28 septembre 2023 - Anton Vos

 

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Le vieux Salève se paye une nouvelle carte géologique

Une carte géologique à 1/25’000e, complétée par un article de 127 pages, révise plus de cent ans d’études géologiques menées sur la montagne emblématique des Genevois-es.

 

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Versant nord-est de la Grande Varappe vu depuis le Sarrot (Grand Salève). La falaise montre des couches géologiques  formées entre environ 145 et 130 millions d'années et surélevées par la formation des Alpes. Image: DR


Véritable fenêtre ouverte sur la structure du sous-sol genevois, étudié depuis le XVIIIe siècle et jouissant d’une renommée mondiale, le mont Salève, entre l’Arve et Les Usses, a droit à une toute nouvelle carte géologique. Ce document complétant un article paru dans le numéro 42 (2023) de la Revue de Paléobiologie est l’œuvre de trois géologues, Jean Charollais, professeur honoraire à la Faculté des sciences, Bruno Mastrangelo, ingénieur géologue, et André Strasser, professeur honoraire à l’Université de Fribourg, accompagnés de plusieurs collaborateurs/trices. Il s’agit d’une mise à jour des connaissances acquises sur le Salève depuis plus d’un siècle. Cet article, destiné avant tout à des spécialistes, apporte des précisions sur la datation des diverses couches de terrain et, du point de vue structural, offre une description inédite d’un réseau de failles longitudinales sur le versant sud-est du chaînon et sur la révision de la zone fracturée du décrochement de Cruseilles qui atteint 4 km de largeur.

 

«Ces recherches géologiques sur le Salève revêtent également un intérêt particulier aujourd’hui pour la population en raison de la campagne visant à exploiter le potentiel géothermique du bassin franco-genevois, précise Jean Charollais. Les strates visibles au Salève sont les mêmes qui s’étendent sous le canton de Genève et se prolongent jusque dans le Jura. La connaissance la plus précise possible de leurs caractéristiques contribue à définir les lieux les plus propices pour effectuer des sondages d’exploration.» L’étude coïncide aussi avec la réouverture du téléphérique du Salève, fermé depuis deux ans pour cause de rénovation, dont l’inauguration est prévue les 7 et 8 octobre prochains.

 

Né des mers tropicales

Le Salève est un chaînon anticlinal jurassien longiligne qui s’étend sur 35 kilomètres entre les vallées de l’Arve et du Fier. L’étude géologique dont il est question ici ne porte que sur sa portion nord-septentrionale entre Étrembières et Cruseilles. Sa composition lithologique est analogue à celle du Jura et comprend des calcaires à patine claire qui se sont déposés pour la plupart dans des mers peu profondes et tropicales au cours de la fin du Jurassique et du début du Crétacé, soit entre 150 et 120 millions d’années avant notre ère.

La montagne, dont une des parois a donné son nom à la discipline sportive de la varappe, est, tout comme le Jura, liée à la poussée des Alpes. Celle-ci a provoqué au sud-est de Genève, il y a une dizaine de millions d’années, un pli dissymétrique, aussi appelé «pli en genou», qui chevauche, comme une vague déferlante d’une infinie lenteur, le bassin molassique franco-genevois. L’avant de ce genou a été largement érodé, mettant à nu une belle falaise qui rend visibles des couches géologiques remontées à la surface et révélant des éléments de la structure intime de la montagne. Relativement complexe, celle-ci est affectée par un grand nombre de failles et de décrochements que la nouvelle carte géologique répertorie dans le détail.

Du fait de sa proximité avec Genève, les scientifiques parcourent en effet le Salève depuis des siècles. La première description géologique exhaustive dont il fait l’objet revient à Horace-Bénédict de Saussure qui consacre au chaînon savoyard plus de 70 pages dans l’édition de 1803 de ses Voyages dans les Alpes. L’étude qui fera date est cependant celle des géologues genevois Étienne Joukowsky et Jules Favre parue en 1913, qui comprend une carte géologique levée à l’échelle du 1/25 000e. Elle servira de référence jusqu’à aujourd’hui. Après la Seconde Guerre mondiale et jusque dans les années 2000, plusieurs travaux sont réalisés à différentes fins par des universitaires, des géologues pétroliers/ères et géologues consultant-es en Suisse comme en France. Ceux-ci sont soigneusement répertoriés par les auteurs de l’article de la Revue de paléobiologie.

«Ces dernières années, si nous cumulons avec mes collègues toutes nos sorties sur le terrain, nous avons passé des centaines de jours à parcourir le Salève dans tous les sens à récolter des données, explique Bruno Mastrangelo. Non seulement cela entretient les jambes et la tête – et c’est important –, mais en plus cela a permis de découvrir des choses que personne n’avait remarquées auparavant, comme ces importantes failles sur le flanc oriental de la montagne, cachées par la végétation et dont l’existence modifie, aux yeux du géologue en tout cas, la vision générale de la structure du Salève.

 

Risques naturels

Les auteurs de l’étude consacrent également, à la fin de leur article, un chapitre aux risques naturels liés au Salève. Sa paroi abrupte a, de tout temps, été sujette aux éboulements et chutes de pierres. L’un des plus impressionnants, l’éboulement de Veyrier, a créé il y a plus de 15’000 ans un enchevêtrement de blocs calcaires qui ont servi d’abri aux humains du Paléolithique supérieur venus s’installer dans la région laissée libre suite au retrait du glacier du Rhône. Il aurait été suivi par d’autres événements similaires à la Grande Paroi au-dessus de Beaumont il y a 9500 ans. Dans l’histoire récente, entre 1839 et 2015, les auteurs ont repéré une bonne douzaine de cas d’éboulements plus modestes mais impliquant tout de même jusqu’à des centaines de mètres cubes de roches et avec, à la clé, parfois, des dégâts sur les infrastructures (voie ferrée, routes…). Dans un cas au moins, la mort de plusieurs personnes a été provoquée par le renversement d’une locomotive à vapeur frappée par des rochers tombés sur la voie ferrée du Petit Salève, dans la nuit du 11 au 12 septembre 1964.

Au cours de leurs campagnes sur le terrain, les auteurs ont observé d’énormes fissures parallèles à la falaise dont certaines étaient inconnues jusque-là et qui pourraient préfigurer les risques futurs d’éboulements.

Le Grand et le Petit Salève ne tremblent pas depuis au moins trente ans. Cependant, une zone située dans le prolongement sud-ouest de la montagne au sud de Cruseilles a, quant à elle, vécu un assez faible séisme de magnitude 5,3 le 15 juillet 1996, suivi une semaine plus tard d’une réplique de magnitude 4,2. Bien que cela soit assez improbable, il n’est pas possible d’écarter totalement la possibilité que l’origine de ce séisme ait un lien avec la faille du Vuache, plus active, à une dizaine de kilomètres au sud.

 

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