Journal n°134

Les géologues réécrivent l’histoire des grandes extinctions à l’aide du zircon

image_3.jpg

Les causes des disparitions massives d’espèces vivantes dans le passé lointain ne sont pas celles que l’on croyait. C’est ce qui ressort d’une nouvelle datation des couches géologiques basée sur l’analyse des cristaux de zircon

Urs Schaltegger, professeur au Département des sciences de la Terre (Faculté des sciences), est spécialisé dans la datation des roches. Il a contribué à l’amélioration des techniques de mesure grâce à l’exploitation du zircon, un cristal qui naît dans les volcans. Les archives géologiques relues par le prisme aiguisé de ce minéral ont d’ailleurs réservé des surprises, notamment sur les causes de certaines extinctions massives. Explications.

Campus: Qu’est-ce que le zircon a de si spécial pour les géologues?
Urs Schaltegger: C’est un cristal très résistant qui se forme dans les chambres magmatiques avant d’être expulsé lors des éruptions volcaniques. Il contient des éléments radioactifs (de l’uranium se désintégrant en plomb) permettant de calculer la date à laquelle il s’est cristallisé. Notre but consiste à trouver des couches de cendres volcaniques contenant du zircon dans des sédiments marins pour déterminer précisément l’âge de ces couches et le taux de changements environnementaux survenus dans le passé lointain.

Le zircon donne la date de sa formation dans la chambre magmatique et non celle de l’éruption qui l’a éjecté...
En effet et la différence entre les deux est parfois significative. C’est pourquoi nous prélevons plusieurs cristaux dans le même échantillon de cendres. Chacun donnera une date légèrement différente. Nous prenons le plus jeune – celui qui est le plus proche de l’éruption – et, d’après la distribution statistique des autres dates, nous pouvons estimer le nombre minimum de cristaux qu’il nous faut pour obtenir un résultat fiable. Du volcan d’origine, il ne nous reste que peu d’informations. Mais nous avons développé des modèles numériques de chambres magmatiques qui nous permettent d’avoir les idées assez claires sur la façon de relier l’information dans le zircon avec le contexte magmatique.

La technique de datation à l’aide du zircon est-elle nouvelle?
Non, elle a été développée dans les années 1950. Ce qui est nouveau, c’est la précision qu’elle a atteinte ces dix dernières années. Toutes les phases de l’analyse (imagerie de la structure du cristal, analyse chimique, élimination des parties endommagées par la désintégration radioactive de l’uranium, analyse isotopique...) ont été améliorées. Tous les laboratoires actifs dans ce domaine se sont également mis d’accord sur une harmonisation des techniques de calibration, de mesure et de traitement des données. Nous pouvons désormais comparer et reproduire nos résultats, ce qui n’était pas le cas auparavant. Cela dit, nous sommes très peu (cinq ou six laboratoires, tout au plus) à être à la pointe dans ce domaine. La discipline profiterait d’une plus grande concurrence. Actuellement, les dates que nous obtenons ont une exactitude de quelques dizaines de milliers d’années. Pour des roches formées il y a des centaines de millions d’années, c’est une performance.

Vous avez récemment démontré que l’extinction de masse survenue il y a 250 millions d’années (entre les périodes du Permien et du Trias) était probablement due à un climat devenu trop froid plutôt que trop chaud, comme on le pensait jusqu’à présent. C’est le zircon qui vous a dit cela?
Oui. En datant avec une précision inédite les différentes couches géologiques proches de cet événement majeur, nous avons remarqué que ce que l’on croyait être la cause – une remontée de température globale liée au CO2 provenant de l’activité des volcans des Trapps de Sibérie – était en réalité précédé par une glaciation globale qui a duré quelque 89 000 ans. Cette dernière, selon une nouvelle hypothèse soutenue par nos résultats, aurait provoqué une baisse importante du niveau des océans, entraînant l’élimination de 90% des espèces marines. L’effet de serre produit par le CO2 des volcans sibériens ne commence à se faire sentir que 100 000 ans plus tard.

Cette nouvelle a-t-elle été bien acceptée par la communauté scientifique?
Elle a plutôt jeté un froid, si j’ose dire. De nombreux collègues ont secoué la tête. Il n’est pas facile de modifier des idées en place depuis si longtemps. Cependant, même si nos interprétations peuvent être discutées, nos résultats sont solides.

Dans un article paru le 1er juin dans «Nature Communications», vous avez revisité la grande extinction suivante, entre le Trias et le Jurassique il y a 200 millions d’années. Qu’avez-vous trouvé?
Dans ce cas, ce que nous pensions être la cause – à savoir des coulées massives de basalte ayant formé la Province magmatique de l’Atlantique central dont on trouve des traces des deux côtés de l’Atlantique – est plus jeune que l’effet supposé, à savoir l’extinction de 60% des espèces sur Terre. En revanche, nous avons trouvé une contemporanéité entre cette catastrophe écologique et des événements magmatiques précoces de cette province, soit la remontée du magma du manteau terrestre et sa mise en place dans la croûte dont il reste des traces aujourd’hui.

Allez vous étudier la fin des dinosaures?
Non. Trop de monde travaille déjà sur cette période. Nos sujets actuels sont plus anciens: l’oxygénation des océans il y a 2,5 milliards d’années et la limite entre les périodes du Précambrien et du Cambrien, il y a 540 millions d’années. —