19 octobre 2023 - Melina Tiphticoglou

 

Analyse

«L’air intérieur compte souvent plus de polluants que l’air extérieur»

La qualité de l’air intérieur a un impact significatif sur la santé, la productivité et le bien-être. Cependant, de nombreux bâtiments ne bénéficient pas d’une ventilation suffisante ni de mesures permettant d’assurer un bon environnement intérieur. Cette question de santé publique a fait l’objet d’une première conférence internationale.

 

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Une étude menée durant la pandémie de Covid-19 dans 350 écoles du canton des Grisons a révélé que 60% des classes examinées étaient très mal ventilées. Photo: G. Bally/Keystone


Du logement à l’école ou au bureau, en passant par les transports publics, le restaurant, le théâtre ou l’hôpital, nous sommes enfermé-es 90% de notre temps dans des lieux où le contrôle de la qualité de l’air fait souvent défaut. Mise en lumière par la pandémie de Covid-19, cette problématique a fait l’objet d’une première conférence internationale qui s’est tenue le 20 septembre dernier, à Berne. Cet événement, qui a réuni des spécialistes, des universitaires et des élu-es, était organisé par le bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé et l’Institut de santé globale de l’UNIGE que dirige le professeur Antoine Flahault. Entretien.

 

LeJournal: Pourquoi la qualité de l’air intérieur est-elle importante?
Antoine Flahault: L’air intérieur compte souvent plus de polluants que l’air extérieur, car les sources y sont plus nombreuses. Dans un logement privé, par exemple, on va trouver une fraction de la pollution extérieure, des polluants liés à l’activité humaine tels que les restes de cuisine ou les composés chimiques du quotidien et enfin, les polluants liés au bâtiment tels que le plomb ou l’amiante. Comme nous inspirons environ 20 fois par minute, nous inhalons de grandes quantités d’air quotidiennes (plus de 14’000 litres par jour). Une mauvaise qualité de l’air intérieur peut donc fortement affecter notre santé.

De quelle manière?
De nombreuses maladies infectieuses, le covid, mais aussi la grippe, la rougeole ou la tuberculose, se transmettent principalement à l’intérieur par les aérosols de notre respiration. Ce sont des particules fines de quelques microns que nous émettons en respirant et en parlant, et qui, si la pièce n’est pas bien ventilée, vont flotter dans l’air pendant plusieurs minutes et parfois même quelques heures, exactement comme les nuages de la fumée de tabac. S’ils sont émis par une personne infectée, ces aérosols peuvent alors être contaminés par ses virus ou ses bactéries et infecter d’autres personnes dans la pièce. Pour ces virus respiratoires, ce mode de transmission prédomine largement, les contaminations par les mains ou les surfaces restant anecdotiques.

S’agit-il des seuls risques?
Non. Les meubles, les produits de nettoyage, les moquettes peuvent émettre des particules toxiques pour l’organisme et causer, entre autres, de l’asthme et certaines maladies chroniques respiratoires, des maladies cardiovasculaires ou augmenter les risques de cancer. La mauvaise ventilation des locaux, malheureusement très fréquente, entraîne quant à elle une baisse des facultés intellectuelles, allant de la somnolence à l’amoindrissement de la performance scolaire, associée bien sûr à une augmentation de l’absentéisme scolaire et professionnel. Une étude menée durant la pandémie de Covid-19 dans 350 écoles du canton des Grisons a révélé que 60% des classes examinées étaient très mal ventilées. Or, on vient de le voir, lorsque l’air intérieur n’est pas correctement renouvelé dans une classe, les performances scolaires sont moins bonnes. Ces résultats sont donc particulièrement préoccupants.

Comment améliorer cette situation?
Il faut déjà mesurer le phénomène en permanence et donc installer des capteurs de dioxyde de carbone (CO2), car ce gaz est un bon indicateur indirect de la qualité de l’air intérieur. Les taux doivent être maintenus entre 400 ppm (parties par million) – ce qui correspond à la valeur de l’air extérieur – et 800 ppm. Au-delà, il faut ouvrir les fenêtres ou augmenter la ventilation lorsque c’est possible.

Et si la pièce ne permet pas une bonne ventilation?
Il faut alors recourir à des purificateurs d’air. Il en existe deux grands types. Les premiers sont équipés de filtres HEPA (pour high-efficiency particulate air) qui filtrent l’air de ses particules fines. De cette manière, même si, en raison du manque de ventilation, les valeurs de CO2 atteignent les 2000 ppm, ce qui ne restera pas optimal pour le cerveau, l’air respiré ne sera au moins pas trop chargé de particules fines éventuellement contaminantes. Le second type est le purificateur à rayons ultraviolets de type C (UVC). Il s’agit de lampes UVC fixées au plafond qui irradient et stérilisent l’air des contaminations bactériologiques et virales.

Faut-il de nouvelles normes pour introduire ces dispositifs?
Les normes actuelles semblent suffisantes mais ne sont pas assez appliquées. Les nouveaux bâtiments sont tenus de les respecter et la ventilation y est, en général, de très bonne qualité lors de leur livraison. Cependant, ces systèmes nécessitent une maintenance: il faut changer les filtres régulièrement, vérifier que la ventilation mécanique fonctionne bien, la réajuster lorsque les locaux changent de fonction, que des parois ou des meubles modifient la circulation de l’air, etc. Or, ce suivi et cette surveillance ne sont généralement pas correctement réalisés et, très vite, la situation se dégrade. Par ailleurs, les contrevenant-es ne reçoivent pas ou peu de sanctions. Si les pouvoirs publics veillaient davantage à l’application des normes de ventilation, comme cela se fait par exemple pour la sécurité incendie, les résultats sur la qualité de l’air intérieur du bâti seraient bien meilleurs.

Les systèmes et les normes existent. Que manque-t-il pour une meilleure prise en charge?
Il manque essentiellement une volonté politique et une prise de conscience de la population. Mais certains pays commencent à montrer l’exemple. En Belgique, par exemple, une loi dont l’entrée en vigueur est fixée au 13 décembre prochain imposera aux lieux recevant du public – bars, restaurants, lieux de culture, clubs de sport, etc. – d’afficher en permanence les valeurs de concentration de CO2 dans la pièce et exigera de leurs gérant-es de respecter les normes en vigueur.

Quels effets peut-on espérer d’une telle mise en œuvre?
Au XIXe siècle, Paris, Berlin ou Londres subissaient des épidémies de choléra dramatiques et mortifères. Lorsqu’en 1850, le Britannique John Snow a découvert que cette maladie était due à la consommation d’eau de boisson contaminée par les eaux usées, il a été progressivement décidé d’assainir l’eau de boisson. Mais il aura fallu ensuite 50 à 70 ans avant que l’urbanisme des pays développés parvienne enfin à se débarrasser complètement du choléra. Ces succès ont été dus aux travaux d’assainissement de l’eau, qui consistaient à séparer les eaux usées des eaux de boisson, puis à décanter cette dernière, la filtrer et la purifier. Si, de la même manière, on parvenait à améliorer substantiellement la qualité de l’air que nous respirons, peut-être arriverait-on à éliminer toutes les maladies infectieuses respiratoires, du rhume à la tuberculose. Et dans quelques années, on dira peut-être: «Vous vous rendez compte, les gens contractaient la grippe, le covid ou la tuberculose et parfois en mouraient, parce qu’ils se contaminaient en respirant un air de mauvaise qualité à l’école, à l’hôpital, dans le bus ou dans un restaurant.»

De l’air sous haute surveillance

À l’UNIGE, la qualité de l’air intérieur est assurée par la Division des bâtiments et le Service santé au travail, environnement, prévention et sécurité (Steps). Les bureaux qui n’ont pas de fenêtres ouvrantes, les salles ainsi que les auditoires, dont le plus grand accueille jusqu’à 640 personnes, sont équipés d’installations de ventilation. Les gaines de certains équipements sont par ailleurs munies de détecteurs de CO2 qui permettent de déclencher automatiquement le renouvellement d’air lorsque le seuil est atteint.


La maintenance de ces installations est gérée par des entreprises sous contrat qui effectuent des contrôles de fonctionnement, des interventions préventives, signalent d’éventuelles anomalies et les réparations à effectuer. Les responsables techniques des sites effectuent en outre des contrôles préventifs et vérifient le bon fonctionnement du matériel via des logiciels de surveillance.
 
Une grande campagne de mesures de taux de renouvellement d’air a par ailleurs été réalisée par l’Office cantonal des bâtiments durant la pandémie de Covid-19. Cet examen a permis d’apporter des améliorations à certaines installations, notamment en modifiant les réglages pour amener plus d’air «neuf» dans les circuits – le renouvellement de l’air se faisant en mélangeant de l’air repris et de l’air neuf. Des ventilateurs de pulsion et d’extraction ont également été remplacés à Dufour et des fenêtres ouvrantes mais inaccessibles ont été motorisées aux Philosophes.
 
Des mesures du CO2 ont également été relevées avec le Service de santé de l’État, montrant des taux conformes aux normes. Pour les urgences, le Service Steps dispose de détecteurs de gaz portatifs «multigaz» (ammoniac, dihydrogène sulfuré, etc.) qui permettent de lever le doute lors d’incidents (alarme enclenchée ou symptômes ressentis). Enfin, l’institution recourt régulièrement aux services d’hygiénistes du travail spécialisés dans l’analyse de l’environnement de travail, y compris la qualité de l’air et la détection de polluants en quantités infimes, le taux d’humidité et l’empoussièrement.

 

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