2 mars 2023 - Rachel Richterich

 

Analyse

«Ce qui est délétère pour l’enfant, c’est moins la séparation que les conflits entre les parents»

Comment préserver les enfants des effets délétères des conflits qui émergent des séparations et des divorces? Milieux juridiques et intervenant-es psychosociaux se sont retrouvé-es à l’UNIGE pour promouvoir une coparentalité protectrice des enfants.

 

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L'autorité parentale conjointe, devenue la règle depuis la réforme du droit de la famille, s'applique aux décisions importantes qui régissent la vie de l'enfant, notamment le choix de l'école ou du lieu de vie, ce qui engendre le besoin de davantage de coordination entre les parents. Image: R. Bodnarchuk

 

Ils et elles interviennent dans des situations identiques, parfois dans les mêmes familles, pourtant avocat-es et psychothérapeutes n’ont pas l’habitude de collaborer dans le cadre de séparations ou de divorces. Réunir ces deux spécialités, c’était précisément l’enjeu du séminaire «Coopérer pour éviter la rupture de lien dans les transitions familiales». Celui-ci s’est tenu le 16 février à l’Université de Genève. Il a permis à différent-es intervenant-es de terrain d’allier leurs compétences afin de trouver des solutions pratiques visant à aider les parents qui se séparent à résoudre les conflits, dans l’intérêt de leurs enfants. Plusieurs pistes ont émergé de cette formation organisée par le Centre d’étude, de technique et d’évaluation législatives (CETEL) et la Section de psychologie, conjointement avec l’Association ScopalE (Séparation et construction parentale autour de l’enfant). Entretien avec une des instigatrices de l’événement, Michelle Cottier, professeure de droit civil et directrice du CETEL.

LeJournal: La coopération figure au cœur de cette journée de formation. Entre qui et qui?
Michelle Cottier:
D’une part, entre les divers-es professionnel-les qui interviennent dans le cadre des séparations et des divorces. Il peut y en avoir jusqu’à 30 selon la complexité des situations sans pour autant que ces acteur-rices issu-es, d’un côté, des milieux juridiques et, de l’autre, des sciences psychosociales ne soient nécessairement amené-es à communiquer entre eux/elles. D’autre part, cette meilleure collaboration doit favoriser une meilleure coopération entre les parents.

Quel est l’apport des différentes disciplines entre elles?
Nous comprenons mieux les dynamiques familiales dans les séparations et les divorces grâce aux études émanant des disciplines du domaine psychosocial. On sait par exemple aujourd’hui que ce qui est délétère pour l’enfant, c’est moins la séparation que les conflits entre les parents. Le droit de la famille a largement été influencé par ces nouvelles connaissances et s’y est toujours référé. Mais force est de constater que les procédures judiciaires ne s’y sont pas toujours adaptées: souvent trop axées sur le contentieux, elles se prolongent et tendent à accentuer le conflit au lieu de chercher des solutions.

À quoi est dû le manque de coopération entre juristes et psychologues?
À une méconnaissance mutuelle des différentes approches professionnelles qui découle, entre autres, de l’absence d’une formation interdisciplinaire sur la séparation parentale. C’est l’un des points qui sont ressortis des ateliers organisés pendant la journée pour trouver des solutions concrètes. Nous avons ainsi pu observer que les juristes et avocat-es sont davantage focalisé-es sur la recherche de solutions pour répondre aux besoins matériels et pratiques, alors que les intervenant-es psychosociaux-ales mettent l’emphase sur la nécessité de reconnaître le ressenti et les émotions des divers membres de la famille. Et pour les intervenant-es du service public, le fait que leur mandat puisse porter sur ces deux aspects peut être perçu comme un dilemme. Les deux approches sont pourtant complémentaires.

L'autorité parentale conjointe, qui implique une coopération entre les parents, est la règle depuis la réforme du droit de la famille en 2014. Ce n’est pas suffisant?
L’autorité parentale conjointe s’applique aux décisions importantes qui régissent la vie de l’enfant, notamment le choix de l’école ou du lieu de vie. La réforme a donc effectivement engendré le besoin de davantage de coordination entre les parents. Mais quand il existe des tensions ou des conflits entre eux, cette nécessité de rapprochement est susceptible de les attiser. D’où l’importance d’un accompagnement dans l’exercice de cette coparentalité.

Sous quelle forme?
En instaurant des offres telles que la médiation ou la consultation avec des spécialistes de la coparentalité qui permettent aux parents de trouver des solutions très concrètes liées à la prise en charge des enfants avant d’entamer une procédure judiciaire. C’est possible évidemment seulement lors de conflits sans violence. Dans le cas contraire, forcer un rapprochement peut constituer un danger tant pour le parent victime que pour les enfants. Par ailleurs, une approche privilégiant l’oralité permettrait de raccourcir les procédures judiciaires, dans lesquelles les dissensions peuvent s’enliser.

Quel est le rôle de l’Université dans ce contexte?
Il s’agit de développer davantage la formation de base et continue afin de préparer les professionnel-les à cette collaboration et de les sensibiliser aux différentes approches disciplinaires. L’Université a aussi pour vocation d’offrir une évaluation scientifique aux projets de soutien à la coparentalité en cours.

 

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