«Le drame de Sierre nous a laissés sans possibilité de rédemption»
Entretien avec Matthieu Mégevand, chargé de communication à la Faculté de théologie et auteur d’un récit philosophique inspiré par l’accident d’autocar qui a coûté la vie à 22 enfants en mars 2012
Le 13 mars 2012, 22 enfants décédaient lors d’un accident d’autocar dans un tunnel de Sierre. Ecrivain et chargé de communication à la Faculté de théologie, Matthieu Mégevand s’est inspiré de ce drame demeuré sans explication pour écrire un récit sur le sens de la mort et la place du mal dans l’existence. «Que peut-on dire sur ce qui ne dit rien?» Puisant dans ses lectures, ses amitiés et les épreuves qu’il a lui-même traversées, le narrateur de «Ce qu’il reste des mots» échafaude une enquête romanesque où s’entrecroisent, et souvent s’entrechoquent, des ébauches de réponses apportées par la philosophie, la religion, l’art ou la poésie. L’ensemble éclaire d’un jour neuf l’inépuisable réflexion sur le sens de l’existence, avec une forme de légèreté qui ne dépareille pas avec la gravité du sujet.
Quelle a été votre première réaction en prenant connaissance du drame de Sierre?
Je l’ai appris par la presse, comme la plupart d’entre nous. J’étais sidéré par ce drame. Vingt-deux enfants qui meurent, cela coupe le souffle. Il n’y avait pas d’autres ressentis.
Qu’est-ce qui vous a ensuite frappé au point d’en écrire un livre?
L’idée m’est venue en suivant le déroulement de l’enquête. Plusieurs pistes ont été évoquées, pour finalement n’aboutir à rien. C’était terrible. Ce drame condensait le mal absolu, la mort d’enfants, avec une absence totale de coupable et de cause connue. Nous étions par conséquent sans possibilité de rédemption, comme privés des moyens d’exprimer notre colère et notre sentiment d’injustice. Les seuls mots que l’on pouvait employer se résumaient à de l’incompréhension ou à de la compassion envers les familles. Je me suis alors demandé si la littérature n’avait pas quelque chose à apporter. Que pouvions-nous dire de plus? Cette question est devenue le point de départ du récit.
S’il y avait eu un coupable, l’interrogation morale n’aurait-elle pas été tout aussi pertinente?
Elle se serait plus vite épuisée. Si l’enquête policière avait déterminé que le chauffeur était ivre, par exemple, les politiciens auraient pu avoir recours à tout l’arsenal qu’ils réservent à ce genre de circonstances, en promettant d’être plus stricts, de faire davantage de contrôles, etc. Cela aurait pu donner l’illusion que l’on maîtrise le drame. Là, il n’y avait aucune prise. Cela nous ramène à cet impondérable ultime qu’est la mort. C’est la seule chose dont nous soyons certains dans l’existence, et pourtant tout est fait pour la rejeter, l’ignorer. Notre société la considère comme inacceptable.
En écrivant ce livre, avez-vous eu le sentiment de participer au deuil des familles directement touchées?
C’était évidemment un projet avec des zones sensibles. Je voulais bannir toute forme de misérabilisme ou de voyeurisme. Et il y avait un écueil absolu à éviter: tout au long de l’écriture, j’ai gardé en tête l’idée que, si un parent me lisait, il pourrait être en total désaccord avec ce qui est écrit, mais ne devrait à aucun moment penser que j’ai exploité la mort de sa fille ou de son fils pour écrire un livre.
Votre récit remet au goût du jour des notions que l’on considère à tort, selon vous, comme désuètes, issues de la philosophie ou de la théologie. Pourquoi cette démarche ?
Exclure les réponses apportées par la théologie, par exemple, au simple prétexte qu’elles ont une réputation poussiéreuse et non rationnelle me paraît insensé. Ce n’est pas une démission de la raison que de parler de transcendance ou de spiritualité à propos de la mort. Le narrateur cherche donc aussi des réponses du côté de Dieu. Mais il amène ces notions d’une manière qui est, je l’espère, moderne, acceptable pour un lecteur du XXIe siècle.
Etes-vous croyant?
Je me considère comme tel. Mais être croyant ne signifie pas avoir décrété une fois pour toutes que Dieu existe et qu’il est tout-puissant. D’une certaine façon, je suis un croyant qui essaie de croire et qui, parfois, n’y arrive pas. Dans ce genre de quête, les conclusions importent peu, ce qui compte, avant tout, c’est la démarche sans cesse renouvelée de construction de sens.