Livre pour sortir au jour d’Ousirour

Dès le Nouvel Empire, les anciens Égyptiens aimaient emporter de tels Livres des morts dans leur tombe, dessinés sur rouleaux de papyrus, parfois peints sur des parois du caveau ou autres sarcophages, linceuls, bandelettes, masques funéraires. La numérotation moderne des formules (chapitres), procède d’un ordre adopté tardivement; il ne renvoie pas à une lecture progressive. Ces «Livres des Morts» dénombrés par centaines, sont des recueils de formules magiques et liturgiques qui procèdent de l’abondante littérature funéraire produite par la civilisation pharaonique. Ces formules pour «sortir au jour», selon leur désignation égyptienne, faisaient partie du trousseau funéraire et furent recopiées dès la XVIIIe dynastie jusqu’à l’époque romaine. 

Le Papyrus Bodmer 104 appartient à cette dernière période. Ce bel exemplaire d’époque gréco-romaine a appartenu à un personnage nommé Ousirour, prêtre du dieu Khonsou — dieu médecin — à Thèbes. Ecrit en cursive («hiératique», écriture réservée aux textes religieux); le texte est complet, illustré d’élégantes vignettes. Les formules sont récitées par le prêtre lors des funérailles et par le défunt, dans l’Au-delà, afin d’assurer sa protection, son intégrité et sa survie après la mort. Disparates, elles puisent dans un répertoire magique, mythique, hymnique et rituel. Il s’agit de protéger le défunt contre les maux, serpents, vers et insectes nécrophages ; de lui éviter de «marcher la tête en bas» ou de «manger des excréments» dans l’Au-delà et de lui favoriser douces brises, boissons et aliments sains à profusion; enfin, de lui permettre de se transformer en différentes créatures et plantes (faucon, phénix, héron, hirondelle, serpent, crocodile, lotus). 

Le trépassé apprend à connaître les chemins du monde des morts, à se concilier les génies et démons, les gardiens de portes et autres bateliers. Dans la salle palatiale du roi des défunts, où trône Osiris, le mort sera confronté aux actes accomplis durant sa vie sur terre. Une balance pesant son « cœur » détermine s’il est en équilibre avec la frêle plume de Maât, principe directeur et régulateur du monde juste et normé (ch. 125): à l’issue de cette cérémonie, où l’échec est synonyme d’anéantissement (le monstre «Dévoreuse» se trouve devant la balance), le défunt clamera définitivement son innocence devant un tribunal de 42 divinités. Le «cœur» du défunt (jb en égyptien) n’est pas son cœur physique. Il s’agit d’une part de sa personne englobant ses pensées, sa conscience, son «for intérieur». Le triomphe dans l’Au-delà exprime la poursuite de la vie, finalité de l’idéologie funéraire égyptienne. 

Trois registres séparés par des cieux étoilés évoquent la course solaire. Le registre supérieur montre la barque solaire qu’occupe sous ses trois formes le dieu solaire: Rê-Horakhty tout d’abord, coiffé d’un disque rouge entouré de son serpent protecteur; Atoum, coiffé de la couronne rouge; puis Khépri, coiffé d’un disque dans lequel s’inscrit un scarabée. Trois aspects du dieu correspondent à l’astre solaire en sa pleine force diurne, en sa nature déclinante du soir et en sa forme rajeunie du matin. Le prêtre Ousirour du dieu médecin, en adoration devant cette triple manifestation solaire, a pris place dans la barque céleste, intégrant le cycle cosmique, gage d’une vie éternelle perpétuellement rajeunie et éclatante, à chaque aube, à l’orient du ciel.

 

D’après une notice de Youri Volokhine.

 

2 avr. 2025

Exposition Bodmer - Histoire(s) de la médecine