15 mai 2025 - Alexandra Charvet

 

Événements

Dans les coulisses du corps humain

La nouvelle exposition du Musée d’histoire des sciences embarque le public dans un voyage au cœur de l’anatomie humaine. Conçue dans le prolongement d’un projet de recherche de la Faculté de médecine, elle a également bénéficié de l’expertise en sciences morphologiques de plusieurs de ses membres.

 

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Modèles anatomiques en cire, staff et bois. Jules Talrich, Paris, vers 1866. Collections MHNG.
Image: Ph. Wagneur/Muséum Genève

 

Voir à l’intérieur du corps pour en comprendre le fonctionnement: une quête ancienne qui remonte à l’Antiquité. À Genève, il faut attendre la création de la Faculté de médecine en 1876 pour voir émerger des outils d’enseignement tels que des moulages et des modèles anatomiques. Conçues à des fins pédagogiques, certaines de ces pièces sont devenues des objets de collection que la nouvelle exposition du Musée d’histoire des sciences (MHS) permet de découvrir jusqu’en avril 2026.

Quatre impressionnants écorchés humains plus vrais que nature accueillent les visiteurs et visiteuses qui sont immédiatement plongés dans l’anatomie du XIXe siècle à travers une sélection de modèles en cire, en plâtre ou en papier mâché, de moulages et de planches anatomiques. Le voyage se poursuit par l’exploration microscopique de la structure des organes et s’achève avec les outils numériques actuels permettant d’étudier le corps humain.

 

Des témoins d’un autre temps
L’exposition trouve son origine dans un enseignement portant sur l’histoire de la syphilis dont une séance était consacrée à une collection exceptionnelle de moulages en cire conservée au MHS. «Au début du XXe siècle, ces moulages permettaient de classifier les pathologies dermatologiques, raconte l’historien Alexandre Wenger, professeur à l’Institut Éthique, Histoire, Humanités (IEH2) et responsable du projet de recherche ‟Neverending Infectious diseases″. Chancres, pustules et autres lésions de patients malades étaient ainsi recouverts de plâtre afin de produire un moule en négatif qui était ensuite empli de cire, avec pour résultat des collections assez spectaculaires.»

Cette technique de moulage, apparue dans la seconde moitié du XIXe siècle, connaît un essor au début du XXe siècle avant d’être progressivement abandonnée au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, avec l’arrivée d’autres possibilités d’imagerie médicale, en particulier la radiographie ou les techniques d’enregistrement du corps comme l’électroencéphalographie ou l’électrocardiographie et l’avènement de nouveaux supports d’enseignement, tels que les modèles en plastique ou encore les atlas photographiques, plus faciles à reproduire et à partager.

Ultra-réalistes, ces moulages étaient principalement utilisés pour l’enseignement. «Il s’agissait d’un travail artisanal absolument phénoménal, précise Alexandre Wenger. Outre l’aspect pédagogique, c’était aussi une façon pour une Faculté de médecine du début du XXe siècle de briller avec des pièces d’exception.» Afin de rendre accessibles ces objets emblématiques de l’histoire de la médecine, un site web a été mis sur pied par l’IEH2 dans le cadre d’un projet de restauration et de numérisation 3D. Ainsi, médecins et chercheurs/euses n’ont plus besoin de venir dans les collections du Musée pour observer ou manipuler ces pièces originales devenues fragiles. Dans l’exposition, c’est le masque d’un-e syphilitique qui a été choisi pour présenter la collection.

 

«L’une des principales raisons d’être de cette exposition, c’est justement l’existence de cette collection exceptionnelle de cires dermatologiques, souligne Laurence-Isaline Stahl Gretsch, responsable du MHS. Ces moulages sont d’un tel réalisme que l’on perçoit très vite non plus l’objet, mais le malade lui-même. La question s’est donc posée: notre collection est montrable, mais est-elle vraiment exposable ? Nous avons pris le temps de réfléchir à la meilleure manière de présenter ces pièces.»

 

L’anatomie à l’ère du numérique
Après une seconde salle dédiée à l’histologie et à l’observation au microscope, le parcours s’achève sur les outils pédagogiques d’aujourd’hui: modélisation numérique, impression 3D et applications interactives. Le/la visiteur/euse pourra ainsi manipuler un cœur grandeur nature, dont la texture se rapproche au plus près de la réalité, ou encore tenter de reconstruire une vertèbre à partir de pièces détachées. «Avec ces modèles imprimés, il s’agit de mettre à disposition des artefacts physiques que les étudiant-es peuvent manipuler plus facilement que les organes formolés, toxiques et disponibles en nombre limité», précise Christophe Lamy, chargé d’enseignement à l’Unité d’anatomie. Le chercheur est notamment à l’origine de l’application SketchNote 3D sur laquelle on peut visualiser les modèles numériques tridimensionnels des organes, employée pour présenter les spécimens anatomiques utilisés lors des travaux pratiques (lire «Des modèles 3D pour faire évoluer l’enseignement», Le Journal de l’UNIGE, 2 juin 2022).

 


Modèle numérique tridimensionnel du cœur, SketchNote 3D.

 

Alors que les recherches en anatomie avaient décliné au début du XXe siècle avec l’arrivée de la radiologie, elles connaissent aujourd’hui un regain d’intérêt grâce à l’imagerie mésoscopique. «Contrairement à l’histologie – qui montre de très petits fragments d’organes avec un grand niveau de détail – et à l’anatomie classique – qui présente l’organe dans son ensemble sans en révéler les subtilités –, l'imagerie mésoscopique permet d’observer un organe entier à l’échelle microscopique, explique Christophe Lamy. On peut ainsi explorer des structures avec une résolution cellulaire et mettre en lumière des éléments difficiles à mettre en évidence, comme les trajets vasculaires ou nerveux.» Les recherches actuelles de l’équipe portent notamment sur l’innervation de la carotide, du tube digestif et des doigts – autant de sujets cruciaux pour les avancées chirurgicales et médicales.

ANATOMIE

Exposition

Jusqu’au 17 avril 2026 | Musée d’histoire des sciences

Histoire(s) de la médecine

Du 20 mai au 30 septembre, la Faculté de médecine accueille une exposition consacrée à l’évolution de la médecine à travers les siècles. Conçue par la Fondation Martin Bodmer, dont les bâtiments sont actuellement en rénovation, elle met en lumière une sélection d’illustrations tirées de ses riches collections.
Parcourir les siècles qui jalonnent l’histoire de la médecine peut être l’occasion d’un étonnant voyage. Les impressions oscillent entre intuitions visionnaires et associations d’idées devenues souvent exotiques, parfois incongrues. Pour accéder à ce patrimoine, l’exposition présente 15 planches illustratives, construites à partir d’ouvrages sélectionnés pour leur intérêt graphique, mais également pour leur diversité de provenances, d’époques, de formes et d’usages. Quinze épisodes autonomes qui, ensemble, racontent quelque chose de cette histoire commune.


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