11 novembre 2021 - Alexandra Charvet

 

Analyse

Les bienfaits de la «néandertalitude»

Professeur au Collège de France, Lluís Quintana-Murci sera l’invité de la Fondation Latsis pour une conférence le 16 novembre prochain. Ses travaux de génétique humaine apportent des réponses aux questions universelles sur notre origine et notre identité.

 

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 Crânes d'Homo sapiens et d'Homo neanderthalensis. Vues de côté. Image: S. Blackbird/Alamy

 

Vingt ans après le séquençage du génome humain, les données génomiques disponibles sur les différentes populations qui peuplent le monde permettent de dresser un portrait étonnant de la diversité génétique humaine, et ce, avec un niveau de résolution sans précédent. En utilisant les analyses les plus modernes de l’ADN, il est notamment possible de mieux comprendre l’histoire des migrations humaines, de la sortie de l’Afrique il y a plus de 60’000 ans au peuplement de la Polynésie il y a quelques millénaires. Biologiste franco-espagnol de renommée mondiale, Lluís Quintana-Murci donnera une conférence sur les migrations et les métissages d’Homo sapiens, le mardi 16 novembre, à l’occasion de la soirée organisée en l’honneur des lauréat-es des Prix Latsis universitaires 2020 et 2021. Entretien.


LeJournal: Votre récent ouvrage «Le peuple des humains» emmène les lecteurs/trices sur les traces génétiques de nos origines. Jusqu’où peut-on remonter la piste?
Lluís Quintana-Murci
: Ces vingt dernières années, les recherches en génétique humaine ont complètement changé notre manière de voir qui nous sommes. Partis d’Afrique hier – 60’000 ans, ce n’est rien d’un point de vue évolutif –, nous n’avons eu de cesse de nous métisser lors de notre migration à travers le monde, y compris avec des humains dits archaïques, tels que les hommes et les femmes de Néandertal. C’est grâce à cet héritage que nous avons pu nous adapter aux différents environnements climatiques, aux différentes ressources nutritionnelles disponibles et aux différents pathogènes rencontrés. Nous ne sommes pas autre chose que le résultat de notre histoire, de nos migrations et de nos adaptations passées.

En quoi consiste notre héritage néandertalien?
L’étude de l’ADN génomique, notamment de l’ADN provenant de fossiles, a montré que 2 à 2,5% du génome des populations non africaines est d’origine néandertalienne. Notre laboratoire, en particulier, a montré que cet apport avait aidé nos ancêtres à survivre aux maladies infectieuses. Nos travaux visent maintenant à comprendre comment notre profil génétique, mais aussi notre mode de vie, notre alimentation ou notre microbiote font que nous réagissons différemment face à certaines maladies infectieuses.

Sait-on quelles parties du génome sont concernées?
Cet héritage est réparti dans différentes régions du génome. Certaines parties en sont complètement dépourvues, ce qu’on appelle les «déserts néandertaliens». Cela indique que le mélange n’était pas avantageux dans ces régions. Notre génome a cependant accepté cette introgression – le transfert de gènes d’une espèce vers une autre espèce – dans d’autres parties, comme celles impliquées dans l’adaptation au froid par exemple. N’oublions pas que les premiers humains arrivés d’Afrique n’étaient pas adaptés au climat et aux pathogènes européens, au contraire de l’homme et la femme de Néandertal qui étaient sur place depuis 300’000 ans. Quoi de mieux alors pour Homo sapiens que d’acquérir ces mutations à travers le métissage au lieu d’attendre leur arrivée selon un schéma évolutif classique? Cette «néandertalitude» a été avantageuse pour lutter contre certaines maladies, notamment les maladies virales causées par les virus à ARN comme la grippe. Mais certains cadeaux peuvent être empoisonnés: une séquence de notre génome, héritée de Néandertal et présente chez 16% des Européen-nes, augmente de 60% les risques de développer un covid sévère et d’être hospitalisé-e. La majorité de la «néandertalitude» est avantageuse pour notre survie, sinon elle aurait été purgée du génome, mais cette partie spécifique n’a pas été éliminée, la maladie n’existant pas auparavant. Des études ont toutefois montré qu’une autre séquence génomique, présente chez 30% des Européen-nes, diminue d’environ 20% les risques de développer un covid sévère.

Que penser de la multiplication des tests ADN généalogiques à laquelle on assiste à l’heure actuelle?
Au début, j’étais très sceptique car certains de ces tests visaient à indiquer les risques de développer certaines maladies, comme le diabète ou la schizophrénie alors que les mutations qui y sont associées ne sont pas clairement définies. Il me semble par ailleurs inconcevable de recevoir un tel résultat sans qu’il soit accompagné d’un avis médical. Mais je n’ai rien contre les tests qui permettent de retrouver ses origines. Il s’agit pour moi de génétique «récréative».

Quelles sont les limites de tels tests?
Ils donnent une idée générale des ancêtres d’un individu, mais il y a une différence notable entre l’identité que l’on porte en tant qu’individu «culturel» et l’identité «génétique», c’est-à-dire ce que racontent les gènes de nos ancêtres. Ces tests sont très répandus aux États-Unis, une population jeune qui n’est arrivée sur place que depuis 400 ou 500 ans et où beaucoup cherchent à savoir d’où ils viennent. En Europe, nous sommes moins portés vers ce genre de choses. Quant à la question de savoir s’il est dangereux de livrer son ADN à des entreprises privées, je dis toujours que s’il ne faut pas glorifier la génétique comme si elle était la solution à tout, il ne faut pas non plus la diaboliser. Si les assurances savent que plusieurs membres de ma famille ont eu un cancer, elles vont de toute manière émettre des réserves à mon égard. Il ne s’agit donc pas d’une question liée aux données génomiques, mais au respect du secret médical et de l’éthique.

SUR LES TRACES ADN DES MIGRATIONS ET DES MÉTISSAGES D’HOMO SAPIENS

Conférence de Lluís Quintana-Murci, professeur au Collège de France et à l’Institut Pasteur, à l’occasion de la remise des Prix Latsis universitaires 2020 et 2021

Mardi 16 novembre 2021 | 18h | Sur inscription à Uni Dufour, salle U600 ou en ligne

 

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