles, comme celle du virus respiratoire syncytial ou même du Covid-19 si l’on n’arrive pas à s’en débarrasser, mais aussi contre les nouvelles qui ne manqueront pas d’apparaître. Et cette fois-ci, nous serons prêts. Le meilleur traitement contre un virus reste le vaccin mais il n’en existe pas à large spectre. Et lors de l’émergence d’un nouveau virus, lorsque le vaccin fera défaut, notre antiviral pourra servir de médicament de prévention auprès des groupes à risque mais aussi de traitement auprès des malades en freinant la réplication virale. Cela réduirait la propagation du virus dans la population humaine et donnerait plus de temps pour le développement d’un vaccin efficace.

 

 

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