Publié le 28 mai 2020

 

Les masques tombent: ils n’ont pas toujours été jetables

 

«Un masque peut être lavé à plusieurs reprises et utilisé indéfiniment.» Cette phrase ne s’applique certes pas aux objets de papier bleus actuels qui, en ces temps de Covid-19, ornent les visages des passants et parsèment les trottoirs, jetés après un unique usage. Non, ce constat, établi par des chercheurs en médecine, date d’il y a plus de cent ans, comme le rappelle un article de Bruno Strasser, professeur à la Section de biologie (Faculté des sciences), et Thomas Schlich, de l’Université de McGill à Montréal, paru le 23 mai dans la revue The Lancet. Au début du siècle passé, le masque lavable et réutilisable est encore la norme. Avant que la culture de la consommation et du gaspillage ne le remplace progressivement dès les années 1960 par son équivalent jetable, réputé plus hygiénique. Retour sur un carré de tissu conçu pour sauver des vies mais qui, à cause d’une pénurie au plus fort de l’épidémie de Covid-19, est devenu paradoxalement le symbole de la fragilité d’une médecine moderne en proie aux dérives de la globalisation.

 

Le port du masque pour les patient-es et le personnel médical fait son apparition

Le port du masque commence à être recommandé par certain-es médecins au XIXe siècle, peu après la description des premiers microbes par Louis Pasteur. «Mais c’est principalement durant la peste mandchoue de 1910-1911 et la pandémie de grippe espagnole de 1918-1919 que le masque facial pour couvrir la bouche et le nez (et la barbe) devient un moyen de protéger non seulement les patientes et les patients mais aussi les professionnelles et les professionnels de la santé contre les maladies infectieuses à l’extérieur de la salle d’opération», précisent les auteurs. À cette époque, des études comparatives permettent de démontrer que ces objets, dont la plupart sont constitués de plusieurs couches de gaze en coton additionnées d’une matière imperméable et d’une armature en métal, sont efficaces pour arrêter les germes.

 

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Employé d’une entreprise de nettoyage dans un marché de Mexico. 23 mai 2020. A. Estrella/AFP

 

Les premiers masques jetables apparaissent dans les années 1930. Plus légers, fabriqués en matière synthétique, ils font l’objet de publicités appuyées dans les journaux spécialisés. Contrairement aux masques traditionnels, ils s’ajustent mieux au visage et filtrent aussi bien l’air à l’inspiration qu’à l’expiration. Leur promotion s’inscrit dans un mouvement plus large, celui d’un système médical du «tout jetable», incluant seringues, aiguilles, plateaux et instruments chirurgicaux. Dans les faits, ces masques à usage unique permettent surtout de réduire les coûts de fabrication et de faciliter la gestion des fournitures. Et il n’est plus nécessaire de les stériliser, une opération assez fastidieuse.

 

La culture du gaspillage appliquée aux dispositifs de santé

Des études, financées par l’industrie, concluent sans surprise à la supériorité des masques jetables. Le plus souvent, les masques réutilisables sont carrément omis des recherches comparatives. En 1975, l’une des dernières études à en inclure constate que le masque réutilisable de fabrication industrielle, en mousseline de coton à quatre plis, est supérieur à ceux en papier jetables. Il semblerait que le lavage pourrait augmenter leur efficacité à filtrer les bactéries en resserrant leurs fibres.

Bruno Strasser et Thomas Schlich admettent que les masques jetables resteront des éléments essentiels de l’équipement médical, certains d’entre eux possédant des qualités de filtration spécifiques. Mais, pour éviter une pénurie de masques lors de la prochaine pandémie, ils suggèrent néanmoins d’aller au-delà de la création de stocks importants de masques jetables et de considérer les risques que fait courir la culture de la consommation et du gaspillage lorsqu’elle s’applique aux dispositifs permettant de sauver des vies.