3 décembre 2020 - Nadia Sartoretti

 

Vie de l'UNIGE

Jean Piaget, par-devant l’œuvre

Spécialiste de l’œuvre et de la trajectoire de Jean Piaget, Marc Ratcliff a récemment été élu au comité de direction de la Jean Piaget Society. Il entend y défendre une approche rénovée des recherches sur le grand psychologue neuchâtelois.

 

 

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Jean Piaget et sa famille. ©Archives Piaget


Collaborateur scientifique aux Archives Piaget depuis 2008, Marc Ratcliff est également président de l’Association pour l’histoire des sciences de Genève et de la Fondation Jean Piaget pour recherches psychologiques et épistémologiques. Il a récemment été nommé au comité de direction de la Jean Piaget Society, une association basée aux États-Unis qui regroupe depuis 1970 des chercheurs et chercheuses du monde entier s’intéressant à la perspective piagétienne. Un nouveau mandat dans le cadre duquel le chercheur de l’UNIGE entend mettre en avant non seulement la complexité de l’œuvre piagétienne mais aussi les multiples facettes de sa personnalité, sa manière de travailler ou encore ses relations avec ses collaborateurs et collaboratrices.

 

Également maître d’enseignement et de recherche (MER) à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Marc Ratcliff est convaincu que les archives de Piaget conservées à Genève – qui comprennent toute sa correspondance ainsi que l’ensemble de ses textes manuscrits – n’ont pas encore tout dit. Même si la collection de ses œuvres, qui est en cours de numérisation, a été passablement exploitée il y a 25 ans, lors du centenaire de la naissance du professeur, certaines pièces de valeur, dont une lettre d’Einstein, demeurent trop peu exploitées. Mais les efforts existent et se poursuivent: Marc Ratcliff a récemment signé la préface d’une traduction en mandarin d’environ 60% des travaux de Jean Piaget, initiée par le prof. Li Qiwei de la East China Normal University, qui offre une vision d’ensemble de son œuvre et apparaît comme un grand pas vers une diffusion plus large du travail du chercheur en psychologie du développement.

Marc Ratcliff souhaite également mettre au jour certains aspects souvent négligés, voire corriger des perceptions erronées de la personnalité de Jean Piaget. «Beaucoup de gens ont gardé de lui l’image d’un homme âgé avec une pipe qui parlait de structures mentales, analyse le chercheur. Cette perception un peu rigide a été renforcée par les médias, dont la télévision qui était alors relativement nouvelle. En réalité, c’était un personnage charismatique qui possédait une joie de vivre insoupçonnée», explique le MER. Il avait également un côté spontané et original: «Il faut s’imaginer ce bonhomme avec ses grandes oreilles qui se met à jouer avec les enfants tout en les observant. Lorsque ces derniers produisent des raisonnements qui, du point de vue de l’adulte, sont faux, Jean Piaget, au lieu de les contredire, entre totalement dans leur jeu», poursuit Marc Ratcliff.

Piaget entretenait, par ailleurs, des relations où la liberté d’expression était totale. Par exemple, dans sa correspondance avec un intellectuel parisien, Ignace Meyerson, les propos de son interlocuteur jouent parfois, selon le MER, avec les limites de l’acceptable. Mais cela n’entame pas l’amitié que Piaget lui porte et ne l’empêche pas de poursuivre l’échange. On retrouve ce même ton direct, voire ironique, dans sa correspondance avec ses assistantes. Pour Marc Ratcliff, cette ouverture d’esprit jouait un rôle capital dans les relations de Piaget: «L’une de ses assistantes m’avait expliqué qu’il avait, en quelque sorte, une capacité à élever son interlocuteur à la manière de Socrate et que sa faculté de recevoir tout propos y participait», poursuit le MER. Enfin, pour le chercheur, la dimension humaniste du personnage est parfois négligée. Cette dernière se reflète, par exemple, dans ses efforts pour obtenir un visa permettant le retour à Genève de l’une de ses collaboratrices de religion juive, retournée en Pologne en 1939. La demande aboutira, mais la jeune femme ne pourra pas se servir du visa obtenu pour rejoindre la Suisse. Alina Szeminska sera déportée à Auschwitz, dont elle sortira vivante, et recevra en 1979 le Doctorat honoris causa de l’Université de Genève.

 

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