Nymphomanie

La nymphomanie en question : représentations médicales et culturelles dans Nymphomaniac I et II

par Manon Fonjallaz et Pierre Ritz

travail réalisé dans le cadre des mémoires de master de la Fac. de médecine de l’UniGe, semestre de printemps 2020

 

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Remarque liminaire: de la difficulté de nommer la nymphomanie

Dans ce travail, nous utilisons les termes nymphomanie et nymphomane comme synonymes de tous les termes historiques et actuels décrivant une pathologie féminine se traduisant par une activité ou un désir sexuel considéré comme étant au delà de la norme en terme de fréquence et inexpliquée par un autre état physiologique. Nous discuterons plus tard les dangers d’une telle définition: un désir considéré par qui? Les proches? Les médecins? La personne concernée? Nymphomanie regroupe les propositions diagnostiques suivantes: nymphomania (ICD-10 Version:2016, [en ligne], consulté le 11.11.2019); addiction sexuelle (Carnes, 2000); hypersexual disorder (Kafka, 2010); excessive sexual behaviour (Potenza et al., 2017); compulsive sexual behaviour (Kraus et al., 2018). Nous utilisons en revanche un terme spécifique d’un.e auteur.e lorsque nous nous référons à ses travaux.

Bien que le terme recoupe des phénomènes semblables, l’utilisation de “nymphomanie” pour qualifier virtuellement toutes les propositions diagnostiques actuelles et passées est discutable et nous en sommes conscients. Néanmoins nous pensons qu’il n’existe aucune formule dénuée de sens péjoratif, réducteur ou stigmatisant dans la littérature scientifique ou commune (voir fig.1). Nous argumentons qu’il est important de critiquer la construction de cette “maladie” plutôt que de chercher à modifier sa nomenclature ou certains de ses attributs afin qu’elle corresponde au carcan culturel de son époque.

 

Introduction

La nymphomanie est une entité qui mérite d’être étudiée. Comme l’écrivait Reary: “Though it is essentially mythical, creating a problem that need not exist, sex addiction has to be taken seriously as a phenomenon” (Reay et al., 2013). Nous argumentons qu’il s’agit d’une création sociale, morale et historique n’ayant pas lieu d’être, d’un mythe, d’une construction existant dans une mémoire collective (Reay et al., 2013; Groneman, 1994). Nous proposons d’utiliser deux films Nymphomaniac I et II de Lars von Trier, comme points d’ancrage du discours parfois volatile autour de l’existence de cette affection médicale. Ce dyptique contient de nombreuses représentations populaires de la nymphomanie et elle nous permet d’illustrer, de comprendre et de questionner les rouages et les enjeux derrière l’utilisation de ce terme d’une façon plus compréhensible et exhaustive qu’à l’aide d’un essai académique traditionnel.

 

La nymphe et le maniaque de Lars Von Trier

(Volume I. 00:00:36)

Von Trier scinde astucieusement son titre à l’aide de parenthèses faisant ainsi, en plus de la référence évidente à une vulve, apparaître les deux bases étymologiques composant la nymphomanie. D’un côté nymphe: “jeune fille gracieuse et bien faite; repli membraneux de la vulve; divinité féminine de l’antiquité greco-romaine, personnifiant divers aspects de la nature et représentée le plus souvent sous les traits d’une jeune fille nue”. (Larousse [en ligne], consulté le 11.11.19) et de l’autre côté maniaque: “qui est obsédé par quelques chose, qui s’attache avec un goût et un soin excessif à des détails”. (Larousse [en ligne], consulté le 11.11.19). Cette perspective permet de percevoir Joe, personnage principal,  comme une nymphe, par son aspect parfois surnaturel, divin, désintéressée par le fourmillement humain autour d’elle. “As a quite young nymph” (00:16:11) dit-elle en racontant sa propre histoire, ce qui, en plus de ses caractéristiques physiques, dans le premier volume lorsqu’elle est jouée par Stacy Martin, va de pair avec les représentations habituelles des nymphes en tant que “jeunes filles gracieuses”. Ainsi, cette perspective nous pousse à voir Seligman comme maniaque. Le deuxième protagoniste de l’histoire, reprenant en image négative le personnage de Joe, complète alors le titre de cette oeuvre. Il serait maniaque dans l’ajustement du moindre détail de la pièce, qu’il utilise afin d’y puiser de l’inspiration pour y construire une narration. De plus il vit dans un appartement d’aspect monastique, austère, comme débarrassé de toutes futilités. Cette perspective fait appel à une définition dérivant plus du sens commun que du médical. Mais elle est intéressante car elle gracie Joe, dé-criminalisant ses actions, en la peignant comme un être beau, pur, presque divin, supportant ainsi ses désirs de sexualité libre de contrainte, libre même d’érotisme, dénudant les pulsions sexuelles jusqu’à leur forme les plus simples. Ses peines et ses déboirs sont dûs aux autres, y compris Seligman qui, malgré ses airs empathiques, n’atteint pas cet état irréel d’être parfait, allégorique et tente de salir Joe dans cette scène volontairement choquante et inattendue de la fin du deuxième volume.

 

Classifications anciennes: de la fureur utérine à la nymphomanie

Il n’existe pas une définition claire de la nymphomanie au même titre qu’il n’existe pas une nymphomanie, mais plusieurs. Ce sont des constructions évolutives. Comme l’écrit Groneman: “Notions of insane love-accompanied by symptoms of uncontrolled sexuality and/or pining away for love-are as old as medical theory” (Groneman, 1994). Ainsi les dénominations changent de fureur utérine et folie de la matrice à nymphomanie vers le milieu du 17ème siècle en suivant un dénominateur commun qui est la peur d’une sexualité débordante (Berrios, 2006). La nymphomanie continue à se métamorphoser avec les normes sociétales et morales de son époque pour finir par être retrouvée aujourd’hui dans des débats les plus virulents entre psychologues, psychiatres, sociologues, sexologues, et autres professionnels. Le terme nymphomanie existe encore aujourd’hui dans la Classification Internationale des Maladies CIM-10 (ICD-10 Version:2016, consulté le 20.11.2019), qui reste avec le DSM-V, l’un des livres de référence du monde psychiatrique. De plus la perception de la nymphomanie a glissé du monde médicale vers l’imaginaire collectif: « The twentieth-century notion of a nymphomaniac is embedded in the popular culture: referred to in films, novels, music videos  and sex addiction manuals, as well as in locker rooms and boardrooms » (Groneman, 1994).

 

Classifications récentes: de l’addiction sexuelle à l’hypersexualité

Il n’existe pas de consensus sur ce qui est la nymphomanie ou comment la classifier en tant que pathologie moderne. Les années 1980 voient l’apparition du terme addiction sexuelle. On cite souvent Patrick Carnes comme penseur-phare de l’addiction sexuelle. Son livre Out of the Shadows, sorti en 1983 aux Etats-Unis dépeint des situations problématiques de personnes souffrant de leur sexualité. Si le concept d’addiction sexuelle fonctionne aussi bien c’est, sans doute, comme l’explique Janice Irvine, que “disease metaphors flourish when they resonate with broader cultural trends and anxieties” (Irvine, 1995). En effet le concept d’addiction sexuelle prend de l’ampleur avec la pandémie du SIDA et la peur des infidélités extra-conjugales ainsi que des relations homosexuelles. La peur de la femme mangeuse d’hommes coupable des infidélités des hommes mariés est un thème qui revient dans Nymphomaniac. Dans le premier volume, la scène de ménage avec Ms H., jouée par Uma Thurman, est évocatrice de ce sujet, et dans le deuxième volume, ces peurs sont encore plus claires lors de la convocation dans le bureau de la directrice où Joe explique le ressenti des autres employées en ces termes: “I suppose they are afraid that I can’t keep away from their man”.

(Volume II. 01:29:43)

Groneman et d’autres chercheurs ont avancé que le carcan puritain, principalement aux Etats-Unis, qui a entouré la sortie de Out of the Shadows, et l’engouement général qui s’en est suivi, a profité à l’expansion phénoménale de cette nouvelle métamorphose de la nymphomanie (Groneman, 1994; Bobrow, 2017). Cette période marque également la fin de la différence de nomination de genre en regroupant les termes nymphomanie et satyriasisme sous la catégorie commune des addictions sexuelles. Bien qu’aujourd’hui, on se soit éloigné de cette comparaison de nymphomanie comme addiction, il s’agit probablement de la dénomination la plus couramment utilisée respectivement dans le monde médical et commun.

Au tournant du 21ème siècle, l’absence de consensus autour du concept d’addiction sexuelle servant à rendre compte avec exactitude des similitudes avec les autres addictions, avec ou sans substance, pousse de plus en plus de professionnels à parler de la nymphomanie comme “Compulsion” (Kraus et al., 2018); Mick & Hollander, 2006). A nouveau le personnage de Joe explique un aspect problématique du terme addiction et pourquoi l’addiction sexuelle peine à rejoindre ses cousins des addictions avec substances. Toute addiction induit un état de sevrage ainsi qu’un besoin impérieux de re-consommer ce qui n’est que rarement le cas de patientes diagnostiquées de nymphomanie.

(Volume 1. 01:21.02)

Finalement autour des années 2010, un terme se voulant moins stigmatisant: “L’hypersexualité problématique” ou “hypersexual disorder” regroupe nombre de chercheurs tels que Martin P. Kafka, fer de lance de ce mouvement. Récemment, l’Association des Psychiatres Américains a mandaté un groupe de travail dirigé par Kafka afin de faire une proposition de modèle et de critères d’inclusion dans le but d’incorporer la nymphomanie sous la section Sexual Disorders avec le titre de hypersexual disorder (Kafka, 2010) pour le DSM-V. Cependant le Board of Trustees  de cette dernière a rejeté cette proposition pour deux raisons (Kafka, 2014). Premièrement, le manque d’évidences cliniques que le trouble hypersexué représente un syndrome distinct. Deuxièmement on lui a reproché les mauvaises utilisations possibles dans le domaine de la loi, spécifiquement aux Etats-Unis, dans la prise en compte de troubles psychiatriques chez les prédateurs sexuels.

 (Volume I. 01:20:57)

 L’évolution du concept de nymphomanie a été accompagné d’un basculement du regard. En devenant une maladie et non plus un vice moral, on en vient à plaindre l’individu, ce qui soulève de nombreuses problématiques. D’un point de vue juridique, en cas notamment d’agression sexuelle: comment devrait-on juger une personne souffrant de nymphomanie ayant commis un crime sexuel? De plus, plaindre les personnes ayant un désir sexuel hors norme, contribue à pathologiser certains comportements sains.

 

La nymphomanie: un phénomène en évolution

La nymphomanie, est en constante métamorphose. Nous allons discuter brièvement trois aspects structurant le discours et les représentations sur le sujet. Tout d’abord la morale et les moeurs, ensuite les contraintes sociales, puis les inégalités de genre face à cette maladie.

A l’image des moeurs, la nymphomanie change selon les époques et les lieux. Comme l’a écrit Irvine: “The invention of the sex addict does not speak to the discovery of an essential condition or type of person, but is rather the medical product of specific social and political circumstances” (Irvine, 1995). On pourrait modifier cette citation pour y rajouter: “medical, moral or religious product” car il y a eu dans l’histoire un basculement des détracteurs de ce phénomène avec un passation des pouvoirs d’investigation des défenseurs de la morale: de l’Eglise, le plus souvent, aux médecins. Ainsi l’histoire a vu émerger certaines figures emblématiques de la médicalisation de la sexualité féminine tel que le docteur Charles Brown Séquard, prédicateur de la clitoridectomie pour prévenir certains troubles psychiatriques. (Studd, 2007; Irvine, 1995).

Un second aspect particulièrement intéressant est le rapport qu’a la nymphomanie avec   les contraintes sociales. Cet aspect, qui va dans le sens de la subjectivité et la malléabilité des représentations de la nymphomanie, nous est apporté par Grubbs et al. dans plusieurs de leurs études sur des personnes s’auto-proclamant addictes sexuels. Ils montrent une corrélation forte entre religiosité et addiction sexuelle à la pornographie perçue par les individus. En d’autres termes, plus les règles entourant la sexualité sont strictes et contraignantes, plus vite les individu.es ont tendance à se percevoir comme ayant une sexualité problématique. La force des normes sociales dans la définition et la perception de l’addiction sexuelle est suggérée par cette étude et questionne le fondement scientifique de cette maladie. (Grubbs et al., 2015)

(Volume I. 00:08:04)

Concernant le genre et la nymphomanie, plusieurs aspects ont déjà été et/ou sont encore largement étudiés: “le double standard” par exemple avec des différences dans les perceptions de la sexualité suivant le genre, ou, comment l’écrit Endendijk et al “Traditionally, men/boys are expected to be sexually active, dominant, and the initiator of (hetero)sexual activity, whereas women/girls are expected to be sexually reactive, submissive, and passive.” (Endendijk et al., 2019). Cette méta-analyse récente montre qu’encore aujourd’hui, la société tend à condamner des pratiques sexuelles actives, épisodiques, plus volontiers chez des femmes que chez des hommes. Un deuxième aspect que nous allons discuter plus amplement sous le chapitre “Les dangers de la définitions” est le slut-shaming, qui est étroitement lié au double standard et à l’image d’une sexualité féminine épanouie.

(Volume I. 00:43:50)

Nous pouvons apercevoir un des effets néfastes de la pathologisation de la sexualité féminine à travers cette étude de Raymond et al. qui compare le nombre de partenaires sexuels différents sur une période de 5 ans entre des femmes et hommes auto-proclamés addictes sexuels : 59.3 pour les hommes contre 8 pour les femmes (Raymond, Coleman, & Miner, 2003). Cette différence nous suggère que la société dans son ensemble est plus à même de juger rapidement une femme ayant une fréquence de rapports sexuels supérieure à la moyenne, qu’un homme. Il existe ainsi des représentations controversées mais néanmoins actuelles vis-à-vis de la sexualité féminine, jonglant entre un besoin normal, sain, et un vice dégradant et dangereux. D’une façon plus générale, concernant la recherche genrée de l’hypersexualité problématique : « There is a dearth of studies in this area » (Kaplan & Krueger, 2010). Il est étonnant que relativement peu de chercheurs et chercheuses se soient intéressé.es à faire apparaître les différences de genre dans l’hypersexualité problématique, car il est probable qu’il y ait beaucoup à apprendre concernant les mécanismes et les biais autour de cette entité.

 

 

Les dangers de la définition

Comme toute pathologie médicale, la définition de la nymphomanie doit être la plus sensible possible pour inclure tous les potentiels patients et en même temps la plus spécifique possible pour en exclure les personnes saines. De plus, tout diagnostic entraîne des conséquences. Celles-ci peuvent être positives et amener une personne à développer une sexualité plus saine, mais il peut également s’en suivre une stigmatisation douloureuse, un traitement non-nécessaire ainsi que d’autres aspects néfastes dont nous discuterons plus amplement dans les paragraphes suivants. Pour ces raisons, l’ajout d’une nouvelle pathologie dans le monde médical suscite généralement des débats. Et ceci d’autant plus pour la nymphomanie qui a été et est encore teintée d’aspects moraux et religieux.

 

Renforcement du tabou sexuel

Un des risques de l’intégration de la nymphomanie dans le langage officiel médical est maintenir le tabou sur la sexualité. Nous argumentons que la recherche systématique d’une définition et son intégration en psychiatrie contribue à stigmatiser une sexualité saine. Cette validation scientifique augmente également la légitimité d’une demande de soin et d’un besoin de traitement à visée normative (excluant des pratiques moins conventionnelles, le BDSM par exemple, de la normalité), voire d’abstinence par l’individu lui-même ou même par ses proches et collègues (American Association for Sex Addiction Therapy | AASAT, consulté le 20.01.2020).

 

Pathologiser des comportements sains

Deuxièmement, définir la nymphomanie contribue à créer une forme d'épidémie de nouveaux diagnostics, non pas par l’augmentation de comportements sexuels problématiques mais par l’intégration large de comportements sexuels non conventionnels, classés comme pathologiques (Singy, 2010). Le double standard agit également dans ces définitions. Ainsi, selon Kasl, une nymphomane a un appétit sexuel démesuré afin de se sentir aimée et en sécurité. Ceci exclut de la normalité les relations sexelles sans but romantique ou matrimonial, le visionnage de contenus pornographiques ainsi que les pratiques sado-masochistes (Kasl, C. S., 1989). Pour une même sexualité, les femmes seront jugées nymphomanes alors que les hommes eux, resteront dans la norme.

 

Des traitements inadaptés

Troisièmement, il serait important de tirer un enseignement des débordements du passé découlant de la médicalisation de la nymphomanie. En effet au 19ème siècle, le clitoris était  par exemple considéré non seulement comme la source de la nymphomanie, mais encore de l’épilepsie, de l’excès de masturbation ou encore de l’hystérie. Ainsi, afin de guérir de ces atteintes, une clitoridectomie était recommandée et effectuée par certain.es gynécologues (Studd, 2007). Ces faits nous demandent d’aborder avec modestie nos théories et croyances qui pourront être vues comme excentriques, voire dangereuses dans les années à venir. Les traitements actuels de la nymphomanie sont adaptés de la thérapie en 12 étapes de l’alcoolisme (Ferri & Amato, 2006). Cette thérapie demande aux patient.es de participer à des groupes de soutien, d’être abstinent sexuellement et de limiter les objets suscitants les fantaisies.

Dans Nymphomaniac, Joe tente l’expérience de l’abstinence proposée par le groupe de soutien. Par ce moyen, l’objet de son addiction lui est enlevé mais également une partie intégrante de sa personnalité. Elle se rebelle ensuite contre ces mesures et quitte son groupe. Est-ce un abandon de traitement par déni de sa propre pathologie ou est-ce une conséquence de l’inadéquation de la thérapie? Comme à son habitude, von Trier reste nébuleux concernant l’assignation, ou non, de sa protagoniste à une affection médicale. Il pointe ainsi la non-définition diagnostique du monde médical à ce sujet. Il est cependant intéressant de relever que plusieurs études concluent que la dysfonction sexuelle et la nymphomanie sont des manifestations cliniques courantes chez les patients souffrant de dépression (Field et al., 2016). D’ailleurs, une théorie selon laquelle Joe souffre d’un syndrome dépressif est envisageable. En effet, elle apparaît seule, isolée, fatiguée et se dévalorise souvent “I’m a bad human being” (Volume I. 00:08:08). Ainsi traiter son addiction ne serait que traiter la conséquence sans la cause.

(Volume I. 01:23:45)

 

Le “Slut-Shaming”

Un des aspects les plus importants des conséquences de la pathologisation de la nymphomanie est la souffrance psychologique que peuvent éprouver certaines patientes diagnostiquées comme nymphomanes. Ce terme, pourvu d’une connotation péjorative, justifierait la condamnation exercée par certains hommes sur des femmes ayant une conduite sexuelle libérée. Ceci entre en concordance avec Link qui stipule: “An almost immediate consequence of successful negative labeling and stereotyping is a general downwarp placement of a person in a status hierarchy” (Link & work(s):, 2001) et pouvant mener jusqu’à l’exclusion du groupe. La stigmatisation d’une forme de sexualité féminine, produite par d’autres individus n’exprimant que leur avis personnel est un phénomène bien connu, et préexiste à la notion de nymphomanie. Lorsqu’il se rapporte à la sexualité féminine, il revêt un nom le “Slut shaming” ou “Slut bashing”, littéralement traductible de l’anglais par “humiliation des salopes”. Il s’agit d’une expression créé pour désigner cette pratique et est utilisée communément par les féministes. Dans la vie courante, la stigmatisation de la sexualité a déjà des conséquences notables. Parmis les plus graves, l'atténuation des sentences de personnes coupables de viols lorsque la femme était considérée comme sexuellement active, avait un historique de personne sexuellement libérée, ou avait une tenue jugée provocante (Grubb & Turner, 2012) (L’Armand & Pepitone, 2016).

Cet exemple de conséquence de stigmatisation résonne avec la dernière scène du film Nymphomaniac volume II  ou Seligman se sent légitime pour essayer d’avoir un rapport sexuel avec Joe alors que celle-ci dort. Lorsqu’elle le repousse, il lui répond: “You fucked thousand of mens” (Volume II, 02:52:56) comme si cela l'autorisait  à outrepasser son consentement.

(Volume II. 2:52:10)

Finalement, Il est préjudiciable aux femmes, d’ajouter une pathologie médicale à une sexualité féminine déjà condamnée.

 

 

Nymphomanie et sexualité saine

Santé sexuelle

L’OMS définit la santé sexuelle comme: “un état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité. Elle requiert une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui soient sources de plaisir et sans risque, libres de toute coercition, discrimination ou violence.” (OMS | Santé sexuelle, consulté le 02.04.2020)

Une définition aussi générale permet d'englober la sexualité de manière efficace mais possède certaines limites. Elle rend pathologique, par exemple, toute souffrance corrélée à la sexualité alors qu’il peut s’agir d’un problème tout-à-fait bénin, ou même d’un problème conjugal banal.

En partant de cette définition, une nymphomane peut vivre en parfaite santé alors qu’une autre peut entreprendre des rapports « normaux » en fréquence et pourtant pathologique en terme de consentement ou de mise en dangers graves pour la santé physique. Goodman, médecin en faveur de l'existence de la nymphomanie,  postule: “It is not the type of behavior, its object, its frequency, or social acceptability that determines whether a pattern of sexual behavior qualifies as a sexual addiction: it is how the behavior pattern relates to and affects the individual’s life.” (Goodman 1992).

De plus, concernant la santé mentale dans la sexualité, des désordres psychiatriques connus (dépression, anxiété, bipolarité, démence) ainsi que des traitements médicamenteux (les traitements contre la maladie de Parkinson) ou finalement l’utilisation de substances illicites (cocaïne, méthamphétamine) peuvent causer une nymphomanie. (Kaplan & Krueger, 2010).

 

Application à Nymphomaniac I et II

Dans le cas de l’héroïne du film, plusieurs pistes sont empruntées par le réalisateur. Joe est nymphomane et se revendique d’ailleurs comme telle. Cependant sa sexualité est-elle pour autant problématique? Elle l’est par le refus de céder aux jugements des autres, évaluant sa sexualité comme non-conforme aux normes établies, et non par la souffrance directement causée par sa sexualité.