22 mai 2025 - UNIGE

 

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D’ici 2050, la Suisse doit ériger des centaines d’éoliennes

Pour que 60% de la demande d’électricité en Suisse soit couverte par des sources renouvelables en 2050, la puissance photovoltaïque installée doit être multipliée par 4 et la puissance éolienne par 80.

 

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Le parc éolien situé sur le Mont-Crosin et le Mont-Soleil dans le Jura bernois, le plus grand de Suisse, compte 16 turbines d'une puissance totale de plus de 37 MW.. Image: C. Aeberhard

 

Le consortium de recherche Sweet Edge (lire l’encadré ci-dessous) publie un rapport sur la manière dont la transition énergétique peut être mise en œuvre en Suisse d’ici à 2050. Basée sur des études menées par des équipes de plusieurs hautes écoles du pays, dont celle d’Evelina Trutnevyte, professeure associée à l’Institut des sciences de l’environnement et au Département F.-A. Forel des sciences de l’environnement et de l’eau, cette première enquête approfondie sur la question stipule que pour couvrir 60% de la demande d’électricité en Suisse avec des sources renouvelables, la puissance photovoltaïque installée doit être multipliée par 4 en vingt-cinq ans et la puissance éolienne par 80.

 

Le défi est de taille. L’approvisionnement énergétique neutre en carbone visé par la Suisse d’ici à 2050 exigera en effet l’électrification des transports, du chauffage et de l’industrie. Cela fera passer la demande annuelle d’électricité du niveau actuel de 56 térawattheures (TWh) à environ 75 TWh. Parallèlement, la contribution de 23 TWh des centrales nucléaires suisses devra être remplacée.
Étape importante dans ce sens, le 9 juin 2024, 69% des électrices et électeurs suisses ont approuvé la loi sur l’électricité établissant que d’ici à 2050, la Suisse couvrira environ 60% de cette future demande d’électricité (soit 45 TWh) par de nouvelles sources d’énergie renouvelables telles que le photovoltaïque, l’énergie éolienne ou la biomasse.

Il faut démultiplier les éoliennes
Dans la première étude du rapport, les scientifiques ont établi que la Suisse peut atteindre cet objectif de différentes façons qui impliquent toutes un développement massif du photovoltaïque et de l’énergie éolienne. Sur ces 45 TWh d’électricité, 28 en moyenne proviendraient des systèmes photovoltaïques, 13 des éoliennes et le reste de la biomasse. En d’autres termes, la puissance installée du photovoltaïque en Suisse devrait passer de 6,4 gigawatts (GW) à quelque 26,8 GW en 2050. Dans le cas de l’énergie éolienne, essentielle à la production d’électricité en hiver pour pallier la baisse d’énergie solaire, un développement beaucoup plus important est requis. Plus précisément, la puissance devrait passer d’une moyenne de 0,1 GW aujourd’hui (générée par un parc de 47 turbines) à quelque 8,4 GW en 2050, soit une augmentation d’un facteur 80 fois. Selon les auteur-es du rapport, un tel développement est presque inconcevable sans des subventions efficaces.
À cela s’ajoute le fait que la loi sur l’électricité précise également que les importations nettes en hiver ne doivent pas dépasser 5 TWh. Si elle est appliquée strictement, cette règle devra s’accompagner d’une augmentation de la production locale d’énergie, de l’ordre de 80% pour les parcs éoliens, 11% pour les centrales au gaz et 10% pour les centrales solaires, selon les modèles présentés dans le rapport. En outre, les coûts d’approvisionnement en électricité, qui se composent principalement des coûts d’investissement et d’exploitation, pourraient augmenter d’un cinquième et le prix de l’électricité pourrait plus que doubler.
Pour ne rien arranger, l’Union européenne (UE) pourrait, à l’avenir, réserver 70% de la capacité du réseau transfrontalier à des échanges entre pays membres. Les scientifiques ont donc modélisé l’impact que pourrait avoir une réduction de 70% du volume des échanges transfrontaliers d’électricité sur le mix énergétique et les coûts d’approvisionnement énergétique en Suisse. Leur conclusion est que la puissance installée des éoliennes en Suisse devrait augmenter de 20% pour absorber cet impact. Les coûts d’approvisionnement en électricité enfleraient de 8% dans un tel scénario.
Selon les auteur-es, il est clair que si la Suisse a besoin de plus d’éoliennes, le pays doit aussi s’intégrer le mieux possible au marché européen de l’électricité. Sans cela, le coût de l’électricité elle-même ainsi que celui de son approvisionnement augmenteront.
Il se trouve que, selon un sondage représentatif mené par le consortium Edge, environ 60% de la population suisse est favorable à une coopération plus étroite avec l’UE afin de garantir l’approvisionnement en énergie. Dans le même temps, environ 70% des quelque 2000 personnes interrogées ont déclaré que la Suisse devrait être indépendante en matière d’énergie et que les importations d’électricité sont impopulaires par rapport aux sources d’énergie nationales.

Seul 1% des investissements reste en Suisse
Une autre étude présentée dans le rapport montre que seul 1% de tous les investissements suisses reste en Suisse. Plus de la moitié des investissements annuels des fournisseurs d’électricité et des investisseurs financiers suisses dans des projets d’énergies renouvelables d’une puissance supérieure à un mégawatt est en effet destinée à d’autres pays européens (177 millions de dollars par an en Allemagne, 112 millions en France et 43 millions en Italie). Les bailleurs de fonds suisses investissent également 644 millions de dollars en dehors de l’Europe. Près de 60% de cet argent est consacré à des projets éoliens. Comme si les investisseurs avaient tendance à financer des projets d’énergie renouvelable à l’étranger qu’ils ne pourraient pas mettre en œuvre dans leur pays.

Le coût de la transition énergétique
Une troisième étude du rapport Sweet Edge modélise ce que l’objectif de zéro émission nette fixé dans l’Accord de Paris pourrait coûter à la population suisse. Les scientifiques supposent que les prix des énergies fossiles et les coûts de production de nombreuses marchandises augmenteront d’ici à 2050 en raison des taxes sur le carbone et des échanges de droits d’émission. Cela ferait également monter les prix de nombreux produits et services – tels que le logement, l’énergie, l’alimentation ou la mobilité – en Suisse.
Tous les ménages suisses seraient touchés dans le pays par la baisse des revenus et la hausse des prix entre 2020 et 2050 et pourraient donc consommer moins. L’ampleur de ce phénomène dépendra des efforts déployés à l’étranger pour le climat. Si seule l’Europe devenait climatiquement neutre d’ici à 2050, la transition pourrait coûter 0,63% de la consommation annuelle moyenne des ménages suisses. Toutefois, si tous les pays de l’OCDE atteignaient la neutralité carbone d’ici à 2050, la Chine d’ici à 2060 et le reste du monde d’ici à 2070, le ralentissement supplémentaire de la croissance économique pourrait porter ce coût à 0,75% de la consommation annuelle d’un ménage suisse.
Le fait que ces coûts ne soient pas plus élevés dépend de la capacité de la Suisse à compenser ses émissions à l’étranger. Si cela n’est pas possible, ils pourraient atteindre 1% par an et par ménage. Le rapport précise toutefois que lors de l’interprétation de ces chiffres, il est toujours important de garder à l’esprit que les coûts induits par des émissions de CO2 non contrôlées seraient probablement beaucoup plus élevés.

Une tansition en douceur

Sweet (Swiss Energy Research for the Energy Transition) est un programme de financement de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) qui a pour vocation d’encourager les innovations nécessaires à la réalisation de la Stratégie énergétique 2050 et des objectifs climatiques de la Suisse.
Sweet Edge est un consortium parrainé par Sweet et coordonné par l’Université de Genève et l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Il comprend également l’Université de Berne, l’École polytechnique fédérale de Zurich et d’autres partenaires. Il vise à accélérer le déploiement des énergies renouvelables en Suisse et à garantir que le système énergétique sera conçu de manière optimale, techniquement et économiquement sûr et bien connecté à l’Europe d’ici à 2035 et 2050.

 

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