Journal n°141

Les émotions véhiculées par la voix sont catégorisées dans le lobe frontal

image-4.jpgL’interprétation et la catégorisation des émotions transmises par la voix sont essentiellement assurées par des régions frontales du cerveau. Si ces dernières ne fonctionnent plus correctement, à la suite d’une lésion cérébrale par exemple, la personne ne sera plus capable de comprendre correctement les émotions et, partant, les intentions de son interlocuteur. C’est ce qui ressort d’une étude réalisée par l’équipe de Didier Grandjean, professeur à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation et au Centre interfacultaire en sciences affectives (CISA), et parue le 24 novembre dans la revue Scientific Reports.
De manière générale chez les mammifères, le traitement cérébral de l’audition est l’affaire de la partie supérieure du lobe temporal. Les vocalisations mobilisent une zone spécifique de cette région qui permet, par exemple, de distinguer les voix de ses congénères parmi les bruits environnants. En revanche, les émotions que ces voix véhiculent font appel à d’autres zones cérébrales. Et c’est ce que les chercheurs genevois ont voulu mieux comprendre.

Catégoriser ou discriminer
«Lorsque quelqu’un nous parle, nous utilisons les informations acoustiques sur les émotions que nous percevons chez l’autre et nous les classons selon diverses catégories, comme la colère, la peur ou la joie», explique Didier Grandjean.
Cette opération, appelée catégorisation, permet de déterminer, lors d’une interaction sociale, si une personne est triste ou joyeuse. La catégorisation se distingue de la discrimination, qui consiste à focaliser son attention sur un état particulier, par exemple détecter ou chercher quelqu’un de joyeux dans une assemblée.
Pour en savoir plus sur cette notion, Didier Grandjean et ses collègues ont exposé 16 personnes adultes à une base de données de vocalisations comprenant six voix d’hommes et six voix de femmes prononçant de manière émotionnelle des pseudo-mots sans signification.
Dans un premier temps, les participants devaient classer chaque voix selon qu’elle leur apparaissait comme colérique, neutre ou joyeuse. La réalisation de cette tâche, suivie à l’aide de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, a permis d’identifier les zones cérébrales sollicitées par le processus de catégorisation.
Dans un deuxième temps,  les volontaires devaient décider si chaque voix était colérique ou pas, puis joyeuse ou pas. Dans ce cas, ce sont les zones sollicitées par la discrimination qui se sont allumées dans l’IRMf.
Les chercheurs ont ainsi pu constater que la catégorisation et la discrimination ne sollicitaient pas exactement la même région du cortex. Contrairement à la distinction entre la voix et les bruits de fond qui se situe dans le lobe temporal, la catégorisation et la discrimination sollicitent le lobe frontal, plus particulièrement les gyris inférieurs frontaux.

Zones cruciales
«Dans le cas de la catégorisation des émotions vocales, c’est la sous-région pars opercularis qui s’active et dans celui de la discrimination, il s’agit du pars triangularis, précise Didier Grandjean. Cette distinction est en partie due aux différences de connexions avec d’autres régions cérébrales que nécessitent ces deux opérations. Lorsque nous catégorisons, nous devons être plus précis que lorsque nous discriminons. C’est pourquoi les zones cruciales liées à l’émotion que sont la région temporale, l’amygdale et les cortex orbito-frontaux sont beaucoup plus sollicitées et connectées au pars opercularis qu’au pars triangularis.»
En d’autres termes, plus les processus liés à l’émotion sont complexes et précis, plus le lobe frontal et ses connexions avec d’autres régions cérébrales sont sollicités. Il y a donc une distinction entre le traitement des informations sonores de base (distinction entre bruits environnants et voix) effectué par la partie supérieure du lobe temporal, et celui des informations de haut niveau (émotions perçues, significations contextuelles) effectué par le lobe frontal.
«Sans cette zone, on ne peut plus se représenter les émotions de l’autre grâce à sa voix, on ne comprend plus ses attentes et on a de la difficulté à intégrer les informations contextuelles comme dans le sarcasme, conclut Didier Grandjean. On sait donc à présent pourquoi une personne victime d’une lésion cérébrale qui toucherait les gyris inférieurs frontaux et les régions orbito-frontales ne parvient plus à interpréter les émotions liées aux dires de ses pairs et peut donc adopter des comportements socialement inadaptés.» —