Le collectif au travail dans l’accompagnement des stages : Former sur la place de travail dans les domaines HES du travail social et de la santé / Dominique Trébert, HETSL/HES-SO et Marianne Zogmal, HETSL/HES-SO et UNIGE / 10 10 2023
Retour sur la conférence de Dominique Trébert & Mariane Zogmal du mardi 10 octobre 2023
Par Daniele Beltrametti, Equipe I-ACT, Université de Genève
La recherche présentée s’inscrit dans l’imbrication entre travail, formation et langage et plus spécifiquement dans le champ de l’analyse interactionnelle, avec une analyse en profondeur de l’activité de praticien-ne formateur-trice (PF) quand ils et elles sont en contact avec les bénéficiaires/patient-es et les étudiant-es HES qu’ils/elles accompagnement, notamment en situation de travail. Les enjeux sous-jacent à l’étude concernent en particulier les conditions réelles de l’accompagnement en formation sur la place de travail, la co-production de savoirs spécifiques, la reconnaissance de la spécificité de l’activité des PF et des collectifs, la contribution à l’aménagement des dispositifs de formation, le développement de l’alternance et la contribution au dialogue entre chercheurs.euses et professionnel-les.
Les lieux concernés par l’étude sont tous lausannois, dont par exemple le CHUV, la HES-SO ou la Fondation la Rambarde. Quatre axes de questionnement ont traversé la recherche : l’interindividuel (binôme étudiant-e et PF), le collectif (quand l’accompagnement est distribué dans les équipes, y compris les cadres), les variations et récurrences entre le travail social et la santé ainsi que la transposition des résultats dans la formation des PF.
Dominique Trébert et Marianne Zogmal partent du constat que la formation « en alternance » implique des dilemmes persistants. La diversité des définitions de l’alternance, présentée lors de leur conférence, met en évidence la difficulté d’appréhender cette forme spécifique de formation, en particulier pour ce qui concerne les liens, les antagonismes, l’interdépendance et l’imbrication entre « pratique » et « théorie ».
Sur les plans méthodologique et épistémologique, leur travail de recherche consiste en l’analyse de l’interaction en pratique réelle de travail avec une attention particulière pour les processus fins de coordination et d’ajustements réciproques entre les actrices et acteurs concerné.es. Cette analyse s’appuie sur l’observation systématique des processus d’interaction, avec une démarche vidéo-ethnographique (présentation de l’étude ; immersion et construction des situations négociées ; consentements éclairés ; usage de la vidéo et de transcriptions détaillées et retours auprès des PF). Le corpus de 172 heures d’enregistrements vidéo réalisés entre 2020 et 2022 couvre à la fois le travail social et les soins infirmiers, impliquant 6 PF et 5 stages en santé et 8 PF et 7 stages en travail social.
La conférence s’est ensuite concentrée sur trois études de cas spécifiques, en partant de deux questionnements généraux : comment se déploient les pratiques d’alternance dans la réalité du travail et de la formation ? Quelles ressources les participant·es à l’interaction mobilisent-ils·elles dans les situations observées pour s’ajuster mutuellement ?
Le premier exemple portait sur un échange en entretien tripartite entre PF, enseignante et étudiante, autour de la délégation de la surveillance observée dans une situation précédent l’entretien. Cet exemple a permis de montrer comment les focales des acteur·trices en interaction portent à la fois sur la formation, sur la réalisation de l’objectif des soignant·es et sur le travail. Des ressources sémiotiques (regards, sourires, positionnement du corps, etc.) qui vont bien au-delà du langage sont mobilisées pour construire cette hybridité. Tout cela montre de quelle manière les acteur·trices en présence négocient la cohérence entre les deux contextes de formation que sont l’école et le lieu de travail/stage.
Le second exemple a présenté une micro-séquence (22 sec) d’une activité d’un centre d’insertion professionnelle pour des jeunes avec difficultés d’apprentissage et troubles associés (atelier de préparation de skis). Les acteurs concernés étaient un étudiant en premier stage, un jeune en formation et un PF. Les interactions montraient l’imbrication entre trois niveaux d’activité : une tâche de production (aiguillage des skis), une tâche d’action socioprofessionnelle dans la formation du jeune et l’accompagnement de l’étudiant HES par le PF. L’analyse de ces interactions dévoilait comment les acteurs arrivent à négocier l’imbrication entre ces trois niveaux, en passant par le geste d’aiguisement et par la parole (qui illustre et commente le geste), tout en distribuant de manière négociée les rôles et les actions des uns et des autres.
La dernière séquence présentait une interaction entre une étudiante en travail social et une jeune adolescente accueillie dans un foyer d’urgence qui s’engageaient ensemble pour faire la lessive. Cette activité se déroulait avant le départ de de l’adolescente dans un autre foyer. L’étudiante ne savait pas utiliser la machine à laver et la jeune adolescente n’avait quant à elle pas la clé pour accéder à la buanderie. Les deux personnes ont été amenées à interagir pour collaborer.. Cette situation permet de montrer la négociation de plusieurs enjeux interactionnels, au niveau des savoirs (faire la lessive), du positionnement (l’étudiante en tant qu’adulte) et des émotions (légitimité et reconnaissance réciproque). Faire la lessive s’inscrit ainsi dans une trajectoire de formation et demande une certaine prise de risque pour une personne qui ne sait pas encore faire, mais qui apprend en cours de route, grâce à une présence rassurante du PF qui est externe à l’interaction mais qui constitue un soutien potentiel à l’activité autonome. Dans ce cas, la jeune adolescente elle-même contribue à créer une activité qui est formative pour l’étudiante.
En conclusion, Dominique Trébert et Marianne Zogmal proposent de passer du concept d’« alternance » au concept d’« hybridité », dans lequel s’imbriquent différentes tâches (production, formation, accompagnement, etc.) et qui concerne à la fois l’interindividuel et le collectif. Le concept d’hybridation permet de ne pas penser les processus comme étant séparés, distincts, mais imbriqués entre eux dans tous les moments de la formation.
L’analyse des interactions constitue quant à elle une ressource pour la formation mais aussi pour la recherche, les deux pouvant s’enrichir mutuellement. Cela permet de valoriser et d’identifier les points de vue des intéractant-es, les méthodes employées, l’imbrication des activités hybrides et les situations singulières.
La dernière partie de la conférence consacrée aux questions-réponses a permis de souligner l’impact que pourrait avoir cette étude sur la révision en cours du CAS de PF, qui entrera en vigueur en septembre 2025. Des PF présent-es ont également témoigné de leurs prises de conscience sur l’imbrication dans leur activité des dimensions de formation, d’encadrement, de production et d’accompagnement. A l’issue de cette conférence, la dimension collective de la formation sur le lieu de travail ressort comme un enjeu important dans le domaine des HES mais aussi pour l’avenir du système de formation dual.
Résumé de la conférence
La présentation s’appuie sur une recherche financée par le Fonds National Suisse de la recherche scientifique (FNS) et porte sur les dimensions collectives de l’accompagnement tutoral dans les domaines des HES en travail social et de la santé. Cette étude s’inscrit dans le prolongement des travaux menés durant plusieurs années au sein de l’équipe Interaction et Formation à l’université de Genève. Il y a près de 10 ans, dans le cadre d’une intervention réalisée dans le contexte du RIFT, la question suivante avait déjà été posée : que font les tuteurs au cœur des pratiques de travail et de formation ? La revue de littérature dense sur cette question apporte des réponses multiples et pointe notamment que les formes tutorales sont organisées, collectives et langagières. Pour autant, la question de la visibilité de l’activité de ces travailleuses et travailleurs de l’ombre demeure d’actualité. En adoptant une perspective située et interactionnelle d’inspiration ethnométhodologique, la conférence vise à mettre à jour ce qui est accessible à l’œil nu sans être immédiatement repéré, à savoir « seen but unoticed » (Garfinkel, 1967). Il s’agira en particulier de proposer une réflexion sur la part de l’hybridité dans l’activité tutorale omniprésente au cœur des situations de travail et de formation. En s’appuyant sur quelques extraits de corpus, la conférence revisitera quelques-unes des situations observées et permettra d’échanger sur les potentielles recommandations pour la formation. En quoi l’analyse des interactions peut-elle par exemple constituer une ressource pour les personnes concevant les dispositifs, les formateurs et formatrices et les milieux professionnels engagés dans les dispositifs de formation ?
Le conférencier et la conférencière
Dominique Trébert travaille en tant que professeur HES associé à la Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL/HES-SO). Il dirige actuellement une recherche FNS portant sur les dimensions collectives de l’accompagnement en formation. Il est Docteur en Sciences de l’éducation de l’Université de Genève.
Marianne Zogmal travaille en tant collaboratrice scientifique à la Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL/HES-SO) ainsi qu’à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education de l’Université de Genève. Elle est Docteure en Sciences de l’éducation de l’Université de Genève.
Leurs travaux de recherche concernent la formation professionnelle dans les champs de l’éducation de l’enfance, du travail social et la santé. Leurs intérêts portent sur l’alternance, le tutorat, l’analyse de l’activité des praticien-nes formateur-trices dans le contexte HES, sur les liens entre interaction, travail et formation et sur les apports d’une perspective interactionnelle pour la formation professionnelle.