27 octobre 2021 - Jacques Erard

 

Événements

«Nous ne sommes pas un peuple de montagnards déconnectés de l’histoire mondiale»

Samedi prochain, le Musée national suisse au château de Prangins organise une journée de rencontre entre professionnel-les des musées, universitaires et public amateur d’histoire dans le cadre de son exposition «Indiennes. Un tissu à la conquête du monde». Il y sera question de la manière d’aborder des sujets délicats ayant trait à l’héritage historique, tels la colonisation ou l’esclavage.

 

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Photo: Musée national suisse

 

Entre 1765 et 1785, les manufactures genevoises de textile emploient près de 20% de la population de la ville. C’est dire l’importance de ce secteur, qui s’est développé à partir de la fin du XVIIe siècle et qui produit principalement des «indiennes», des tissus imprimés selon une technique importée d’Inde. À partir de Genève, cette industrie naissante se répand à travers toute la Suisse et acquiert, dès le XVIIIe siècle, une position dominante dans le commerce mondial des textiles. Une partie de cette production sert de monnaie d’échange pour obtenir des esclaves auprès de marchands en Afrique de l’Ouest. Peu à peu, les négociants suisses ont pignon sur rue dans les principaux ports français où sont affrétés les navires servant à la colonisation et au commerce des esclaves. Certaines familles participent également au financement des expéditions, un investissement risqué mais qui rapporte gros en cas de succès. D’autres font travailler des esclaves dans des plantations dont ils sont propriétaires en Asie et en Amérique.

 

Détenteur d’une collection unique d’indiennes, le Musée national suisse au château de Prangins leur consacre une nouvelle exposition permanente qui raconte, à travers ces tissus aux motifs colorés et spectaculaires, l’implication de la Suisse dans le commerce triangulaire, la colonisation et l’esclavage. Un passé qui pose des questions douloureuses, étudié depuis plusieurs décennies par des historiens suisses – dont Hans-Ulrich Jost qui parlait à ce sujet de «colonialisme oblique» – et qui intéresse aujourd’hui un public beaucoup plus large. Comment aborder sereinement ce passé, dans le cadre d’événements publics tels que cette exposition? Le samedi 30 octobre, le château de Prangins organise à ce propos, en collaboration avec la Maison de l’histoire de l’UNIGE, une journée d’échanges entre universitaires, professionnel-les des musées et public amateur d’histoire.

«Le fait qu’un musée national s’empare de cette question est remarquable, souligne Sébastien Farré, directeur exécutif de la Maison de l’histoire. Cela permet, d’une part, de montrer comment notre histoire nationale s’inscrit dans un récit beaucoup plus large. Nous ne sommes pas un peuple de montagnards déconnecté de l’histoire mondiale. Genève et la Suisse ont participé activement au développement des échanges internationaux. C’est, d’autre part, une manière intelligente d’affirmer qu’un musée n’est pas seulement un lieu où l’on admire de beaux objets, mais qu’il peut aussi participer à la construction d’une histoire partagée et à une réflexion collective sur notre passé commun.»

 

Répondre à l'appel du moment?

Une partie du public, en particulier la jeune génération, réclame un débat ouvert sur ces enjeux mémoriaux prêtant à la controverse. Pour Sébastien Farré, «il est essentiel que les universités répondent à cet appel, en partenariat avec les musées, les écoles et le public intéressé. La Suisse officielle s’est souvent montrée peu empressée d’aborder les sujets qui fâchent comme le statut des saisonniers et saisonnières ou le renvoi des réfugié-es juifs/ives durant la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1990, elle a été acculée, sous la pression extérieure, à formuler des réponses tardives et embarrassées sur la question des fonds juifs en déshérence, qui ont laissé la population perplexe.»

Dans la foulée du rapport de la Commission Bergier, qui marque certainement un changement de cap à cet égard, plusieurs initiatives ont vu le jour en Suisse romande visant à mieux faire connaître les réalités de l’immigration, notoirement absente des musées cantonaux et nationaux en Suisse. L’exposition consacrée aux 150 ans de l’immigration italienne, cette année, au Musée historique de Lausanne ou, précédemment, l’exposition Nous, saisonniers, saisonnières… Genève 1931-2019, s’inscrivent dans une démarche similaire. Sur le plan purement universitaire, plusieurs recherches sont en cours sur le colonialisme et les collections des musées suisses.

Ces initiatives interrogent notre rapport au passé et viennent combler un vide. Elles participent aussi à un courant international de réflexion sur notre héritage historique. C’est le cas en Amérique latine, à propos de la conquête et de la figure de Christophe Colomb, ainsi qu’aux Pays-Bas, où le Rijksmuseum d’Amsterdam, haut lieu de la culture officielle néerlandaise, a ouvert une exposition consacrée à l’esclavage qui a connu un succès phénoménal.

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Photo: Musée national suisse

«Mondialisation, colonisation, esclavage»
Journée d’échanges
Samedi 30 octobre 2021, de 10h à 17h
Château de Prangins

Programme détaillé

Billet de participation : CHF 35.-
Gratuit pour les étudiant-es et doctorant-es


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