13 novembre 2025 - Alexandra Charvet
Questionner les sexualités en 2025
À l’occasion du 5e anniversaire du Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités, une série de rencontres publiques analyse les pratiques scientifiques et questionne les enjeux éthiques et politiques dans le domaine des sciences des sexualités.

Éric Fassin. Image: DR
Dans un contexte de tensions sociales et politiques croissantes autour des enjeux qui animent aujourd’hui le champ des sexualités, le Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités (CMCSS) propose de réfléchir collectivement à ce que signifie aujourd’hui «travailler sur les sexualités». Un cycle d’événements se déroulera du 19 au 27 novembre, à l’occasion de son 5e anniversaire. Le sociologue Éric Fassin, professeur à l’Université Paris 8, donnera, le mercredi 26 novembre à 18h15 à Uni Philosophes, une conférence intitulée «Penser les campagnes anti-genre depuis les études de genre et de sexualité». Rencontre.
Le Journal: Qu’entend-on par «campagne anti-genre»?
Éric Fassin: Depuis le tournant des années 2020, on assiste à une offensive contre les droits des personnes trans. Sous prétexte de protéger les mineur-es, certain-es vont jusqu’à provoquer une véritable panique morale en parlant d’«épidémie de trans». Cette pathologisation est une réaction contre l’effort de dépathologisation des identités minoritaires – hier l’homosexualité, aujourd’hui les transidentités. En réponse, j’ai tenté d’analyser cette «épidémie de transphobie». Mais peut-être vaudrait-il mieux parler de pandémie: on retrouve ce discours de la contagion dans de nombreux pays, à commencer par le Royaume-Uni.
Dans quelle mesure ces campagnes concernent-elles les universités?
Les assauts contre l’idéologie du genre ou la théorie du genre portent tant sur les mouvements sociaux qui cultivent des revendications d’émancipation sexuelle que sur les études de genre dont l’objectif est d’analyser l’ordre sexuel, de genre et de sexualité, avec un regard critique. En conséquence, le conservatisme sexuel est redoublé par une logique néofasciste d’anti-intellectualisme. Ce qui explique pourquoi l’actuel vice-président des États-Unis, J.D. Vance, déclarait en 2021: «Les universités, voilà l’ennemi.»
Ces campagnes sont-elles le résultat de ce que certain-es considèrent comme «les excès du wokisme»?
On entend en effet dire que Trump aurait été élu à cause des excès du wokisme. C’est un retournement rhétorique que je qualifierais d’orwellien. On nous explique que c’est à cause des féministes qu’il y aurait des masculinistes, à cause des antiracistes qu’il y aurait des racistes ou que les musulmans provoqueraient l’homophobie? Et pourquoi pas, tant qu’on y est, que les Juifs susciteraient l’antisémitisme? C’est faux, empiriquement, et c’est très dangereux, politiquement, car cela revient à reprendre à son compte le discours des masculinistes, des racistes, des islamophobes et des antisémites…
Quels outils les études genre peuvent-elles convoquer pour comprendre et contrer ces offensives?
L’historienne féministe Joan W. Scott nous a appris, dès 1986, à penser le genre non seulement comme une façon d’organiser socialement les différences perçues entre les sexes en produisant et en reproduisant des hiérarchies, mais aussi comme une manière privilégiée de signifier les rapports de pouvoir. Autrement dit, le genre parle aussi de classe et de race, de religion et de laïcité, de nation et de relations internationales. Les études genre sont donc bien placées pour analyser les attaques qui les visent et le passage des campagnes anti-genre aux offensives anti-intersectionnalité ou critical race theory.
Pensez-vous que les acquis de ces dernières années en faveur de la reconnaissance des minorités sexuelles sont menacés? Ou s’agit-il d’un dernier soubresaut de logiques de domination héritées de l’histoire?
Rien n’est jamais acquis. Il faut toujours lutter pour avancer; faute de quoi, on recule. Mais il est vrai qu’on peut considérer la panique morale des néofascistes comme un signe positif: au fond, ils ne peuvent plus ignorer que le monde bouge et que les savoirs critiques, dont font partie les études de genre, y contribuent. Autrement dit: c’est une forme de reconnaissance de notre travail. Elle est paradoxale, certes, mais bien réelle. Si on nous attaque autant, c’est que nous faisons quelque chose qui dérange. Or, telle est précisément la vocation des savoirs critiques.
TRAVAILLER SUR LES SEXUALITÉS EN 2025: SAVOIRS, MÉDIATIONS ET RÉSISTANCES
5e anniversaire du CMCSS
Du 19 au 27 novembre 2025
PENSER LES CAMPAGNES ANTI-GENRE DEPUIS LES ÉTUDES DE GENRE ET DE SEXUALITÉ
Conférence d’Éric Fassin, professeur de sociologie et d’études de genre à l’Université Paris 8, chercheur au Sophiapol (Nanterre/Paris 8) et membre senior de l’Institut universitaire de France
Mercredi 26 novembre | 18h15 | Uni-Philosophes, Auditoire Jeanne Hersch