Prix Maurice Chalumeau

Le «Prix senior Maurice Chalumeau 2022» a été décerné à Jérôme Laubner, pour la thèse de doctorat en littérature française qu’il a soutenue conjointement à l'Université de Bâle et à Sorbonne Université, sous le titre:

« Vénus malade, représentations de la vérole et des vérolés dans les discours littéraires et médicaux en France (1495-1633) »

Ce travail de thèse s’intéresse aux représentations, diffusées à partir de la fin du XVe siècle, d’une maladie vénérienne nouvelle : la « grosse vérole » (ou encore « syphilis »). Situé au carrefour des disciplines, cet essai se fonde sur un corpus de textes variés, en latin et en français, savants ou non, composés en France des débuts du fléau aux suites du procès de Théophile de Viau.
La thèse étudie pour commencer comment une topique a été construite autour de cette maladie afin de répondre à trois principaux défis. D’abord, le surgissement d’une maladie nouvelle pose de délicates questions lexicales : comment nommer une maladie nouvelle en France alors même qu’Italiens, Allemands et Anglais l’appellent, comme d’une seule voix, le « mal français » ? Ensuite, la nouveauté du mal est source de questionnements épistémologiques : comment définir, traiter et prévenir une affection inédite lorsque les savoirs des Anciens semblent faire défaut ? Enfin, le dernier défi qu’ont à relever les auteurs de la période étudiée est d’ordre moral et social : comment réagir face aux malades rebutants et honteux, victimes de la première épidémie vénérienne de l’âge moderne ?
Mais la thèse ne se contente pas de répertorier les récits, les figures, les mots et les défis qui émergent lorsqu’une société se trouve confrontée à une pandémie vénérienne. Afin de proposer une étude plus complète et plus fine des représentations de la vérole et des vérolés, cet essai analyse, dans une perspective chronologicothématique, comment la thématisation du stigmate vénérien a pu varier tout au long du siècle.
Enfin, la thèse s’achève sur le cas des recueils de poésie pornographique du premier XVIIe siècle que l’on appelle « satyriques ». Ces discours hétérodoxes font apparaître une posture poétique inédite : celle d’un « je » vérolé et fier de l’être, retournant le stigmate en trophée afin de résister aux normes sociales, morales et esthétiques. L’exploration des multiples manières de dire la vérole sur plus d’un siècle permet en somme de souligner la labilité du stigmate vénérien, sans cesse adapté aux situations dans lesquelles il est convoqué. Dans une démarche interdisciplinaire croisant histoire de la médecine, histoire littéraire, études de genre, de la sexualité et des émotions, cette thèse offre des clés de lecture pour penser les rapports érotiques menacés par la transmission pathologique, hier comme aujourd’hui, et mesure les répercussions d’une maladie sexuellement transmise sur une société chrétienne d’Ancien régime. La fascination et la répulsion suscitées par une maladie aussi déformante suggèrent combien l’écriture sur la vérole se trouve constamment en tension entre don et destruction des formes, composition textuelle et ravages somatiques, au point qu’on puisse dire que tout le paradoxe de notre corpus est de construire sans relâche chez les lecteurs le désir de voir une maladie immonde.

  • J. Laubner, « Des malades “en ame, et corps horrible[s]” : représentations et usages du dégoût dans les écrits liés à la vérole à la Renaissance », dans Jusqu’à la nausée. Une approche pluridisciplinaire du dégoût aux époques moderne et contemporaine, dir. Laura Bordes, Ilona Carmona, Pierre Léger, Mathilde Mougin et Emmanuel Porte, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2022, p. 127-138.

  • J. Laubner, « Écrits de cures : les thérapeutiques contre la vérole dans les discours médicaux et littéraires du XVIe siècle », dans Corps, Genre, Santé, dir. Nicolas Balutet et André-Alain Morello, Arcidosso, Effigi Edizioni, coll. « Transverses » du Laboratoire Babel de l’Université de Toulon, 2021, p. 113-130.

  • J. Laubner, « La “chair molle” de la vérole : réflexions sur une virilité vérolée », dans Mollesses renaissantes, dir. Daniel Maira, avec la collaboration de Freya Baur et Teodoro Patera, Genève, Droz, coll. « Cahiers d’Humanisme et Renaissance », 2021, p. 113-131.

  • J. Laubner, « Les contours fluctuants de l’altérité vérolée dans les écrits médicaux français (XVIe-XVIIe siècle) », RHR, n° 94 (2022/1), p. 89-108.

  • « Vérolés mutilés, vérolés évirés dans les discours littéraires et médicaux (XVIe-XVIIe siècle) » dans le cadre du colloque international Textes et corps sous le scalpel : pratiques de la mutilation en France (1500-1800), organisé par Daniele Maira, Sofina Dembruk et Ioana Manea, Universität Göttingen, 9-11 juin 2022.

  • « Composer avec l’hétéroclite : la grosse vérole comme objet culturel polymorphe (1495-1630) », dans le cadre de la journée d’études internationale Faire l’histoire de la médecine à l’époque moderne. Sources, méthodologies, identités, organisée par Elisa Andretta, Francesco Baldanzi, Rafael Mandressi et Stefano Tomassetti, à l’Université Lyon II-Lumière, 23 septembre 2021.

  • « Les vérolés sont-ils des malades comme les autres ? » dans le cadre de la journée d’études Les miroirs d’Hippocrate. Médecine et altérité des origines à nos jours, organisée par Guillaume Linte, Roberto Poma et Sofia Zuccoli à l’Université Paris-Est Créteil, 26 mai 2021.

  • « La syphilis au prisme du genre dans les écrits médicaux de la première modernité » dans le cadre du colloque international Genre et santé, organisé par Anaïs Choulet, Thomas Crespo et Claire Grino, Université Lyon I, Université Lyon III et ENS de Lyon, 4-6 avril 2019.


Vidéo de présentation du Prix senior Maurice Chalumeau 2022