29 septembre 2021 - Jacques Erard

 

Analyse

L’histoire comme remède aux polémiques sur la vaccination

Alors que la vaccination fait l’objet d’un débat très clivant, la Maison de l’histoire et l’Institut Éthique Histoire Humanités organisent, dès le 7 octobre, un cours public sous forme de conférences visant à dépasser les dichotomies et à réintroduire de la complexité dans la discussion.

 

 

vaccination-J.jpg

Fabrication de vaccins à grande échelle en Angleterre dans les années 1960. Photo:
Wellcome Library, London.


Pour comprendre pourquoi, le 23 septembre dernier, l’ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira déclare qu’elle n’a pas vocation à appeler les Guyanais à se vacciner, alors que la situation épidémique se dégrade dans l’ancienne colonie française, il peut être utile d’avoir en tête la relation illégitime qui s’est nouée à certaines époques entre les politiques de santé publique et l’entreprise colonialiste. Face à l’urgence de la crise et aux réactions virulentes qu’elle suscite, l’arrière-plan historique incite à prendre du recul. Il offre des clés de compréhension et permet de dégager un espace propice à une discussion sereine, là où citoyennes et citoyens se sentent contraint-es de choisir leur camp.

 

Le cours public «Les vaccins: toute une histoire!», organisé cet automne par la Maison de l’histoire (MdH) et l’Institut Éthique Histoire Humanités (iEH2), s’inscrit dans cette démarche. À travers cinq rencontres thématiques avec des spécialistes de différentes disciplines, il couvrira trois siècles de lutte contre les épidémies, des premières expériences d’inoculation à l’ARN messager. Il reviendra également sur les multiples questionnements qui ont, dès le début, accompagné cette aventure médicale: a-t-on le droit d’inoculer le mal pour faire le bien? Peut-on faire confiance aux vaccins et à celles et ceux qui les promeuvent? Quelles ont été, dans le passé, les réactions des populations face à la vaccination et à l’émergence de virus comme la rougeole ou la variole?

Dès le milieu du XVIIIe siècle, le débat s’instaure à propos de l’inoculation mise au point pour lutter contre la variole. Cette technique, consistant à prélever du pus sur un sujet atteint et à l’introduire chez un individu sain en pratiquant une incision, donne des résultats pour le moins mitigés. Mais surtout, «elle s’inscrit dans un contexte social marqué par des relations coloniales, de domination, où les populations sont rarement consultées pour donner leur avis», explique Sébastien Farré, directeur exécutif de la MdH et co-organisateur de ce cycle de conférences avec Francesca Arena, maître-assistante à la MdH et à l’iEH2, Alexandre Wenger, professeur à l’iEH2, et Audrey Hansen, collaboratrice de la MdH.

«À Genève, l’inoculation est pratiquée sur de riches patriciens, favorables aux progrès médicaux issus des Lumières, observe Alexandre Wenger. Mais aussi, pour des motifs plus discutables, sur des enfants orphelin-es sélectionné-es au sein de l’Hospice général à qui on ne demande pas leur avis.» Les recherches menées par Francesca Arena sur les campagnes de vaccination de l’Institut Pasteur en Algérie, au début du XXe siècle, montrent, de leur côté, comment le gouvernement français impose le monopole de l’Institut, alors même que ses vaccins s’avèrent moins efficaces que ceux développés durant la même période dans le laboratoire de Lausanne Félix et Flück. Que ces débuts inspirent de la méfiance auprès des populations n’est guère étonnant. Les réactions hostiles à la vaccination, qui se manifestent dès le début du XIXe siècle en Angleterre, procèdent ainsi d’une longue histoire, dont le mouvement «antivax» est aujourd’hui le prolongement.

 

Avis divergents au sein du corps médical

Au scepticisme sur l’efficacité des vaccins et sur les intentions des gouvernements qui les promeuvent s’ajoutent, au sein du corps médical, des oppositions au nom de l’intégrité corporelle notamment. «Certains médecins ne sont pas favorables à la vaccination, ce qui amène à considérer ces réactions d’hostilité non seulement sous l’angle d’un débat très politisé au sein de la société civile mais aussi d’un débat savant», ajoute Francesca Arena.

Cette perspective historique apporte en outre un éclairage intéressant sur l’évolution des opinions publiques à l’égard du progrès et de l’expertise scientifiques, alternant espoir et scepticisme dans une dynamique d’adhésion plus ou moins affirmée au fil du temps. Elle incite également à relativiser l’ampleur et le caractère inédit prêtés actuellement au mouvement d’opposition à la vaccination, qui bénéficie d’une importante couverture médiatique et de la viralité propre aux médias sociaux. Si l’on en croit une enquête menée en novembre 2020 par le Baromètre scientifique suisse, la gestion de la pandémie de covid n’aurait pas entamé le crédit accordé par la population à la science, celui-ci aurait même légèrement augmenté.

 

Les vaccins: toute une histoire!
Dès le 7 octobre

Avec :
Anne-Marie Moulin (Université de la Sorbonne)
Gaëtan Thomas (Sciences Po Paris)
Françoise Salvadori (Université de Bourgogne)
Laurent-Henri Vignaud (Université de Bourgogne)
Laurence Monnais (Université de Montréal)
Antoine Flahault (UNIGE)
Michael Balavoine (Revue Médicale Suisse)

Programme complet

 

L'histoire de la vaccination en images

 

Melingue_Jenner_peint.jpgpasteur.jpg951_a.jpgnlm nlmuid-101458843-img-s.jpg0057.jpg0529.jpg

 

Analyse