Johann Wolfgang von Goethe
Le père des Lettres allemandes, J. W. von Goethe, a dédié des décennies à Faust, son œuvre majeure. Elle raconte l’histoire d’un savant qui pactise avec le diable, nommé Méphistophélès («celui qui aime l'absence de lumière»). Dans la seconde partie – publié en 1832 et communément appelée Faust II –, le docteur Faust est convié avec Méphistophélès à la cour de l'empereur; et dans le 2eme acte (2eme partie), Faust enclin aux rêveries spéculatives retrouve son «cabinet d’études» des débuts et son famulus Wagner. Son étudiant assistant se révèle un expérimentateur novateur audacieux («Ce que l’on prétendait secret de la Nature, Nous, nous osons l’analyser.»), en train de créer concrètement en laboratoire un homme artificiel, homunculus (terme par lequel les médecins «spermatistes» adeptes de la théorie du préformisme au siècle des Lumières désignaient le fœtus «petit homme» qu'ils croyaient discerner au microscope dans la tête du spermatozoïde).
L’intrigue est centrée sur ce petit homme artificiel flamboyant inattendu et intrigant construit par le savoir-faire de l’assistant chercheur (stimulé et aidé par un Méphistophélès «démoniaque») et qui «vit» dans une fiole de verre (sous peine de s’évaporer). Homunculus vient au monde formé, et doté de parole, même si son petit corps chétif est incomplet et vulnérable. Il énonce avec lucidité: «À peine en l’univers le Naturel se tient; mais à l’Artificiel, l’espace clos convient.» L’«enfant philosophique», objet de quête de l’alchimie, manifeste l’accès espéré à la fois à l’immortalité et à une androgynie réconciliant le féminin et le masculin. Une naissance qui n’a pas pour siège un ventre maternel naturel, peut-elle révéler les mystères de la «création»?
La préformation et le rêve d’éducation d’homunculus peuvent aussi représenter sous la plume de Goethe une satire du charlatanisme alchimiste, de l’idéal illusoirement visionnaire et du désir malséant des doctes et savants égocentrés de survivre en des élèves identiques à eux-mêmes. La suspicion jetée sur les fourvoiements possibles des sciences, conjuguée au sujet effleuré de l’attirance homosexuelle, est une constante dans le Faust. Le chapitre inscrit dans un contexte d’espoir de progrès amené par l’empire napoléonien suggère que l’épisode comporte cette dimension de satire adressée à l’attitude des enseignants chercheurs, trompés par de fausses lumières dans certaines cours et universités allemandes.
L’homuncule à la fin du 2e acte du Faust s’émancipera de son statut de cobaye de la recherche en laboratoire: il émigrera en Grèce (avec Faust et Méphistophélès) où, au contact de la mer Égée, origine de toute vie naturelle, il brise la fiole qui le contient, épouse les vagues, apprend les lois de la nature et confond son corps artificiel aux eaux naturelles primordiales. Cette dissolution et réconciliation réussie de l’homunculus avec la nature anticipe la réconciliation conclusive du docteur Faust avec l’ordre divin à la fin de l’ouvrage.
Nous pouvons ici conclure en renvoyant à une autre image de cette exposition. Le médecin suisse Paracelse en effet avait déjà enseigné, en 1537, qu’en laissant se putréfier de la semence masculine en un vaisseau scellé, une forme humaine transparente et dépourvue de corps apparaissait au terme de quarante jours, qu’il convenait d'alimenter dans sa prison de verre pendant quarante semaines avec du sang humain raffiné. Selon Paracelse, un véritable enfant réussit ainsi à se développer, demeurant seulement de petite taille.
Une notice de Jacques Berchtold.