Paracelse
Paracelse (1493-1541), médecin et chirurgien praticien, réforma la façon d’aborder l’art de soigner. Sa philosophie de la nature prépare le cadre pour la médecine chimique moderne. Se détournant de la médecine galiéniste désormais scolaire et sclérosée, il prépare l’émancipation de la chimie à partir de l’alchimie et indique la voie moderne de la biochimie. En 1527 à l’Université de Bâle, il s'appuie sur «des manuels [qu’il a] rédigé sur la base de [s]a propre expérience». Il refait en médecine ce que Luther avait fait en théologie lorsqu’il avait défié l'Église. Paracelse affirme le primat de l'exercice de la médecine sur le savoir bibliophile: il brûle les œuvres de Galien et Avicennes, enseigne en suisse allemand (non en latin). À Ulm et Augsburg il achève l'édition de ses idées et recherches en chirurgie, Grosse Wundarznei (H. Steiner, 1536), contribution la plus remarquable à la médecine publiée de son vivant.
L’édition la plus importante et influente est la compilation raisonnée en dix volumes du médecin Johannes Huser des travaux de Paracelse sur la médecine et la philosophie naturelle, publiée à Bâle par Conrad Waldkirch, en 1589-91. Huser prépara des volumes supplémentaires comprenant les écrits chirurgicaux (Grosse Wunderarznei), mais, comme il y eut des éditions concurrentes à Bâle, ils ne purent être publiés qu’à Strasbourg à partir de 1605, après le décès de Huser. Notre édition strasbourgeoise modernise la langue, mais ne modifie pas la formulation initiale. La réédition remarquable de 1618 présente un texte fiable. La pensée analogique de Paracelse repose sur l'unité et la sympathie de tous les éléments selon des affinités (correspondance microcosme-macrocosme) et vise à une compréhension globale, une science universelle, une théorie du tout englobant homme, cosmos, médecine, astrologie, magie, alchimie, religion. L'homme, composé d’éléments terrestres et célestes-sidéraux, est le centre commun de la Terre et du Ciel: le cosmos vit en lui. «L'homme est ce petit monde qui contient les qualités du grand monde.» (Grande Astronomie). Paracelse expose en 1530 dans le Paragranum comment la médecine repose sur quatre piliers : philosophie (sous l’autorité de la nature), astronomie, alchimie, vertu. L’ouvrage suppose l'existence d'opérations cosmiques; influence bonne ou mauvaise du soleil, «maladies du firmament» se répercutant sur terre. Paracelse récuse la théorie de la médecine scolastique, où l'origine de la maladie résidait dans un déséquilibre des quatre humeurs. Chaque maladie est due à un agent particulier que traite un remède spécifique.
Dans Paramirum il distingue cinq causes et entités: influence astrale; entité vénéneuse du milieu immédiat; entité naturelle; puissance spirituelle pour les maladies mentales; entité divine (Dieu intervenant naturellement ou par punition). Conséquence de l’origine «naturelle» de ces causes, les maladies sont comprises comme des êtres qui «parasitent» l'organisme humain. Elles viennent de l'extérieur et s'opposent à la bonne constitution du malade: «chaque maladie provient d'une semence, se développe comme un arbre avec ses fruits». La maladie obéit à un modèle «chimique» (pathologie interne) et «biomorphe» (lutte entre deux entités de vie). Paracelse introduit la représentation de «maladies tartriques» provenant de substances alimentaires néfastes, qui se déposent sur les dents, dans les artères, les articulations et les organes creux «à l'instar du tartre dans les tonneaux de vin». Le savant explique ainsi la propagation des maladies épidémiques.
Paracelse explore de nouvelles possibilités thérapeutiques par la préparation chimique de nouveaux remèdes, extraits de plantes, de métaux et de minéraux. Il ne les utilise pas seulement pour l’usage externe mais aussi plus largement, par voie interne, comme des composés de mercure, arsenic, plomb, antimoine. D'après lui, il faut des remèdes nouveaux contre des maladies nouvelles inconnues des anciens, comme la syphilis. Ces nouveaux remèdes sont violents mais efficaces, à condition de contrôler leur dosage. Paracelse a contribué de façon notable à la pharmacologie : le fer contre les anémies (justification astrologique), le mercure contre la syphilis et l’hydropisie. Il isole une « eau blanche » obtenue par l’action du vitriol sur l'alcool, démontrant son effet narcotique et sédatif. Il utilise l’opium dans la Grande Chirurgie : «Je possède un archanum que j'appelle le laudanum qui est supérieur à tout, là où la mort s'approche» (ancêtre de l’analgésique laudanum de Sydenham). Contre les galiénistes qui ne traitent que par les contraires, Paracelse soigne aussi par les semblables (un empoisonnement soigné par un poison similaire), d'où l’intérêt de l'arsenic, le mercure, l'antimoine. Son utilisation de l'antimoine donne lieu à une fameuse polémique qui dura un siècle (1566-1666).
Paracelse, ayant envisagé de créer un «homoncule», est l'une des sources d'inspiration de Goethe pour son Faust et de Mary Shelley pour son Frankenstein.
Une notice de Jacques Berchtold.