Mary Shelley

Dans ce roman commencé en 1816, Frankenstein est un jeune homme passionné par la philosophie naturelle depuis son plus jeune âge. À Thonon, il découvre la pensée de Cornelius Agrippa (1486-1535), proche des idées hermétiques et magiques. À cette lecture de la Renaissance, il retrouve Paracelse et Albert le Grand, pères des idées alchimistes. Il prend par ailleurs connaissance des lois de l’électricité lors d’un violent orage, lorsqu’un arbre prend feu. Un ami de son père lui expliqe la nature et les lois de comportement du fluide galvanique. Il part étudier à l’Université d’Ingolstadt, centre universitaire où se pratiquent des expériences galvaniques. Excellent étudiant en anatomie et physiologie, il rêve de percer des secrets naturels inconnus et se livre à des expériences de galvanisme animal pour découvrir les liens unissant vie et électricité. Une nuit de novembre, ses recherches aboutissent : il communique le souffle vital à un corps mort composé en unissant des morceaux de cadavres. Quelques secondes après, il voit la créature inerte ouvrir ses yeux jaunes. Saisi de dégoût, Victor Frankenstein prend la fuite.

Dans la première édition illustrée, un frontispice de Theodor von HoIst montre la créature s’éveillant à la vie. Frankenstein vient d’insuffler le spark of being, l’«étincelle de la vie», à sa créature. En la voyant remuer, l’apprenti-sorcier submergé par le dégoût, quitte brusquement son laboratoire. Dans l’illustration, la créature n’est pas monstrueuse mais semble avoir aussi peur que son créateur. Le décor répond aux conventions gothiques : fenêtre en ogive, clair-obscur, os du charnier, crâne, livre ouvert à terre (sans doute un ouvrage occulte interdit aux étudiants de médecine) tombé de la bibliothèque remplie d’autres livres et d’autres crânes. Sur le mur opposé, des caractères hébreux, kabbalistiques, s’affichent. L’étudiant coupablement curieux avait fait des recherches qui l’ont amené à «créer la vie» et une créature sans nom faite de morceaux de cadavres humains. L’illustration montre Frankenstein épouvanté par son œuvre impie, au moment où il décide de s’enfuir d’Ingolstadt. La créature saura toutefois rejoindre son créateur à Genève…

Frankenstein, ou Le Prométhée moderne commença comme un jeu. Durant l’été 1816, Mary Godwin et son futur époux le poète Percy Shelley rejoignirent Lord Byron qui avait loué une demeure à Cologny. Un soir de juin, Byron propose un concours: «Chacun d’entre nous va écrire une histoire de fantôme». Ils sont quatre: Mary, Percy, Byron et son médecin, Polidori. Ce dernier rédigea l’ambitieuse esquisse de The Vampyre. Mais la création la plus inventive fut Frankenstein de Mary dont le héros est un médecin et qui est devenu l’un des romans les plus renommés de la littérature européenne, exprimant les inquiétudes de la modernité face au savoir scientifique médical, à la biotechnologie et à leur influence sur le conditionnement de la vie et de la mort. 

L’histoire de Frankenstein ou le Prométhée Moderne connut un succès immédiat dès la publication en 1818. Il s’agit moins d’un conte fantastique que de l’acte de naissance de la science-fiction moderne. Le mythe contemporain qui advient est fondé sur des spéculations scientifiques plutôt que sur des éléments surnaturels. La créature est née dans un laboratoire grâce au souffle vital que lui transmet le jeune apprenti-médecin, se référant au «fluide galvanique» des recherches sur les phénomènes physiologiques auxquelles s’était livré le médecin italien Luigi Galvani à la fin du 18e s. Il avait étudié les contractions musculaires de cadavres animaux sous l´effet d’étincelles produites par une machine électrostatique, et provoqué par exemple des contractions de cuisses de grenouilles en reliant le muscle et le nerf par un arc métallique. Galvani avait conclu que l’électricité de ces contractions était produite par le cadavre animal. La grenouille morte garde encore des vestiges de sa vie passée: de l’électricité reste en son corps comme un résidu. Selon ces partisans de l’électricité animale, les mouvements musculaires, y compris celui du cœur qui maintient la vie, doivent être compris comme étant produits par un fluide électrique émanant du cerveau et qui se transmet à travers les nerfs au reste du corps, en chargeant les muscles.

Célèbre adepte de la théorie de l’électricité animale, Giovanni Aldini (1762-1834) popularisa les travaux de son oncle Galvani au cours de tournées dans les pays d’Europe, en particulier en France et en Angleterre. Il réalisait des expériences publiques macabres, électrifiant des cadavres animaux et humains pour leur rendre la vie pendant quelques instants. La jeune Mary Godwin connaissait non seulement ces démonstrations d’Aldini rapportées dans la presse, mais aussi les courants scientifiques de l’époque. Elle fut habituée dès son jeune âge à écouter les discours des amis qui se réunissaient chez son père, tels le chimiste Humphry Davy, l’historien de l’électricité Joseph Priestley, l’anatomiste Erasmus Darwin ou le poète Coleridge. Mary Shelley eut l’opportunité de se refamiliariser plus tard avec les recherches sur l’électricité de Benjamin Franklin (1706-1790) et avec les expériences de Galvani.
 

D’après une notice de David Spurr.
 

2 avr. 2025

Exposition Bodmer - Histoire(s) de la médecine