L’image satirique comme arme de propagande massive
Dès le 16 octobre, le Musée international de la Réforme à Genève présente une exposition consacrée aux images satiriques du XVIe au XVIIIe siècle. Explications avec le professeur Frédéric Elsig
Le 3 janvier 1521, Luther est excommunié et rompt définitivement avec l’Eglise catholique. Après avoir fait une démonstration de force en brûlant publiquement la bulle pontificale émise à son encontre, il redouble de vindicte et publie un pamphlet intitulé Passional Christi und Antichristi, qui équivaut à une déclaration de guerre. S’appuyant sur le talent du peintre et graveur Lucas Cranach, qui allait devenir son illustrateur attitré, le réformateur allemand met en regard des épisodes de la vie du Christ et leur perversion par le pouvoir pontifical. C’est un tournant dans l’histoire des idées. Pour la première fois, en effet, l’image devient le principal vecteur de la propagande religieuse.
SALIR L'ADVERSAIRE
Durant pratiquement deux siècles à la suite de cet ouvrage, protestants et catholiques auront recours à l’illustration satirique pour dénigrer leurs adversaires et tenter de rallier les laïques à leur cause. Cette guerre de l’image ne cessera de monter en puissance jusqu’aux guerres de religion, avant de connaître un apaisement au début du XVIIIe, puis un nouvel âge d’or avec l’essor du dessin de presse au XIXe siècle, dont l’une des dernières manifestations fut le remous causé par l’affaire des caricatures de Mahomet en 2005 (lire article).
PROTESTANT PROLIFIQUES
A travers une quarantaine d’objets issus de collections suisses et européennes, dont certains présentés pour la première fois au public, l’exposition «Enfer ou paradis : aux sources de la caricature (16e-18e siècles)», à voir dès le 16 octobre au Musée international de la Réforme, retrace cette histoire de l’image satirique au service d’un propos religieux. Après un prologue consacré à la satire anticléricale médiévale, la première partie de l’exposition s’interroge sur le statut de l’image, objet d’adoration ou de destruction. La deuxième partie montre comment les protestants détournent les rituels catholiques et les ridiculisent par le biais de la satire. Enfin, la troisième partie évoque le passage vers la caricature au sens moderne, à travers des images s’attaquant à des individus particuliers et non plus seulement à une communauté adverse.
L’ensemble, principalement des gravures et des estampes, met en évidence la permanence des ressorts qui fondent la satire en image et la puissance de cet outil de propagande. «Le trait dominant est la violence, observe Frédéric Elsig, professeur d’histoire de l’art de la Faculté des lettres et commissaire de l’exposition. De ce point de vue, le XXIe siècle n’a rien inventé. La stratégie est la même: on salit l’adversaire en le comparant soit à un animal, pour souligner sa bassesse d’instinct, soit au démon. On joue sur la scatologie.» Et à ce jeu, les protestants se révèlent bien plus prolifiques et imaginatifs que les catholiques. Ce sont eux qui se placent en rupture et qui donnent le ton.
L'ARME FATALE
Rupture idéologique, mais aussi technologique. L’invention de la gravure et de l’estampe permet de reproduire à plusieurs centaines d’exemplaires des images qu’on se passe sous le manteau, vendues ou placardées sur la porte des églises, comme à Genève dans les années 1535-36. «C’est l’arme fatale, commente Frédéric Elsig. Dès le moment où la capacité de diffusion est démultipliée, l’image devient un outil de guerre. Il faudrait d’ailleurs concevoir un nouveau chapitre de cette histoire de l’image satirique depuis l’avènement d’Internet.»
Difficile d’imaginer les zélateurs de la propagande religieuse du temps de la Réforme aux commandes du Web. Et pourtant nous n’en sommes pas très loin, dans le contexte mondialisé du XXIe siècle. «La Réforme aurait-elle été possible sans la gravure et l’estampe, s’interroge Frédéric Elsig. C’est une question à débattre. Il est en tout cas intéressant de constater que d’autres types de réformes ont eu lieu au XIVe et au début du XVe siècle sans aboutir au même succès.»
| Du 16 octobre 2013 au 16 février 2014 |
«Enfer ou paradis: aux sources de la caricature (16e-18e siècles)»
Musée international
de la Réforme
4 rue du Cloître, Genève
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