Se faire des films
Par Annie Goudeaux, équipe CRAFT, RIFT, Université de Genève
Janvier 2022
L’usage de la vidéo en formation des adultes est de l’histoire ancienne. Dès que des caméras grand public ont été disponibles sur le marché, les formatrices et les formateurs ont utilisé ce matériel à des fins d’apprentissage lors de séances dites d’autoscopie destinées à des apprentis formateurs. Les images permettaient de ramener au présent des images d’un passé récent en vue de modifier une pratique future. Le plus souvent la caméra était fixe, les images qui n’avaient aucun objectif esthétique avaient pour fonction de pouvoir revenir à l’envi sur une situation désormais disparue. Le matériel était lourd et encombrant, le plus souvent les images étaient en noir et blanc. Depuis, le matériel technique a beaucoup évolué et s’est numérisé. Chacun.e d’entre nous porte avec soi sa caméra miniaturisée, l’une des fonctions de nos téléphones portables.
Notre intention n’est pas de passer en revue la totalité des pratiques sociales des formatrices et des formateurs d’adultes vis à vis des outils audiovisuels. Chacun de nous sait que ces activités de formation sont étroitement liées aux évolutions techniques de ce secteur et que ces pratiques se diversifient que ce soit à des fins éducatives ou d’apprentissage comme les tutoriels, ou les retours réflexifs permis par la capacité des images de traverser et de perdurer dans le temps, c’est-à-dire de regarder au présent des images de situations passées à des fins de transformation de manières de faire dans le futur. La recherche en formation des adultes est aussi fortement investie par des pratiques filmiques, comme d’autres disciplines, l’ethnologie visuelle, l’anthropologie visuelle, la sociologie visuelle notamment.
Ce constat nous conduit à nous demander si les images utilisées à des fins formatives, éducatives, transformatives doivent obligatoirement retracer, restituer de la manière la plus fidèle possible une situation antérieure dans le but de la montrer, de la visibiliser simplement grâce au procédé technique de capture et de mise en mémoire des images animées ?
Nous proposons la question suivante : en quoi raconter des histoires, imaginer un récit à partir d’images filmées dans un contexte social choisi, professionnel ou non, comme dans le film documentaire, est-il prometteur de transformations de l’expérience de celles et ceux qui regardent le film, ainsi que de celles et ceux qui le réalisent ? Autrement dit, est-ce que le processus fictionnel rendu possible par le montage des rushes produisant une narration, une mise en récit d’épisodes filmés, possède un potentiel éducatif ? Et si « débrayer de la vie courante » grâce à des images animées et ayant fait l’objet d’un montage permettait de la changer, de la transformer ?
Il faut pour cela que le documentaire tienne en tension à la fois des images fidèles et significatives de l’activité humaine concernée et leur scénographie sous forme de mise en récit grâce au montage. C’est grâce au découpage des rushes, au nouvel ordonnancement choisi par le réalisateur qui effectue une sélection et peut intentionnellement faire percevoir l’activité plutôt que de montrer ou observer l’activité.
Il s’agit en quelque sorte, grâce au montage et de manière exigeante, de partager l’invisibilité qui caractérise toute activité humaine, en invitant le spectateur à se plonger dans l’activité de l’acteur présent sur les images, à la rejoindre en quelque sorte.
C’est en grande partie sur ce processus mimétique, ce mouvement individuel-collectif qui lui est lié que s’appuient les potentiels effets transformateurs de l’activité et l’accomplissement du but éducatif porté par le documentaire tel que nous le proposons sous forme de cours- atelier depuis 2018 dans le cursus du Master en formation des adultes.
L’objectif est d’équiper les futur.es formatrices et formateurs de compétences de documentariste pour leur permettre d’élargir leurs futures offres d’environnements éducatifs-formatifs et/ou de recherche en formation et de fournir éventuellement des ressources audiovisuelles à des formateurs intéressés par des thématiques et les réalisations filmiques produites.
A ce jour environ 20 documentaires sont déposés sur le site Mediaserver de l’Université de Genève. Ces films sont également valorisés dans les pages dédiées du site du Laboratoire RIFT. Ils sont ordonnés par année et par thématiques, ces dernières faisant l’objet d’un synopsis.
En conclusion, nous faisons le pari que Se faire son cinéma constitue un moyen de former autrement et d’ouvrir sur des potentiels développementaux de l’activité humaine y compris celle des formatrices et des formateurs d’adultes.