30 novembre 2023 - Anton Vos

 

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On a découvert le gène de la détermination de l’ovaire

Trente-cinq ans après avoir découvert le gène «Sry» impliqué dans la différenciation des gonades en testicules, les scientifiques viennent d’identifier «WT1-KTS» comme étant le gène qui décide de la fabrication des ovaires. Explications.

 

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Organes génitaux féminins avec les ovaires en rose clair. Image: AdobeStock

 

La détermination sexuelle des souris – et par analogie des humains – se joue en un instant fugace. Chez les embryons de rongeur qui possèdent un chromosome Y, le gène Sry entre en action au milieu du onzième jour de gestation et déclenche la différenciation des gonades en testicules. Dans le cas où ce gène est absent – chez les embryons XX, donc – ou dysfonctionnel, les gonades lancent, moins d’un jour plus tard, le programme génétique aboutissant au développement des ovaires. Alors que le gène de détermination des testicules Sry est connu depuis 1989, celui qui, en léger décalage, donne l’impulsion au développement ovarien vient juste d’être découvert. Il s’agit de «WT1-KTS», une des multiples isoformes (variants) de la protéine produite par le gène WT1 (pour Wilms tumor suppressor 1). Le rôle nouveau et essentiel de cette isoforme dans la détermination ovarienne est rapporté dans une étude parue dans la revue Science du 3 novembre et à laquelle a participé l’équipe de Serge Nef, professeur au Département de médecine génétique et développement (Faculté de médecine), en collaboration avec des scientifiques de l’Université Côte d’Azur à Nice.

 

Les protéines isoformes sont des protéines issues du même gène mais se différenciant par l’ajout ou la soustraction de quelques acides aminés à la suite d’un processus appelé «épissage alternatif». La protéine WT1, issue de la traduction du gène WT1, en possède plusieurs. Les deux principales se caractérisent par la présence ou non de trois acides aminés (la lysine, la thréonine et la sérine) et s’appellent respectivement WT1+KTS et WT1-KTS, chacun ayant, qui plus est, des fonctions très différentes.

Les scientifiques de Nice possèdent des souris mutantes, dont certaines n’expriment pas WT1-KTS, tandis que d’autres n’expriment pas WT1+KTS. De son côté, l’équipe genevoise dispose d’un atlas de toute l’expression génétique qui a lieu dans des cellules individuelles de gonades XX et XY au cours de la détermination gonadique de souris sauvage. Le travail a donc consisté à comparer minutieusement les différents sets de données afin d’identifier les altérations de différenciation observées chez les souris mutantes.

Concrètement, les expériences ont démontré que l’absence de l’isoforme WT1-KTS empêche la différenciation des gonades soit en ovaires, soit en testicules. En revanche, si son expression est artificiellement augmentée de manière prématurée, l’isoforme déclenche le développement d’ovaires, et ce, même chez les embryons génétiquement mâles. Ce dernier phénomène ressemble au syndrome dit de Frasier chez l’humain. Cette maladie rare est en effet causée par une mutation sur le gène WT1 qui entraîne une surexpression de l’isoforme -KTS ainsi que, entre autres déformations graves, le développement d’organes génitaux femelles chez les enfants XY.

«Ce qui se décide en un ou deux jours chez la souris prend plusieurs semaines chez l’être humain, précise Serge Nef. Mais malgré ces différences de dynamique, nos résultats suggèrent que les processus mis en œuvre dans les deux espèces sont comparables. C’est-à-dire que la différenciation sexuelle dépend d’une balance fine entre des programmes ovariens et testiculaires obéissant à une expression spatiotemporelle très précise.»

Cette étude représente la dernière étape en date (mais certainement pas encore l’ultime) dans la compréhension de la détermination sexuelle chez les mammifères supérieurs, dont l’être humain. La première remonte aux années 1950 avec la démonstration formelle du fait que le chromosome Y est nécessaire pour induire le développement des testicules et donc des individus mâles. La connaissance des mécanismes moléculaires s’est affinée avec la découverte en 1989 de l’existence et du rôle du gène Sry, justement présent sur le chromosome Y, dans la différenciation des gonades en testicules. Qu’il ait fallu trente-cinq ans de plus pour que le facteur de différenciation de l’ovaire soit à son tour identifié n’a rien à voir avec un quelconque biais sexiste de la recherche, mais avec le fait qu’il existe parmi de multiples isoformes du facteur WT1, dont la fonction est plus difficile à déterminer.

 

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